Interview de NICO DUPORTAL

Nico Duportal (2)

Interview de Nico DUPORTAL
Interview préparée et réalisée le 23 novembre 2019 par Patrick Dallongeville (Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder)
Photos: © Mélanie Niermiez, Charlotte Loupe & Thierry Wakx.
Mise en ligne: PARIS-MOVE, January 8th 2020

Nous sommes le samedi 23 novembre 2019, pour ceux que ça intéresse, et Nico DUPORTAL & the SPARKS investissent la Maison Folie Beaulieu de Lomme, une municipalité associée à celle de Lille, dont le maire (lui-même musicien) ne s’est jamais montré insensible aux musiques actuelles. Ponctuel comme de coutume, Nico m’accueille tout en déchargeant avec ses comparses instruments et amplis. Le temps de laisser à ce petit monde le répit que justifie le fardeau de la route, je retrouve un Nico aussi affable que barbu dans les loges de ce lieu.

Patrick Dallongeville: Bon, Nico, on ne va pas tourner autour du pot, je n’irai pas par quatre chemins, allons droit au but, en un mot comme en cent: tu viens de publier un nouvel album, “Dog, Saint And Sinner” (*), que peux-tu nous en dire?

(*) retrouvez la chronique de cet album de Nico Duportal sur le site PARIS-MOVE, ICI – un album noté “indispensable” par la rédaction de PARIS-MOVE.

Nico DUPORTAL: Sur le plan vestimentaire, c’était complet jeans pour tout le monde… À part ça, j’ai commencé à en écrire les morceaux il y a trois ans, sans vraiment savoir au départ ce que j’allais en faire, car c’est beaucoup moins blues et rock n’ roll que mes précédents albums. C’est un disque qui parle de ce que je connais, en essayant de mixer le plus large panel de mes influences. À savoir, bien entendu, pour l’essentiel les musiques roots américaines. Je savais précisément les arrangements et le son que je désirais, mais je ne me suis pas franchement imposé de limites stylistiques pour autant. De toute façon, je savais bien que ce ne serait pas de la salsa.

La prochaine fois, peut-être?

Qui sait (rire), on verra bien…

Bon, et à part ça, symboliquement, ta formation ne s’intitule plus Nico Duportal & The Rhythm Dudes, mais Nico Duportal & The Sparks. Une explication, peut-être?

Rhythm Dudes, pour moi, ça a vraiment une connotation “Rhythm Kings”, tu vois, les groupes de Ike Turner, ancrés dans le rhythm n’ blues fifties et tout ça. De toute façon, les Rhythm Dudes s’arrêtaient, on a donné les derniers concerts sous cette formule le 31 décembre 2018. Et moi, j’avais ce disque en tête, et pour bien en différencier la couleur, je voulais trouver un nom un peu moins compliqué à prononcer pour les gens, et qui ait une certaine consonance avec ce que j’ai envie que ma musique dégage, que ce soit sur disque ou sur scène. Et le côté étincelant, pour moi, ça signifiait plein de choses, que ce soit l’étincelle du cœur ou celle de l’âme, voilà.

Tu sembles être quelqu’un d’assez fidèle et déterminé dans tes choix. Comment décrirais-tu ta trajectoire, depuis tes débuts dans le Sud avec Rosebud Blue Sauce, jusqu’à ton implantation sur notre bonne vieille Côte d’Opale?

Pour tout te dire, on m’aurait prédit ça il y a 25 ans, je ne l’aurais jamais cru. Déjà, je n’aurais jamais imaginé pouvoir un jour gagner ma vie en tant que musicien. Ensuite, j’ai sûrement eu parfois la chance de me trouver au bon endroit, au bon moment, si tu évoques par exemple mes rencontres avec quelques uns de mes héros guitaristes de la grande époque. Après, je ne me sens pas particulièrement en mesure de l’analyser, mais c’est vrai que quand j’ai une idée en tête, c’est compliqué de me la mettre ailleurs (bien que j’écoute, quand même)… Maintenant, j’ai la chance d’être payé pour faire de la musique, on me donne de l’argent pour être créatif, et j’ai donc décidé depuis deux ans de me montrer le plus créatif possible. Quand je me suis mis à faire de la musique, c’était pour être libre, et par conséquent je reste en effet déterminé dans ce choix de liberté. Je suis en tout cas très reconnaissant de ce que m’ont apporté tous les gens que j’ai pu rencontrer depuis le début des années 2000, et je crois en effet que j’ai eu de la chance, oui.

Eh bien, parlons-en, justement. Tu te produis régulièrement aux États-Unis, chose encore peu courante pour un musicien français. Comment es-tu considéré, là-bas?

Je crois qu’il y a des statues à mon effigie un peu partout dans East L.A., du moins c’est ce qu’on m’a dit (rire)…

Oui, j’en ai entendu parler aussi.

En fait, ce sont des mini-statues, un peu comme les répliques miniatures de la Tour Eiffel…

Il me semble en avoir aperçu une ou deux en effet, ça ressemble un peu à des nains de jardin.

C’est pour ça que je porte un bonnet en ce moment, pour que les gens en Californie me reconnaissent bien… Non, plus sérieusement, je pense que pour eux, quand tu es Français, déjà, c’est formidable. Même s’ils ne savent pas forcément situer la France sur une carte, ça représente un côté exotique. Ils sont toujours super étonnés de la culture qu’on a chez nous, en Europe, parce qu’ils connaissent quand même des gars comme Marc Thijs (NDR : ex-guitariste des belges Electric Kings, qui a depuis longtemps sauté le pas en tournant avec des artistes blues et soul américains) ou Walter Broes (guitariste-leader des Seatsniffers, autre roots n’ roll band flamand). Tu vois, on parlait de B.B. & The Blues Shacks, ils les connaissent, là bas. Ils sont aussi de grands fans de Sven Zetterberg (prodige suédois de la guitare west-coast, hélas disparu fin 2016 à 54 ans), qu’ils connaissent très bien, et moi, c’est sans doute aussi grâce à ces gens-là que j’ai gagné un peu de crédibilité là-bas. Il y a maintenant plus de quinze ans qu’ils ont réalisé qu’en Europe, il se passait quand même des trucs, et qu’il s’y trouvait également des musicens qui tenaient la route pour jouer ces musiques qui tournent autour du blues.  En ce qui me concerne, je crois que je suis considéré comme un bon musicien européen, ni plus ni moins qu’un autre. Mais quand un gars comme Kid Ramos fait le déplacement avec son ampli et sa guitare pour jouer avec toi parce qu’il a appris que tu te produisais quelque part, c’est vraiment qu’il en a envie, quoi. Forcément, moi, je traduis ça comme une certaine forme de reconnaissance, mais j’en fais pas tout un plat. Ce sont des relations normales, comme celles que je peux avoir avec d’autres de mes héros comme Marc Thijs ou Walter Broes. On parle, on joue de la musique ensemble: on est des gens normaux, quoi. Maintenant, quand je réalise que des gens se déplacent pour m’entendre jouer quand je tourne là-bas, forcément, ça me fait aussi chaud à mon petit cœur.

Tu t’y produis dans des lieux de quelles jauges, à peu près ?

Eh bien, des lieux de toutes tailles. J’ai fait le Doheny Blues Festival, c’est tout de même une belle scène, mais je fais aussi pas mal de clubs, et puis il y a des mecs qui m’embauchent pour tourner avec eux. Moi, ce qui m’intéresse là-bas, c’est de jouer partout, de m’en prendre plein les yeux et plein les oreilles. J’y laisse dans ma poche ce que je crois déjà savoir, et je regarde et écoute beaucoup les autres. Donc, je ne prétends à rien, sauf à partager de super moments, et si à l’occasion on m’invite à jouer de la guitare ou à chanter, eh bien, je le fais, quoi. Le disque avec les Mannish Boys, par exemple, je ne m’attendais absolument pas à ce que ça arrive, mais voilà (“Wrapped Up And Ready”, en 2014, sur le défunt label Delta Groove)… C’est cool, hein!

Tu parles, j’en connais qui tueraient pour des plans comme ça! Justement, parallèlement à ta carrière sous ton nom (j’allais dire en tant que leader, mais je parie que tu n’aimes pas ce mot), tu accompagnes d’autres artistes américains sur scène. On t’a ainsi récemment vu aux côtés de San Pedro Slim, puis de Sax Gordon, mais il y a eu aussi Big Jay McNeely. Qu’est-ce que t’apporte ce genre d’expériences?

Eh bien, au risque de me répéter, je suis hyper-reconnaissant de pouvoir jouer avec ces gens-là. C’est ce que je disais récemment à Gordon, parce qu’on est devenus vachement proches, ça fait quelques tournées qu’on fait ensemble, et on vient d’ailleurs d’enregistrer son prochain disque. Je lui disais qu’à 43 ans, tu apprends encore: te plier un peu à la façon de jouer du gars qui est devant, c’est super. Que ce soit en sortant de scène ou du studio, je me dis: “wow, j’ai encore appris des trucs, je suis trop content!”, alors que ce n’est pas la musique que je joue avec mon groupe. Ce sont deux choses différentes, mais j’y prends plaisir. J’adore écrire mes chansons et faire mes trucs et mes arrangements, mais j’apprécie également  de partir huit jours en tournée avec Gordon. J’en reviens fatigué, mais heureux de ce que j’y ai appris. Big Jay, je t’en parle même pas, parce que là, tu as tout le truc un peu historique de l’idiome, tu vois. J’ai joué avec lui aux États-Unis dans un club chicano d’East L.A. où c’était chaud, mais alors vraiment très chaud, et c’était un truc magique, quoi. C’était totalement improbable: toi, t’es là à 37 ans avec ta guitare, tu viens de France, et t’es pratiquement le seul Blanc. Les seuls mecs qui n’appartiennent pas à cette communauté, ce sont quelques musiciens, et Big Jay était une énorme star pour eux. Oui, celui-là, c’était vraiment un sacré bonhomme, je suis vraiment chanceux d’avoir pu faire ces trucs-là avec lui… Quant à “Pedro” (San Pedro Slim), comme on l’appelle là-bas, c’est juste le Charles Bukowski du blues, donc ça me plait (NDR: de son vrai nom David Kiefer, ses chansons s’articulent autour des galères vécues par un musicien trop sincère et passionné pour savoir gérer une carrière professionnelle à plein temps. San Pedro Slim partage ainsi avec ses auditeurs les aléas du logement précaire, des visites chez l’usurier et de l’instabilité matrimoniale). Il apporte un certain recul par rapport aux choses de la vie, et quand il joue le blues, c’est souvent super (même si parfois ça l’est un peu moins), mais je suis toujours heureux de jouer cette musique avec lui, parce ça sonne toujours hyper-naturel. Il n’a pas ce côté un peu rigide que l’on trouve parfois chez certains artistes américains. Lui, c’est…

Loose?

Oui, complètement, et il est comme ça, de toute façon. La première fois que j’ai joué avec lui, il habitait San Pedro. San Pedro, c’est le port de Los Angeles, et il s’y produisait tous les dimanches soir au Godmother’s Saloon. C’est le bar où Bukowski avait ses habitudes, puisqu’il était du coin, et c’était la fierté de Pedro, comme il en est un grand fan. Ce sont de vrais caractères en fait, ça se ressent dans leur musique, et moi, c’est ça qui m’intéresse. Au contact de types pareils, j’apprends tout le temps, et j’espère que ça continuera ainsi jusqu’à mes derniers instants.

Que l’on te  souhaite le plus tardifs possibles, bien entendu! Puisque tu mènes depuis quelques années déjà une carrière internationale, dans quels pays reçois-tu le meilleur accueil?

J’aime bien jouer en Belgique. En Allemagne aussi, ainsi qu’en Espagne et en France également bien entendu. Mais j’aime surtout jouer en Belgique, parce que c’est à côté de chez moi (sourire)!

J’habite moi aussi à deux pas de la frontière belge, et je dois à la Belgique une bonne part de ma culture blues. Ca a toujours été un pays rêvé pour y faire des découvertes, ne serait-ce que par leurs radios, mais aussi leurs clubs et festivals, sans oublier bien sûr les musiciens fantastiques qui y foisonnent…

Tu as raison, et d’ailleurs, une part importante de ma propre culture blues vient de ce fanzine franco-belge, BluesBoarder. (NDR : mensuel à tirage limité, animé pendant près de 17 ans par des rédacteurs bénévoles transfrontaliers).

Tu blagues?

Non, non, c’est sérieux. À l’époque, dans les années 90, dans le Lot où j’habitais alors, il n’y avait pas vraiment d’autre moyen de se connecter avec toute cette scène.

Vraiment? Tu n’avais pas accès à internet?

Ben non, tu sais, là bas, on n’a eu l’électricité et le téléphone que tout récemment (rire)!

Mon pauvre ami, comme tu as du souffrir… Crois-tu que tu pourrais un jour atteindre une plus grande reconnaissance dans notre bel Hexagone ? Je veux dire, des gens comme Patrick Verbeke ou Benoît Blue Boy sont restés cantonnés à ce que les professionnels appellent un public de niches, et seuls Paul Personne et Bill Deraime ont quelque peu accédé à un public plus large…

Je pense que les gens se sont fait une idée préconçue de certains de ces quatre là, avant même d’avoir écouté leurs disques ou de les avoir vus sur scène. Je ne vais te parler que de celui d’entre eux que je connais le mieux, à savoir Benoît. On a une affection particulière l’un pour l’autre, tant sur le plan musical qu’humain. Pas plus tard qu’hier soir, on se produisait au Café de la Danse à Paris pour le lancement de l’album, et j’ai invité Benoït à se joindre à nous sur scène. Avant qu’il ne se mette à jouer, je l’ai présenté qu public, et j’ai bien dit qui il était, à l’intention de ceux qui ne le connaîtraient pas. Et je pense que si Benoît n’avait pas été là, les petits gars de ma génération n’auraient peut-être pas eu l’opportunité de découvrir les musiciens de la Louisiane ou de Bâton-Rouge et du Texas, tu vois. Pour moi, Benoît, il en a toujours sous le coude, quoi. Mais malheureusement, pas mal de gens ont de lui cette image, comment dire sans que ça paraisse péjoratif…?…

Folklorique?

Non, parce que folklorique, en soi, ça ne me dérange pas… J’en parlais justement il y a une semaine avec Nadia (Sarraï-Desseigne, attachée de presse émérite), parce qu’on va enregistrer ensemble le nouvel album de Benoît au mois de janvier, et c’est elle qui va certainement défendre un peu le truc… Parce que Benoît, tu vois, il faut quand même rendre à César ce qui appartient à César. Même si lui, il s’en fout, moi, je suis sûr que je n’aurais jamais écouté Slim Harpo si je n’avais pas entendu des trucs de Benoît, quoi. Donc, tout ça pour dire que ces histoires d’image, tout compte fait, on s’en fout. Quant au devenir mainstream, disons un peu plus populaire de cette musique, malheureusement, je ne suis pas certain que les choses vont énormément changer. Je pense que c’est cyclique, tu l’as bien vu avec les films produits par Scorcese il y a quelques années. Tous les cinq à huit ans, il y a un regain d’intérêt pour le blues, mais ça ne dure en général jamais longtemps. Je ne suis pas certain qu’en essayant de rendre le blues plus accessible, on y gagne vraiment quoi que ce soit.

Le danger, c’est la standardisation, non? Le cliché des douze mesures…

C’est un peu ça, oui, il y a beaucoup de clichés. Au départ, avec les Rhythm Dudes, quand on se pointait sur scène avc les costards et les cheveux gominés, les gens faisaient “ah, OK, c’est du rockabilly”… Désolé, mais non, ouvre tes oreilles: il n’y a jamais eu de rockabilly avec du piano et deux saxes, quoi. Moi, mes héros, c’était Walter, Muddy Waters, Ike Turner et Johnny Guitar Watson, c’est pour ça que je portais des costards et que je me gominais les cheveux. On parle de clichés, là pour le coup, c’en est un bon. Pour rebondir sur ce truc de Sparks, ce qui est cool, c’est que les gens sont un peu paumés, en termes de repères. Hier, j’en discutais avec des personnes qui ne nous connaissaient pas, et qui sont donc allées se renseigner sur internet, et au moins, elles ne s’y sont pas trouvées face à ce mur de clichés. Elles ont dès lors plutôt tendance à écouter d’abord, et après, si ça leur plait, elles viennent, et sinon elles restent chez elles, mais au moins elles se font leur opinion par elles-mêmes. Les gens, dans leur vie de tous les jours, que ce soit en écoutant de la musique ou au boulot, ont besoin de repères. Moi, ce qui m’amuse avec Sparks, c’est qu’en fait, je m’en fiche, quoi. Parce que j’aime autant Willie Nelson que Clarence Carter et Mavis Staples que Lightnin’ Hopkins Je n’ai rien à prouver, sauf peut-être à moi-même. À 43 ans, faut que je fasse ce que j’ai envie de faire, et que je dise qui je suis réellement.

Si ce n’est pas une conclusion, ça!

Propos recueillis et transcrits par Patrick DALLONGEVILLE