Interview de Joep Pelt

Interview préparée et réalisée par : Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos de concert : Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos en extérieur : Lucky Sylvie Lesemne

Lundi 8 octobre. Un Café de la Danse rempli à bloc applaudit à tout rompre un jeune batave de même pas trente ans qui vient, seul à la guitare électrique, d’offrir un set magistral d’un peu plus de trente minutes de pur Delta Blues.

C’est à Amsterdam que nous avons retrouvé Joep, qui, du haut de ses deux mètres et quelques, va nous donner dès le début de notre entretien les clefs qui expliquent sa plongée dans le Delta Blues. Mais Joep ne chante pas pour autant les désespoirs du Mississippi et du Blues d’avant-guerre, il compose autour de son propre monde, désignant sa musique comme étant du 'Gaasperdeltablues', du nom du lac Gaasperplas situé près de chez lui.

Joep Pelp liveBlues Magazine : Tu es jeune, moins de trente ans au compteur, et déjà trois albums à ton actif, dont le fameux I Yougoba, avec Lobi Traoré. Comment tout cela a-t-il commencé ?
Joep Pelt : J’ai commencé à jouer de la guitare à 13 ans, mais j’ai toujours baigné dans un environnement musical car mon père avait des centaines de LP, dont beaucoup d’albums des 60’s et 70’s, ainsi que pas mal d’albums de Blues. C’est mon troisième prof de guitare qui fut le bon – les deux premiers, je ne les ai pas gardé longtemps (sourire) – et qui m’initia au Delta Blues.

BM : Comme tout jeune guitariste tu as rapidement monté tes premiers groupes, ou pas ?
JP : Oui, j’ai monté un groupe de métal rock, puis j’ai fait du Hip Hop, puis à nouveau du rock dans le style Nirvana.

BM : Et c’est toi qui composait les chansons ?
JP : Oui, mais le rock ce n’était pas trop mon truc et à 16 ans je me suis lancé à fond dans le Delta Blues. Regarder un jeune blanc jouer du vieux blues devait plaire car j’ai pu aligner rapidement plusieurs concerts à Amsterdam. En 1997 le National Pop Institute a mis deux de mes chansons sur le CD ‘Characters’ et le succès que nous avons rencontré lors de nos tournées en Hollande m’a conforté dans la musique que je sentais vibrer en moi.

BM : C’est alors que tu as décidé de partir pour le Mississipi ?
JP : Oui… J’y suis allé deux étés de suite, grâce à mon père qui croyait totalement dans ce que je faisais. Pour m’y préparer j’avais fait une longue liste de tous ceux que je voulais absolument rencontrer, et elle était longue, cette liste. (sourire) J’ai eu la chance de jouer là-bas avec de nombreux musiciens, comme R.L. Burnside, Willie Foster, T-Model Ford, Eugine Powell, Bud Spires, Elmo Williams, Cedell Davis, Sam Carr, Frank Frost, et pas mal d’autres encore,…car pour moi, joueur de Blues, il était vital d’aller là-bas et de ‘vivre’ la musique que je joue. Beaucoup ont été très touchés, émus en regardant un jeune blanc jouer leurs chansons, et que eux-mêmes n’avaient même pas en disque. C’était très stimulant pour moi d’être en leur compagnie et j’ai beaucoup appris en jouant avec eux. J’ai vécu des moments exceptionnels,…surtout que pas mal d’entre eux sont morts depuis.

BM : Tu as fait des enregistrements de ces rencontres ?
JP : Oui, j’ai des dizaines de cassettes, que j’essaye de rebasculer sur ordinateur,…quand j’ai le temps. (sourire)

BM : Ces enregistrements qui sont indéniablement de valeur historique ne te donnent-ils pas envie de sortir un ou plusieurs CD… ?
JP : Oui,….peut être…. Mais le problème c’est que ce sont des enregistrements faits sur un banal enregistreur de cassettes, et donc pas en stéréo. Et puis écouter et trier toutes ces cassettes, cela représente un boulot de fou…(rire). Tu sais, tous ces moments que j’ai vécu font partie de moi et je n’ai aucun besoin de les transférer sur disque. Et puis il y a aussi tout ce qu’il y avait ‘avant’ et ‘autour’ de ces moments musicaux, comme par exemple aller dans des quartiers où on recommandait aux blancs de ne surtout pas mettre les pieds sous peine d’être volé ou abattu – dans cet ordre ou dans l’autre (sourire). Et moi j’y suis allé, dans ces quartiers, et on m’y a toujours accueilli à bras ouverts !  C’est vrai qu’à certains moments j’aurais pu me dire « Tiens, tu es le seul blanc dans ce club… », et alors ? (rire).

BM : Tu as eu l’occasion de rejouer avec certains de ces musiciens depuis ?
JP : Oui, avec R.L. Burnside par exemple, à chaque fois qu’il venait en Europe. Malheureusement, pas mal d’entre eux sont morts pendant ces dix années, et je dois dire que j’ai été très heureux, très fier aussi d’avoir pu jouer avec ces légendes du Delta Blues,… et de pouvoir leur rendre hommage en continuant à jouer ce blues.

BM : En y apportant ta touche perso…
JP : Tout à fait. C’est pour cela aussi que je suis allé au Mali ; pour y trouver d’autres influences.

BM : Pourquoi le Mali ?
JP : Parce que le Mali est fantastique,….déjà sur le plan musical. Il y a là-bas tellement de bons, de très bons musiciens, et d’excellents chanteurs. Tu me croiras ou pas, mais c’est au Mali que j’ai entendu le nouvel Otis Redding… ! Un mec avec une voix absolument fantastique. Et que personne n’a jamais entendu en Europe.

BM : Tu y as rencontré Ali Farka Touré…
JP : Oui. Cela a été un grand honneur,…et un grand plaisir de jouer avec lui !

BM : Comment cela s’est-il fait ?
JP : (large sourire)  Ce fut une aventure, comme dans un film : on est arrivé, mon père et moi, à Bamako, et on a voulu prendre le bateau pour rejoindre Niafunké, le village où habitait Ali Farka Touré, mais comme nous n’étions pas en saison touristique il n’y avait plus de bateau. Alors on s’est mis à chercher n’importe quel bateau en partance pour Niafunké, et on a fini sur un petit bateau rempli de marchandises – de mobylettes et de plein d’autres choses, dont des barils de gas oil,….et les mecs fumaient des cigarettes sur le bateau tout en l’écopant avec de grandes bassines pour le vider de l’eau qui remplissait la coque et qui, lorsqu’il y en avait de trop, faisait stopper le bateau contre le fond de la rivière. C’était dingue ! (rire) Et au lieu des deux jours annoncés, on a mis 4 jours pour arriver à Niafunké.

Mais le plus dingue, c’est qu’à un moment, au soir du quatrième jour, l’un des gars sur le bateau a mis une cassette et c’était une chanson de Ali Farka Touré. Je me suis redressé et je me suis dit : çà y est, on arrive ! Et j’ai vu au loin le village… Ce fut un moment intense de découvrir ce village où tout est lié à Ali Farka Touré : il y a le garage Ali Farka Touré, l’école Ali Farka Touré, l’hôtel Ali Farka Touré,… On est allé tout de suite à l’hôtel et j’y ai pris la meilleure douche de ma vie, avant de dormir un peu. Une fois sorti de ce ‘coma’, on est allé chez Ali Farka Touré, qui nous a reçu très gentiment. Comme j’avais ma guitare avec moi, je lui ai joué ce que je savais jouer, du Delta Blues. Ali Farka Touré m’a écouté puis a pris sa guitare et nous avons joué ensemble. Puis il s’est levé et m’a dit : "Tu vas chercher tes affaires et tu viens avec moi à Bamako, car je dois partir cet après-midi même pour Bamako pour l’enregistrement de mon album."

On est allé chercher nos affaires et on est reparti avec Ali Farka Touré pour Bamako,….mais en avion, et en faisant en une heure le trajet que nous avions fait en 4 jours en bateau ! (rire)

BM : Et comment cela s’est-il passé à Bamako ?Joep live
JP : Ali Farka Touré était tellement sollicité, demandé, entouré, que j’ai préféré m’éclipser. Et puis il y avait aussi les contraintes liées à l’enregistrement d’un album ; ma présence ne pouvait donc que le gêner. J’ai pris ma guitare et je suis parti…

BM : Pour aller à la rencontre de Lobi Traoré ?
JP : Avant de partir pour le Mali j’avais acheté tous les CD que j’avais pu trouver de tous les musiciens maliens que j’avais mis sur ma liste – hé oui, toujours mes listes (large sourire). Et j’avais donc écouté tout ce que j’avais pu trouver de Lobi Traoré. La première fois que je l’ai rencontré, il jouait dans un petit festival, un événement local où plein de musiciens différents montent sur scène et jouent avec qui ils veulent, et là, je l’ai vu jouer avec un vrai groupe, c'est-à-dire avec un bassiste, un batteur, un percussionniste et un autre guitariste. Ce n’était pas du tout le style de musique que j’avais entendu sur ses enregistrements : c’était électrique, puissant, et cela faisait danser tout le monde… ! J’étais épaté et je me suis dit que oui, c’est avec un mec comme celui-là que je veux jouer. Alors le lendemain je suis allé chez lui, et va chercher quelqu’un dans un quartier où il n’y a pas de nom de rue et pas de numéro aux maisons….(rire).

Mais comme tout le monde là-bas est comme une grande famille, on m’a conduit jusque chez lui. Je lui ai joué ce que je sais jouer, du Delta Blues, et immédiatement il m’a dit qu’il adorait çà ; il a pris sa guitare et on a joué ensemble, comme çà, pendant des heures. Il m’a demandé ensuite si j’étais d’accord pour enregistrer une cassette avec lui – car là-bas, au Mali, on enregistre des cassettes plutôt que des CD car tout le monde possède un lecteur de cassettes. Mais comme je devais rentrer et que je n’avais plus d’argent, je lui ai dit que j’allais revenir et qu’on ferait un disque ensemble. Il m’a sourit, poliment, car il avait du en entendre des promesses comme la mienne, de la part de gens qui n’étaient jamais revenus.

BM : Mais toi, tu es retourné au Mali. Tu as tenu parole.
JP : Un an plus tard je suis reparti pour le Mali, pour 8 jours, pour y enregistrer une démo avec des titres à lui et des titres à moi. On a enregistré 4 chansons, en live, en 3 jours, puis je suis rentré à Amsterdam pour présenter la démo et trouver l’argent nécessaire pour monter le projet. La démo a beaucoup plu et je suis reparti au Mali pour un mois et y enregistrer de quoi faire l’album ‘I Yougoba’.

BM : Comment deux styles aussi différents que les vôtres ont-ils pu vous rapprocher ?
JP : Parce qu’aucun de nous n’a cherché à copier l’autre, ou à l’influencer, mais plutôt à lui apporter quelque chose. Nos styles très différents ne se sont pas opposés mais complétés, et çà, c’était magique ! Nous avons joué tous les titres de l’album à un festival sur le fleuve Niger, devant des milliers de personnes, et tout le monde s’est mis à danser, à chanter. C’était magique !

BM : Et le fait qu’un jeune blanc joue avec des musiciens noirs n’a posé aucun problème ?
JP : Si, mais uniquement pour les quelques blancs rencontrés à Bamako et qui ne cessèrent de me répéter de ne surtout jamais aller avec ces gens-là,…et de ne surtout pas les suivre dans ces quartiers-là ! Mais le public, le peuple africain, est beaucoup plus tolérant et plus amical que ces blancs que j’ai croisés en Afrique. Jamais je n’ai eu un seul problème au Mali sous prétexte que je suis blanc.

BM : Quand on t’écoute parler du Mali, on te sent très proche de ce pays…
JP : Oui,… D’ailleurs j’apprends le Bambara. (large sourire)

BM : Tes projets immédiats : retourner au Mali ?
JP : (les yeux brillants) Oui,….parce que le Mali est devenu comme une partie de moi. Je l’ai là, dans le cœur, et Lobi est un mec tellement formidable que je sais que nous ferons d’autres choses ensemble. Mais j’ai aussi un autre projet : mon prochain album solo, et dans quelques mois la promo du nouveau CD de mon groupe, Pelt, dont nous avons terminé l’enregistrement.

BM : Quel style aura ce prochain album solo ?
JP : J’irai l’enregistrer à Austin, au Texas, avec des guitaristes et des musiciens country.

BM : Et produit par Mike Stewart ?
JP : Oui. J’aime beaucoup travailler avec lui.

BM : Toujours cette obsession du mélange des genres…
JP : Oui, toujours cette envie de découvrir d’autres styles et d’autres jeux de guitare pour élargir et enrichir le mien. J’ai écouté beaucoup de guitaristes qui jouent de la country et j’ai très envie de faire quelque chose avec plusieurs d’entre eux, comme je l’ai fait avec Lobi Traoré. Mais surtout sans les copier ou essayer de jouer comme eux,…en faisant quelque chose ‘avec’ eux. Et çà c’est quelque chose qui me tient à cœur : réussir un truc en mélangeant deux styles, en les faisant se compléter.

Frankie Bluesy Pfeiffer
Octobre 2007
BLUES MAGAZINE©
http://www.bluesmagazine.net

Joep Pelt