Interview de Shemekia Copeland

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer (Paris-Move & Blues Magazine) & Nathalie ‘Nat’ Harrap (Blues Matters – UK)
Photos: © Frankie Bluesy Pfeiffer
 
Rencontrer Shemekia Copeland et discuter avec elle est toujours un plaisir, qu’il s’agisse de parler de son dernier album, d’évoquer son père, sa foi, sa vie privée, et cette incroyable expérience vécue en compagnie d’autres artistes, en Irak. Deux ans après notre dernière rencontre, Shemekia a répondu à toutes nos questions, nous confirmant qu’à près de 30 ans elle s’assume totalement, comme femme autant que comme chanteuse.
 
 
PM: Content de te revoir après notre première rencontre, il y a deux ans maintenant…
SC: Hé oui, le temps passe…(rire), mais je suis très heureuse de te revoir, et en pleine forme, à ce que je vois…! (rire)
 
PM: Merci, Shemekia [et re-bises…]. Question d’actualité tout d’abord, car Nat et moi nous avons su que tu étais allée chanter pour les troupes américaines basées en Irak. Comment cela a-t-il été organisé?
SC: En fait c’est mon manager et mon producteur qui ont tout organisé, en relation avec les managers et producteurs d’autres artistes. Ils ont tout organisé, le voyage, les dates, les lieux des concerts, tout.
 
PM: Tu es restée combien de temps en Irak?
SC: Environ deux semaines.

PM: Et comment as-tu vécu cette aventure? As-tu eu peur, sur place?

SC: Non, je n’ai jamais vraiment eu peur là-bas car on était très bien protégés et on s’occupait très, très bien de nous. Ca a été vraiment une très bonne expérience pour moi parce que cela m’a fait voir pas mal de choses de l’intérieur et pas seulement par la télé. Et puis nous, les artistes, on était là pour soutenir les troupes, parce que tu sais, ils y sont, eux, là-bas, en Irak, alors que toi et moi on est ici,… (silence). Ce que je veux dire, Nathalie, c’est que je ne me demande pas si c’est bien ou pas bien qu’ils soient là-bas. Ils y sont, c’est un fait, et je pense que c’était mon devoir de les soutenir, parce qu’eux, ils n’ont pas demandé à y être, en Irak. Et pour moi ça a été super de pouvoir y être, et d’y être avec eux, pour leur apporter quelque chose d’autre que ce qu’ils vivent et voient tous les jours, et pour essayer de leur changer les idées aussi. Et les gars ont vraiment apprécié qu’on ait fait l’effort d’y aller. Tu ne peux pas imaginer ce que cela représente pour eux que des personnes qui ne sont pas des militaires viennent les voir. C’est comme un honneur pour eux, une sorte de reconnaissance du travail qu’ils font. Parce que c’est leur boulot d’être soldat, et un mec qui fait son boulot il mérite autant le respect qu’un artiste qui monte sur scène. Pour moi, c’est aussi simple que ça.
 
PM: Comment se passaient les concerts?
SC: En fait ce fut, comment dire,… assez bizarre. D’abord parce que je n’y étais pas avec mon propre groupe, avec mes musiciens, alors que je tourne toujours avec mes propres musiciens, et donc déjà ça, ce fut quelque chose de bizarre pour nous car on a du tous apprendre à jouer ensemble, entre musiciens qui ne se connaissaient pas. Mais ça aussi, ce fut une expérience fantastique. Tout comme le reste fut fantastique, aussi.

PM: C'est-à-dire ?

SC: Hé bien, jamais je n’avais été dans une zone en guerre, et sans doute que je n’y retournerai jamais,… et c’est cela aussi qui est fantastique, parce que c’est une expérience unique. Le genre de truc que tu ne feras jamais deux fois dans ta vie, tu comprends? Du moins, j’espère…
 
PM: Mais quelles sensations as-tu ressenties sur place? Est-ce que tu as pu parler aux soldats?
SC: Ho oui, oui…! Oui, on a beaucoup parlé, et on s’est beaucoup embrassés aussi. Tu ne peux pas imaginer combien ils étaient contents qu’on soit venus, et pour eux comme pour nous ce fut vraiment quelque chose de très…, comment dire…, de très fort, très intense. Je pense qu’ils s’en souviendront autant que nous.
 
PM: Et vous avez donné tous les concerts sur la même base militaire?
SC: Non… On donnait un concert sur une base différente chaque soir. On a du donc beaucoup se déplacer par hélicoptère, ou en C-130. On ne dormait pas beaucoup, environ 4 heures par nuit, et c’est vrai qu’à la fin on était tous très fatigués,… mais c’était quand même cool. T’imagines? Tu prends l’hélicoptère ou un C-130 pour aller chanter dans une base en plein milieu d’une zone de conflit… C’est pas vraiment la routine des musiciens, tu vois…!
 
PM: Quel souvenir particulier gardes-tu de cette aventure?
SC : Hé bien, je me souviens d’un jour, en particulier. On était arrivés sur une base de marines où personne n’était allé avant nous parce que c’était trop dangereux, mais la situation s’étant soit disant un peu calmée entretemps, alors nous, les artistes, et pas des militaires, nous avons décidé d’y aller. Et là, t’aurais du voir la tête de ces gars qui étaient tellement heureux de nous voir…! Ils dansaient, ils chantaient, ils nous embrassaient… C’était vraiment extraordinaire de vivre ça… (silence). Tu sais, c’est très difficile d’expliquer ce que l’on a pu ressentir là-bas. Il faut y avoir été pour comprendre ce que l’on a pu ressentir. Moi, je n’avais pas vraiment d’idée de ce que cela pouvait être avant d’y aller,… et je pense que personne ne peut le comprendre, à moins d’y avoir été (silence).
 
PM: Est-ce que le fait que tu sois allée en Irak a changé ton opinion sur les marines, l’armée?
SC: Oui, bien sûr. Ce qu’ils font, tu vois, c’est leur boulot, et personne n’a le droit de juger ceux qui sont là-bas parce qu’ils ‘sont’ là-bas. Ce ne sont pas eux qui ont pris la décision d’y être, mais comme c’est leur boulot, alors ils doivent y être. Et puisqu’ils y sont, ils doivent se battre… (silence).
 
PM: Dans ton album, il y a une chanson qui s’intitule ‘Broken World’. On pourrait la relier à cette aventure?
SC: Bien sûr! Quand tu t’engages à 18 ans dans l’armée et que tu te fais tuer, c’est vraiment un monde brisé, un monde à l’envers, non? (silence)… Quel que soit notre monde, il ne devrait pas y avoir de guerre,… jamais de guerre.
 
PM: Ton album s’appelle ‘Never Going Back’. Pourquoi ne pas avoir repris le titre complet de la chanson, ‘Never Going Back To Memphis’? C’était voulu, je pense?
SC: Oui. En fait, ‘Never Going Back’ c’est pour moi une façon de dire qu’il faut toujours aller de l’avant, que ce n’est pas la peine de toujours se retourner sur le passé. Cela veut également dire qu’il ne faut pas avoir de regrets, et qu’il faut toujours regarder devant soi, changer, évoluer, progresser.
 
PM: Dans cet album, tu reprends également une chanson de ton père, ‘Circumstances’. Tu peux nous dire pourquoi tu as choisi ce titre-là?
SC: En fait, je l’ai choisie parce que pour moi elle correspond à la période que nous vivons actuellement, cette période si terrible pour beaucoup de gens. Comme tu le sais, aux Etats-Unis il y a beaucoup de gens qui perdent leur travail, leur maison, et ce n’est pas de leur faute. Ce sont les ‘circonstances’, et c’est ça qui est terrible car eux n’ont aucun contrôle sur leur vie. Ils peuvent tout perdre du jour au lendemain et sans pouvoir agir contre ça, tout simplement parce que ce sont les ‘circonstances’…
 
PM: Imagines-tu un jour enregistrer un album avec seulement des chansons de ton père?
SC: Oui, bien sûr, un jour peut être, mais pas tout de suite. Comme tu le sais, je me dois tout d’abord de me faire un nom pour moi-même, comme chanteuse, et pas à travers la réputation de mon père. Et puis je crois que mon père ne serait pas très impressionné si je faisais un album de ses chansons maintenant. Il doit sans doute penser comme moi car il sait que je ne suis pas encore prête. Je dois encore progresser en tant que Shemekia, m’imposer totalement comme Shemekia.
 
PM: Penses-tu être encore loin de cet objectif là?
SC: Oui, j’en suis encore très loin. Tu sais, ce n’est pas une question de succès ou d’argent, mais de me sentir totalement reconnue comme chanteuse, sous mon nom et sous mon prénom, Shemekia, et ça, je suis loin d’y être arrivée encore. Et puis, en tant qu’artiste, je suis très exigeante avec moi-même et peut-être que je ne serai jamais satisfaite de ce que je fais…
 
PM: Pour ce nouvel album, tu as changé de maison de disques et tu es maintenant chez Telarc. Pourquoi?
SC: C’est aussi simple que çà: mon contrat se terminait avec Alligator et avec eux tout était super mais j’ai estimé qu’il était temps de changer, de tenter une autre aventure. Je me suis posé pas mal de questions avant que mon contrat ne se termine et je me suis dit que finalement, en tant qu’artiste, ce n’est sans doute pas toujours très bon de rester avec la même maison de disques, tu comprends…?  On peut appeler ça ‘évolution’, si tu veux, mais je pense de plus en plus qu’un artiste se doit de bouger, et donc de changer pour ne pas stagner.
 
PM: Mais c’est un risque non?
SC: Absolument, mais dans la vie il faut savoir prendre des risques, et j’aime tenter la chance,… un petit peu. (rire)
 
PM: Si tu acceptes d’en parler, Shemekia, pourrais-tu me dire quelques mots de votre nouveau président, Barack Obama? Son élection est-elle importante pour toi?
SC: Je pense que ce qui s’est passé, c'est-à-dire avoir un président noir, c’est quelque chose d’énorme pour les Etats-Unis. C’est un énorme changement pour les Américains, pour ‘tous’ les Américains. Moi, je suis très heureuse qu’il ait été élu car je trouve que c’est un homme très bien et je l’aime beaucoup, mais je pense surtout que pour la première fois depuis très longtemps nous avons un président qui est sincère et très ouvert. Ma seule crainte  concerne les autres hommes politiques américains, et qu’ils ne lui permettent pas de faire ce qu’il veut et ce qu’il doit faire. J’espère, j’espère qu’ils le laisseront changer les choses et faire évoluer notre pays.
 
PM: Est-ce qu’un seul homme peut changer tant de choses?
SC: Je pense qu’il a déjà provoqué beaucoup de changements. Regarde, pour la première fois depuis très longtemps il a redonné espoir au peuple américain, et ça, c’est quelque chose, non? Il a changé la perception des gens et j’espère qu’il pourra continuer à changer ce qui doit être changé, mais malheureusement il n’est pas seul. Il y a aussi le Congrès, et les autres,… et ça, ça va être beaucoup plus dur, je pense… Et c’est pour cela qu’il faut le soutenir, pour qu’il réussisse ce qu’il doit entreprendre.
 
PM: Pourquoi alors n’écris-tu pas des chansons plus politiques, afin de faire passer ton message?
SC: Non, je ne veux pas écrire ce type de chansons. Je ne veux pas faire des chansons sur la politique ou sur la religion parce que je m’adresse à tout le monde et que si je chante ce genre de chansons, certaines personnes seront d’accord avec moi alors d’autres ne le seront pas. Je ne veux pas être la personne qui donne au travers de chansons son opinion personnelle sur des sujets de ce type. Ce n’est pas ma mission, ce n’est pas ce que je veux faire.
 
PM: Sur ce nouvel album tu as également repris une chanson de Joni Mitchell, ‘Black Crow’. Pourquoi cette chanson?
SC: Quand je l’ai entendue chanter cette chanson il m’a semblé qu’elle l’avait écrite pour moi, pour toute personne qui voyage sans arrêt, qui vit sur la route. Cette chanson traduit ce que les musiciens vivent, ce que moi, je vis, cette impression de ne plus savoir à quoi ressemble ton ‘chez toi’, parce que cela fait tellement longtemps que tu n’es pas rentré à la maison. Hé oui, c’est ça, ma vie! Mais ce que je veux dire aussi c’est qu’aucun musicien ne se plaindra de cette vie, même si c’est dur, parce qu’on a la chance de faire le métier que l’on aime. Par exemple, en ce moment mon fiancé, qui est musicien, lui aussi, est à la maison, alors que moi je suis ici, à Paris, et il me manque… Tu vois, c’est pas toujours facile de vivre comme ça. Mais bon, j’ai peut être plus de chance que d’autres parce que mon fiancé est musicien, donc ça aide. Il me comprend et puis on s’aime beaucoup. Et puis souvent c’est aussi mon tour de l’attendre à la maison…(sourire)
 
PM: Tu penses avoir un jour des enfants?
SC: Ho oui! C’est sûr qu’un jour j’aurais des enfants. Je veux avoir des enfants.

PM: Et comment envisages-tu alors ce double job, de mère et de chanteuse?
SC: (rire) Tu sais, je crois vraiment que je peux tout faire et que j’arriverai à avoir tout ce que je veux dans la vie. Je vais me marier en décembre et je crois que je peux être une bonne épouse, une bonne mère, et sans avoir à sacrifier ma carrière. Je ne vois pas pourquoi on demanderait aux femmes de faire un choix.
 
PM: Parle nous alors de la chanson ‘Born A Penny’, parce qu’elle est autobiographique, n’est-ce pas?
SC: Absolument. Je vais t’avouer une chose, Frankie: ce n’est seulement que maintenant, alors que je vais avoir 30 ans, que je m’accepte telle que je suis, et comme Dieu m’a faite. J’ai maintenant suffisamment confiance en moi pour me dire que ma vie est super et je suis très heureuse de tout ce que ma vie m’apporte. Ce que je veux dire, Frankie, c’est que si j’avais compris tout ça à 19 ans, ma vie aurait été beaucoup plus simple. Mais avant, j’étais sensible à ce que disait les gens qui ne m’aimaient pas, et ça, tu vois, cela m’a fait beaucoup de mal, alors que maintenant je m’assume telle que je suis et si cela déplaît à des gens, hé bien tant pis pour eux, car moi je me sens très bien telle que je suis. Et puis j’ai un fiancé adorable, et qui m’aime beaucoup…(sourire). Ce que je veux dire, encore une fois, c’est que je m’assume telle que je suis et que j’en ai assez de voir ces exemples donnés par la mode et où tu dois être maigre, très maigre, pour porter des vêtements à la mode. En ce moment, par exemple, je fais tout pour convaincre ma jeune nièce d’arrêter de faire tout un tas de régimes parce qu’elle se trouve trop grosse, alors qu’elle est déjà beaucoup plus mince que moi. J’en ai assez de cette pression médiatique que l’on met sur les femmes pour qu’elles soient les plus maigres possibles, c’est insupportable. Surtout que vous, les hommes, vous préférez les femmes plus rondes, non? (rires)
 
PM: C’est vrai…, c’est vrai.
SC: Tu ne vas pas me dire le contraire, je pense… Les hommes aiment bien parader une heure ou deux avec une femme très mince mais après, quand ils sont à la maison, ils préfèrent y être avec une femme plus ronde, n’est-ce pas…? C’est tout de même plus agréable, pour la cuisine, et pour tout, non? (rires)
 
PM: Oui, oui,… mais peu d’hommes osent l’avouer.
SC: Ils doivent apprendre à faire comme moi, à s’assumer. (rire)
 
PM: En revenant à cet album, pourquoi avoir repris ‘River’s Invitation’, de Perry Mayfield, car c’est une chanson très spirituelle?
SC: Comme ce nouvel album est pour moi un nouveau départ, j’ai voulu chanter cette chanson qui m’avait beaucoup touchée. C’est une chanson superbe et qui me parle, comme si je l’avais écrite.
PM: C’est comme ça que tu choisis tes covers?
SC: Oui, tout à fait. Il faut que ce soient des chansons qui me touchent, que je peux faire miennes, tu vois… C’est très important que je puisse les interpréter comme si c’étaient les miennes.
 
PM: Et puisqu’on parlait de spiritualité, peux-tu nous dire si tu es croyante?
SC: Oui, je veux bien te le dire,… Je crois en Dieu, et je prie très régulièrement, mais je ne vais pas à l’église, parce que pour moi ce n’est pas nécessaire d’y aller. C’est mon avis, et sans doute parce que j’ai une foi inébranlable. Par contre, je pense que ceux qui ne croient en rien sont des personnes très vulnérables, tu vois. Comment peuvent-ils être heureux en ne croyant en rien… Moi je suis heureuse, très heureuse.
 
PM: Et cela se voit, Shemekia…
SC: Merci, et j’espère qu’on se reverra avant deux ans, maintenant…! (rire)

Interview de Shemekia Copeland – Avril 2006

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos : Frankie Bluesy Pfeiffer

Déjà 15 ans de carrière, quatre albums, une nomination aux Grammy Awards et 5 prix aux W.C. Handy Awards à l’actif de la jeune et belle Shemekia, fille du légendaire Johnny Copeland. A force de travail, celle qui aurait pu se faire clouer au pilori de la critique pour être « la fille de » s’est imposée comme l’une des grandes voix féminines.
La France est encore sous le choc de sa tournée 2006 qui faisait suite à la sortie de son quatrième opus, « The Soul Truth », un putain d’album dont je me repasse en boucle Strong Enough, le slow torride qui vous fera tomber amoureux fou de cette nouvelle diva du Blues.

Difficile de ne pas parler de lui. En quelques minutes à peine, et parce que Shemekia en porte aussi le nom, la conversation dérive sur l’autre Copeland, celui qui a fait du nom de famille un nom légendaire : Johnny Clyde Copeland.

BM : Cela ne te dérange pas, à force, que l’on te parle toujours de ton père ?
SC :
Pas du tout…(silence) Au contraire. Il a eu une telle influence sur ma carrière,…et sur ma vie. C’était mon père, tout d’abord !

BM : Et de porter le nom de Copeland, cela n’a-t-il pas été un problème pour toi ? Ou est-ce que cela t’a plutôt aidé ?
SC :
Tu sais, être la fille de quelqu’un qui est connu peut faire croire à des gens que tout est plus facile, mais pas du tout. Au contraire, même. Les gens t’attendent au tournant, ils font très attention à ce que tu fais, et si tu ne travailles pas dur, ils te cartonnent sans hésiter. Et quand tu y arrives, après avoir travaillé encore et encore, ils vont dire que c’est parce que tu es ‘la fille de’ (large sourire). Comme quoi, tu vois, il faut toujours travailler dur, et être fière de porter un nom comme celui de mon père.

BM : Il fallait donc ‘te faire’ un prénom…
SC :
Tout à fait,…et je pense qu’avec tout le travail que j’ai fait depuis dix ans,…et même plus,…j’y suis arrivée.

BM : Il y a presque dix ans, justement, tu sortais ton premier album. A quoi attribues-tu le succès qu’il a connu ?
SC :
(rire) A mon travail… !

BM : Mais tu n’avais même pas vingt ans quand tu l’as sorti…
SC :
C’est vrai, mai cela faisait des années que je travaillais comme une forcenée pour y arriver.

BM : Comme une forcenée ?
SC :
(rires) Oui, mais aussi et surtout avec beaucoup de plaisir ! Lorsque tu es enfant et que tu vois dans ta maison des musiciens aussi connus et aussi talentueux que Clarence Gatemouth Brown qui viennent pour jammer et chanter, tu ne peux que prendre du plaisir à travailler. Chez nous, la porte était toujours grande ouverte aux amis de papa.

BM : Aux amis connus, mais aussi aux amis moins connus à l’époque, comme Philipp Fankhauser.
SC :
(large sourire) Tu le connais ?

BM : Oui, nous l’avons rencontré à Bern puis suivi en concerts à Zürich et à Paris, au New Morning. Philipp avait une relation privilégiée avec ton père…
SC :
Oui,… Papa lui avait ouvert les portes de notre maison et Philipp a habité plusieurs mois chez nous. Il tournait beaucoup avec Papa et entre eux il y avait quelque chose de plus que de l’amitié. C’était comme si Philipp était devenu son fils.

BM : Tu as d’ailleurs rédigé les notes de son album, Talk To Me.
SC :
Oui. Je l’ai fait parce que j’aime beaucoup sa voix et son jeu de guitare,….qui sonne un peu comme celui de mon père. J’espère d’ailleurs qu’on se reverra très bientôt pour chanter ensemble. J’adore chanter avec Philipp.

BM : Philipp nous a également expliqué que tu étais venue très tôt rejoindre ton père en tournée, pour lui permettre de se reposer un peu pendant les concerts car il était de plus en plus malade. Est-ce cette expérience de la scène qui t’a incité à faire carrière ?
SC :
Tu sais, lorsque tu grandis dans une maison où se croisent plein de musiciens, dans une maison où tout le monde chante aussi, tu vis le chant, et autrement que dans les écoles de chant. A la maison on chantait du blues, du soul, du gospel, et ça, tu vois, c’est plus que du chant,…ça touche à l’âme d’une maison…et à l’âme de ceux qui y viennent. (silence) Pour répondre à ta question : je pense que mon père a toujours su – a toujours su, et non pas pensé – que je serais chanteuse, alors que moi je ne le voulais pas vraiment. J’étais quelqu’un de timide,…d’ailleurs Philipp pourrait te le dire ! (sourire)

BM : Mais tu as pris beaucoup d’assurance depuis… !
SC :
Oui,…oui, c’est vrai que j’adore être sur scène et chanter. Quand j’étais petite, je ne voulais même pas que les gens me regardent pendant que je chantais,…et je peux te dire que cela a été très dur pour moi les premières fois qu’il a fallu que je monte sur scène ! (sourire)

BM : Tu as sorti ton quatrième album, « The Soul Truth », presque dix ans après le premier, « Turn The Heat Up », qui était beaucoup plus blues. Pourquoi ce changement de son ?
SC :
Comme je te l’ai dit, j’ai grandi dans une maison où l’on chantait du blues, mais aussi du soul et du gospel. Pourquoi devrais-je me limiter au blues ? Ou plutôt à un type de blues ? Non, j’ai tout cela en moi, le blues, le soul, le gospel. Tout comme j’aime le hip-hop.

BM : Et le rock aussi ! Ton second album, « Wicked », en était bien imprégné, non ?
SC :
(sourire) Imprégné ? Non,…je dirais plutôt qu’il sonnait blues-rock. Tu vois, j’ai toujours refusé de rester figée sur un son, un style. Je suis jeune et c’est maintenant que je peux prendre tous les risques et essayer tout ce que je peux essayer comme sons et ambiances. Voilà pourquoi j’ai décidé de changer le son et l’atmosphère de chacun de mes disques. J’ai voulu le second très blues-rock et le troisième beaucoup plus soul et funky, tandis que le dernier, « The Soul Truth », j’ai voulu qu’il sonne Memphis-soul.

BM : C’est pour cette raison que tu as choisi Steve Cropper pour le produire ?
SC :
Tout à fait. Comme j’avais choisi Dr John pour produire « Talking To Strangers ». Il me faut le producteur qui colle au son que je veux donner à l’album. C’est en travaillant ensemble, tous les deux, sur le son que je veux donner à l’album que le résultat est là, et qu’il correspond à ce que je veux.

BM : Quel sera alors le son du prochain album ?
SC :
(large sourire) Surprise…. ! Mais ce sera encore un album destiné à faire évoluer le ‘singing blues’.

BM : Ambitieux, non, comme projet ?
SC :
Il faut être ambitieux si l’on veut que le blues prenne la place qui devrait être la sienne, et je pense que cette place, le blues ne l’aura que s’il évolue, tout comme le monde évolue. On dit bien que tout ce qui ne bouge pas est « mort »,…il faut donc que le blues bouge, et si je peux l’aider à bouger je le ferais, encore et encore.

BM : L’année 2007 est une année importante pour tous les amateurs de blues, et surtout pour toi, puisque c’est le dixième anniversaire du décès de ton père. Nous avions demandé à Philipp Fankhauser, que ton père considérait un peu comme son fils, s’il n’allait pas sortir à cette occasion un album « Tribute To Johnny Copeland ». Tu sais ce qu’il nous a répondu ?
SC :
Je pense qu’il a dit non, mais qu’en même temps il en a très envie. Tu sais, lorsque tu aimes quelqu’un, tu n’as pas besoin d’attendre une date ou un jour particulier pour y penser. Philipp joue et chante sur ses albums des titres de papa et c’est pour cela qu’il n’a pas besoin de faire un album dédié à Johnny Copeland en 2007, parce qu’il pense tous les jours à lui.

BM : Nous avons demandé à Philipp de nous écrire quelques lignes sur toi. Tu veux les lire ?
SC
: Oui !

BM : Les voici :

" En 1990, pendant une tournée que je faisais avec lui en Suisse, Johnny m’a raconté avec beaucoup de fierté qu’il avait fait monter sur la scène du Cotton Club, à Harlem, sa fille de onze ans, et il a ajouté : « C’est une très bonne chanteuse ; je voudrais faire un disque de gospel avec elle et j’aimerais que tu m’aides à le produire. ».
J’ai rencontré Shemekia en 94, quand Johnny m’a invité à habiter chez lui. Elle chantait partout dans la maison, mais disait toujours qu’elle n’en ferait pas sa vie. Elle avait un sacré caractère et je l’avais surnommée « Baby Clyde », Clyde étant le second prénom de son père.
Quand Johnny a commencé à être très malade, en 95, Shemekia avait 16 ans et elle avait déjà pris beaucoup d’assurance, montant sur scène pour chanter avec moi et permettre à son père de se reposer pendant le concert. Pour moi, c’était clair : Shemekia était une super chanteuse et elle marcherait dans les pas de son père.
Faut-il y voir un signe du destin ? En 97, Shemekia signa chez Alligator Records et Johnny nous quitta peu après, le 3 juillet 97, fatigué, usé par la maladie et huit opérations à cœur ouvert. C’est à Shemekia désormais de faire vibrer sur scène le nom des Copeland.
Keep it up, Baby Clyde.
Philipp"

SC :
(émue et souriante) Merci.

 
 
Shemekia Copeland

Interview de Shemekia Copeland

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos : Frankie Bluesy Pfeiffer

Déjà 15 ans de carrière, quatre albums, une nomination aux Grammy Awards et 5 prix aux W.C. Handy Awards à l’actif de la jeune et belle Shemekia, fille du légendaire Johnny Copeland. A force de travail, celle qui aurait pu se faire clouer au pilori de la critique pour être « la fille de » s’est imposée comme l’une des grandes voix féminines.
La France est encore sous le choc de sa tournée 2006 qui faisait suite à la sortie de son quatrième opus, « The Soul Truth », un putain d’album dont je me repasse en boucle Strong Enough, le slow torride qui vous fera tomber amoureux fou de cette nouvelle diva du Blues.

Difficile de ne pas parler de lui. En quelques minutes à peine, et parce que Shemekia en porte aussi le nom, la conversation dérive sur l’autre Copeland, celui qui a fait du nom de famille un nom légendaire : Johnny Clyde Copeland.

BM : Cela ne te dérange pas, à force, que l’on te parle toujours de ton père ?
SC :
Pas du tout…(silence) Au contraire. Il a eu une telle influence sur ma carrière,…et sur ma vie. C’était mon père, tout d’abord !

BM : Et de porter le nom de Copeland, cela n’a-t-il pas été un problème pour toi ? Ou est-ce que cela t’a plutôt aidé ?
SC :
Tu sais, être la fille de quelqu’un qui est connu peut faire croire à des gens que tout est plus facile, mais pas du tout. Au contraire, même. Les gens t’attendent au tournant, ils font très attention à ce que tu fais, et si tu ne travailles pas dur, ils te cartonnent sans hésiter. Et quand tu y arrives, après avoir travaillé encore et encore, ils vont dire que c’est parce que tu es ‘la fille de’ (large sourire). Comme quoi, tu vois, il faut toujours travailler dur, et être fière de porter un nom comme celui de mon père.

BM : Il fallait donc ‘te faire’ un prénom…
SC :
Tout à fait,…et je pense qu’avec tout le travail que j’ai fait depuis dix ans,…et même plus,…j’y suis arrivée.

BM : Il y a presque dix ans, justement, tu sortais ton premier album. A quoi attribues-tu le succès qu’il a connu ?
SC :
(rire) A mon travail… !

BM : Mais tu n’avais même pas vingt ans quand tu l’as sorti…
SC :
C’est vrai, mai cela faisait des années que je travaillais comme une forcenée pour y arriver.

BM : Comme une forcenée ?
SC :
(rires) Oui, mais aussi et surtout avec beaucoup de plaisir ! Lorsque tu es enfant et que tu vois dans ta maison des musiciens aussi connus et aussi talentueux que Clarence Gatemouth Brown qui viennent pour jammer et chanter, tu ne peux que prendre du plaisir à travailler. Chez nous, la porte était toujours grande ouverte aux amis de papa.

BM : Aux amis connus, mais aussi aux amis moins connus à l’époque, comme Philipp Fankhauser.
SC :
(large sourire) Tu le connais ?

BM : Oui, nous l’avons rencontré à Bern puis suivi en concerts à Zürich et à Paris, au New Morning. Philipp avait une relation privilégiée avec ton père…
SC :
Oui,… Papa lui avait ouvert les portes de notre maison et Philipp a habité plusieurs mois chez nous. Il tournait beaucoup avec Papa et entre eux il y avait quelque chose de plus que de l’amitié. C’était comme si Philipp était devenu son fils.

BM : Tu as d’ailleurs rédigé les notes de son album, Talk To Me.
SC :
Oui. Je l’ai fait parce que j’aime beaucoup sa voix et son jeu de guitare,….qui sonne un peu comme celui de mon père. J’espère d’ailleurs qu’on se reverra très bientôt pour chanter ensemble. J’adore chanter avec Philipp.

BM : Philipp nous a également expliqué que tu étais venue très tôt rejoindre ton père en tournée, pour lui permettre de se reposer un peu pendant les concerts car il était de plus en plus malade. Est-ce cette expérience de la scène qui t’a incité à faire carrière ?
SC :
Tu sais, lorsque tu grandis dans une maison où se croisent plein de musiciens, dans une maison où tout le monde chante aussi, tu vis le chant, et autrement que dans les écoles de chant. A la maison on chantait du blues, du soul, du gospel, et ça, tu vois, c’est plus que du chant,…ça touche à l’âme d’une maison…et à l’âme de ceux qui y viennent. (silence) Pour répondre à ta question : je pense que mon père a toujours su – a toujours su, et non pas pensé – que je serais chanteuse, alors que moi je ne le voulais pas vraiment. J’étais quelqu’un de timide,…d’ailleurs Philipp pourrait te le dire ! (sourire)

BM : Mais tu as pris beaucoup d’assurance depuis… !
SC :
Oui,…oui, c’est vrai que j’adore être sur scène et chanter. Quand j’étais petite, je ne voulais même pas que les gens me regardent pendant que je chantais,…et je peux te dire que cela a été très dur pour moi les premières fois qu’il a fallu que je monte sur scène ! (sourire)

BM : Tu as sorti ton quatrième album, « The Soul Truth », presque dix ans après le premier, « Turn The Heat Up », qui était beaucoup plus blues. Pourquoi ce changement de son ?
SC :
Comme je te l’ai dit, j’ai grandi dans une maison où l’on chantait du blues, mais aussi du soul et du gospel. Pourquoi devrais-je me limiter au blues ? Ou plutôt à un type de blues ? Non, j’ai tout cela en moi, le blues, le soul, le gospel. Tout comme j’aime le hip-hop.

BM : Et le rock aussi ! Ton second album, « Wicked », en était bien imprégné, non ?
SC :
(sourire) Imprégné ? Non,…je dirais plutôt qu’il sonnait blues-rock. Tu vois, j’ai toujours refusé de rester figée sur un son, un style. Je suis jeune et c’est maintenant que je peux prendre tous les risques et essayer tout ce que je peux essayer comme sons et ambiances. Voilà pourquoi j’ai décidé de changer le son et l’atmosphère de chacun de mes disques. J’ai voulu le second très blues-rock et le troisième beaucoup plus soul et funky, tandis que le dernier, « The Soul Truth », j’ai voulu qu’il sonne Memphis-soul.

BM : C’est pour cette raison que tu as choisi Steve Cropper pour le produire ?
SC :
Tout à fait. Comme j’avais choisi Dr John pour produire « Talking To Strangers ». Il me faut le producteur qui colle au son que je veux donner à l’album. C’est en travaillant ensemble, tous les deux, sur le son que je veux donner à l’album que le résultat est là, et qu’il correspond à ce que je veux.

BM : Quel sera alors le son du prochain album ?
SC :
(large sourire) Surprise…. ! Mais ce sera encore un album destiné à faire évoluer le ‘singing blues’.

BM : Ambitieux, non, comme projet ?
SC :
Il faut être ambitieux si l’on veut que le blues prenne la place qui devrait être la sienne, et je pense que cette place, le blues ne l’aura que s’il évolue, tout comme le monde évolue. On dit bien que tout ce qui ne bouge pas est « mort »,…il faut donc que le blues bouge, et si je peux l’aider à bouger je le ferais, encore et encore.

BM : L’année 2007 est une année importante pour tous les amateurs de blues, et surtout pour toi, puisque c’est le dixième anniversaire du décès de ton père. Nous avions demandé à Philipp Fankhauser, que ton père considérait un peu comme son fils, s’il n’allait pas sortir à cette occasion un album « Tribute To Johnny Copeland ». Tu sais ce qu’il nous a répondu ?
SC :
Je pense qu’il a dit non, mais qu’en même temps il en a très envie. Tu sais, lorsque tu aimes quelqu’un, tu n’as pas besoin d’attendre une date ou un jour particulier pour y penser. Philipp joue et chante sur ses albums des titres de papa et c’est pour cela qu’il n’a pas besoin de faire un album dédié à Johnny Copeland en 2007, parce qu’il pense tous les jours à lui.

BM : Nous avons demandé à Philipp de nous écrire quelques lignes sur toi. Tu veux les lire ?
SC
: Oui !

BM : Les voici :

" En 1990, pendant une tournée que je faisais avec lui en Suisse, Johnny m’a raconté avec beaucoup de fierté qu’il avait fait monter sur la scène du Cotton Club, à Harlem, sa fille de onze ans, et il a ajouté : « C’est une très bonne chanteuse ; je voudrais faire un disque de gospel avec elle et j’aimerais que tu m’aides à le produire. ».
J’ai rencontré Shemekia en 94, quand Johnny m’a invité à habiter chez lui. Elle chantait partout dans la maison, mais disait toujours qu’elle n’en ferait pas sa vie. Elle avait un sacré caractère et je l’avais surnommée « Baby Clyde », Clyde étant le second prénom de son père.
Quand Johnny a commencé à être très malade, en 95, Shemekia avait 16 ans et elle avait déjà pris beaucoup d’assurance, montant sur scène pour chanter avec moi et permettre à son père de se reposer pendant le concert. Pour moi, c’était clair : Shemekia était une super chanteuse et elle marcherait dans les pas de son père.
Faut-il y voir un signe du destin ? En 97, Shemekia signa chez Alligator Records et Johnny nous quitta peu après, le 3 juillet 97, fatigué, usé par la maladie et huit opérations à cœur ouvert. C’est à Shemekia désormais de faire vibrer sur scène le nom des Copeland.
Keep it up, Baby Clyde.
Philipp"

SC :
(émue et souriante) Merci.

Frankie Bluesy Pfeiffer
Avril 2006
BLUES MAGAZINE©
http://www.bluesmagazine.net

Shemekia Copeland