Interview de Jean Sangally

Reportage et photos : Lucky Sylvie Lesemne

La preuve est là, face à moi. Indiscutablement, le Cameroun est l’un de ces creusets magiques d’où sortent des bluesmen qui savent allier talent et émotion. Après Roland Tchakounté et son Blues coloré chanté en bamiléké, ma route a croisé celle de Jean Sangally, joueur de guitare et chanteur de Blues dont la chaleur de la voix fait remonter à la surface les teintes chaudes de l’Afrique noire mais aussi et surtout un homme attachant au sourire large comme ça, un ami au cœur gros comme ça, un de ces personnages que l’on croise seulement une ou deux fois dans sa vie et que l’on aimerait avoir comme frère…

Donner du plaisir à ceux qui viennent l’écouter : tout chez Jean Sangally tourne autour de ce principe, car la musique a toujours fait partie de son quotidien. Un quotidien fait de sourires, de rires, de tout ce qui vous fait dire que vraiment, elle est belle cette vie ! Né au Cameroun, Jean est plongé très tôt dans un bain musical familial :

JS : Quand j’étais gamin et comme beaucoup d’enfants africains, j’accompagnais ma grand-mère, qui chantait des ritournelles dont le rythme, et cela je l’ai découvert un peu plus tard, ressemblait étrangement au Blues que je joue maintenant. C’est aussi vers trois ou quatre ans que j’ai entendu un vieux chanteur guitariste, Nzie Cromwel, et c’est à cause de lui que j’ai décidé de devenir un jour guitariste, moi aussi. Et puis j’avais un oncle qui était un très grand artiste au Cameroun, dans les années 20 et jusqu'à la fin des années 60. Il jouait de la musique africaine dans le même style que Big Bill Broonzy.

BM : Et cet oncle, tu l’as rencontré ?
JS :
Oui,… En 68 et en 69, c’est même moi qui allais poser les affiches pour ses concerts ! (rires). Tu sais, il avait la manie de se mettre souvent un crayon derrière l’oreille et tout le monde lui trouvait une élégance folle…(rires). Je l’ai même vu une fois danser des pas de danse que je n’avais jamais vus et je me suis dit que c’est comme cela que devaient danser nos grands-parents. Ce sont des souvenirs lointains, mais très forts. C’est lui, et trois autres personnes proches de ma famille, qui m’ont initié à la guitare. D’ailleurs je possède encore des enregistrements sur cassettes de l’un d’eux, et que j’écoute souvent, car rien ne peut nous couper de ces années là, de ces racines qui sont toujours en nous. Et puis il y avait aussi Beau Jeannot, un garçon qui avait 6 ou 7 ans de plus que moi et avec qui j’ai joué. C’était un guitariste exceptionnel et qui faisait des chansons qui étaient des tubes, parce qu’elles racontaient l’indépendance, l’histoire de mon pays, du Cameroun. Ce sont toutes ces personnes là qui m’ont influencé,…mais, vois-tu, la musique c’est quelque chose qui est dans notre tête, dans notre cœur, dans notre âme. Et si je suis allé vers la musique, et le Blues, c’est peut être aussi parce que j’y étais prédestiné.

BM : Peut être aussi parce que le Blues est une musique avec une forte essence africaine ?
JS :
Oui, bien sûr… ! Tu sais, lorsque je suis arrivé en Europe et que j’ai écouté B.B. King, je savais que c’était la musique que j’allais jouer, parce que cette musique là, celle que jouait B.B. King, elle avait les mêmes résonances que celle que j’avais entendue, puis jouée, au Cameroun,…autant dans le chant que dans la guitare. Finalement je suis arrivé au Blues de manière presque naturelle, sans effort,…mais je peux te dire que j’en fais des efforts pour répéter tous mes titres et pour jouer un Blues qui donne du plaisir aux spectateurs ! (rires) Hé oui, je travaille,….et je travaille encore, et encore. Ce n’est pas parce que j’ai eu des facilités au départ que cela me dispense de travailler… ! (rires)

BM : Tout comme tu as beaucoup travaillé pour pouvoir chanter en français,…et en anglais.
JS :
Oui, parce que le Cameroun est une ancienne colonie allemande. Mes grands-parents parlaient allemand. Ce n’est qu’après la première guerre que le pays a été transféré à la France et à l’Angleterre. Le français, j’ai commencé à l’apprendre et à le parler en allant à l’école. C’est là que nous, enfants africains, nous avons découvert toute cette civilisation occidentale, et européenne surtout. Ironie de l’Histoire, c’est un curé allemand qui a su m’inculquer l’amour de la langue française.

BM : Pourquoi et comment as-tu été attiré par Georges Brassens ? Il n’avait rien d’un bluesman blanc, Brassens.
JS :
Tu vois, le Blues a indiscutablement une forte essence africaine, et tous les chanteurs et joueurs de Blues s’y replongent, à un moment ou à un autre. Mais le Blues c’est aussi tout ce que d’autres musiques ont apporté comme contribution à ces racines, tous ces suppléments d’âmes qui font que le Blues est ce qu’il est : un mélange fusionnel qui touche au cœur, à l’âme. Pourquoi Brassens ? Parce que Brassens, avec son humour à lui, ses mots finement choisis et ses ritournelles si simples sait toucher à l’âme, lui aussi. Même si ce n’est pas un bluesman. Et comme j’étais amoureux fou de la langue française j’étais également subjugué par cette manière si subtile et si délicieuse dont Brassens savait jouer avec ces mots qui paraissent pourtant si simples. C’est pour cela que j’ai voulu faire ce disque hommage à Georges Brassens.

BM : Mais avec ce titre provocateur n’en faisais-tu pas un peu trop ?
JS :
Peut-être, mais je l’ai fait avec un profond respect pour Brassens. D’ailleurs Marcel Zanini, avec qui j’ai joué et qui a entendu le disque, m’a dit, la larme à l’œil, que Georges Brassens aurait adoré mon album,….surtout avec ce titre.

BM : Ce disque hommage à Brassens est sorti en 2000, mais ce n’était pas ton premier album…
JS :
Non, j’avais sorti en 1987 un premier album, ‘Sirocco’, puis ‘Ciao Blues’, en 1995, et ‘Passionnément Blues’, en 97. Dix ans après le premier…

BM : Trois albums en dix ans, comment peut-on interpréter cela ? Une difficulté à écrire de nouvelles chansons… ?
JS :
Non, tout simplement parce que j’aime profiter de la vie…(rires)…et que j’aime surtout jouer en public ! Avoir devant toi des centaines de personnes qui viennent pour écouter ce que tu joues, ce que tu chantes, et qui ensuite repartent heureux après avoir partagé ce bon moment avec toi, ça c’est le plus beau des moments pour un artiste. Ecrire, enregistrer, oui, c’est bien aussi, mais l’essentiel il est dans la scène, et le Blues est une musique qui est faite pour la scène. C’est pourquoi aussi tu dois dire et écrire dans ton magazine qu’il faut que les gens doivent venir voir les joueurs de Blues en concert, car rien n’est plus beau, rien n’est plus magique et plus vivant qu’un concert.

BM : Ton dernier CD s’intitule ‘Monsieur Sangally’. Tu as voulu te la faire façon ‘Monsieur Eddy’, ou ‘Monsieur Henri’… ?
JS :
(rires) Oui,….tout à fait…. ! Je me suis dit que si Eddy Mitchell et Henri Salvador avaient une telle notoriété et qu’ils vendaient autant de disques, c’était sans doute parce que tous les deux avaient sorti un album sous le titre ‘Monsieur’… ! (rires)

BM : Oui, mais dans ce cas il aurait fallu le signer ‘Monsieur Jean’,…mais je dois avouer que cela fait moins classe que ‘Monsieur Sangally’….
JS :
(rires) C’est vrai…. ! Mais ce titre, c’est surtout pour bien signaler que tous les morceaux de l’album sont des compositions personnelles. Et j’ai été très touché par l’accueil que cet album a reçu, aussi bien auprès de la presse spécialisée qu’auprès du public. Comme quoi, mon idée n’était pas aussi mauvaise que ça, non… ? (rires)

BM : Tu nous disais tout à l’heure que rien ne remplace la scène. A quand donc un enregistrement ‘live’ ?
JS :
J’aimerais beaucoup pouvoir faire un album enregistré en public, mais le jour où je le ferai il faudra qu’il soit de grande qualité ; pas un enregistrement fait à la va vite et n’importe comment. Non, un album enregistré en public, c’est beaucoup de temps, beaucoup de moyens financiers, et…beaucoup de travail. Mais oui, j’y pense…

BM : Dans ce dernier album, on retrouve un grand nombre de musiciens qui tournent avec toi, ou que tu croises assez souvent.
JS :
Oui, la majorité des musiciens que l’on entend sur l’album ‘Monsieur Sangally’ sont des musiciens du Jean Sangally Blues Band (*), mais on y retrouve aussi des invités, qui sont des amis, comme Pascal Mikaelian à l’harmonica, lui dont Bill Deraime a dit qu’il était le meilleur joueur d’harmonica au monde. Jouer du Blues, il faut que ce soit un plaisir, et ce plaisir j’aime le partager, avec d’autres musiciens comme avec mon public.

BM : Et l’humour dans tout ça ? Tu penses que l’on peut avoir de l’humour et être un bluesman,…et noir… ?
JS :
(rires) Justement,…justement. Pourquoi les chanteurs de Blues devraient-ils faire la gueule et être tristes ? Ils ont les mêmes droits au bonheur et au plaisir que tous. Voire même plus que les autres… ! (rires)

BM : Ce dont tu es le plus fier ?
JS :
Ma famille.

BM : Ton émission de télé préférée ? Vie publique – Vie privée ?
JS :
(rires) Oui, surtout celle où je suis passée… (rires)

BM : Comment vois-tu l’avenir du Blues ?
JS :
Je crois très fort à un retour du Blues, de cette musique Blues qui fait partie de nos racines et donc de toutes ces musiques modernes. Le Blues, c’est comme tout dans la vie : tout est un cycle, et le Blues connaîtra un nouveau cycle. Très bientôt… !

Jean Sangally sur Internet:
www.jean-sangally.com

Vidéo de Jean Sangally sur www.myspace.com/jeansangally

Lucky Sylvie Lesemne
Mars 2006
BLUES MAGAZINE©
http://www.bluesmagazine.net

Jean Sangally