Interview de Dan Gharibian
Interview préparée et réalisée par Dominique Boulay – Paris-Move & Blues Magazine (Fr)
PARIS-MOVE, April 2021
C’est aussitôt après avoir écouté le dernier album de Dan Gharibian, Da Svidaniya Madame, par le Dan Gharibian Trio, que l’on s’est dit qu’il serait sympa et très intéressant de discuter un peu avec cet extraordinaire artiste! Car on se doute bien qu’il a des tas de choses à raconter…
Paris-Move: La décision d’avoir arrêté avec Bratsch en 2015 est-elle de votre fait, ou bien est-ce une décision collective?
Dan Gharibian: La décision d’arrêter a été prise collectivement! Au bout de 45 ans de recherches musicales, de concerts et de tournées nous nous sommes aperçus que nous étions allés au bout de cette belle aventure et qu‘il était temps d’arrêter. D’autant que chacun de nous avait encore des projets personnels à réaliser
Paris-Move: Est-ce vraiment une nouvelle carrière qui commence avec ce trio? Parce qu’en fin de compte vous restez bien toujours vous-même…
Dan Gharibian: Je ne peux que rester moi-même! Une nouvelle carrière, oui, pourquoi pas? Surtout que des musiciens nouveaux ne peuvent que m’entraîner vers une autre vision de la musique!
Paris-Move: En quoi ce projet est-il plus “personnel” que celui de Bratsch?
Dan Gharibian: C’est un projet plus personnel dans le sens où il n’est plus question que de mon univers musical dans le tour de chant. Et puis jouer avec une nouvelle formation c’est quelque chose qui est toujours intéressant. On partage de nouvelles idées, on a forcément une autre façon de voir les choses. Cela veut dire que l’on adopte une nouvelle façon de jouer, aussi.
Paris-Move: Tous les titres des albums de Bratsch étaient en français. Est-ce la première fois que vous proposez une expression différente?
Dan Gharibian: Oui, c’est la première fois qu’il y a un titre d’album dans une langue étrangère. C’est un choix délibéré. C’est un choix du trio. Aujourd’hui, avec le net, on a réponse à tout. C’est très facile de savoir ce que veut dire DA SVIDANIYA MADAME. En répétant le titre de l’album les fans apprendront à dire une phrase en russe. Cela veut dire: Au revoir, Madame.
Paris-Move: Un titre dans une langue étrangère a-t-il à voir avec le fait que ce ne soit plus la même forme musicale, un trio plutôt qu’une formation complète, comme moyen d’expression?
Dan Gharibian: Le trio est une formation d’un type bien particulier. On y entend tout ce qui s’y passe. Pas de tricherie possible! Les musiciens n’ont pas le droit à l’erreur. Cela me convient très bien, en fait. Une formation plus légère pour un terrain plus lourd. Je plaisante… (rires).
Paris-Move: Vous chantez toujours ce qui vous tient à cœur: les persécutions, l’exil, l’amour, les voyages et les rencontres…
Dan Gharibian: Je suis un éternel voyageur, un rêveur. La musique et mes chansons me permettent de m’évader de ce monde. De recréer un univers dans lequel je peux exprimer ce que je ressens. Et à la place d’exil, j’utiliserais plutôt le mot “déracinement”.
Paris-Move: L’un des musiciens se nomme Antoine Girard. Ya t’il un rapport avec Bruno Girard, membre de Bratsch? Peut-on dire que cela assure comme une filiation entre les deux formations?
Dan Gharibian: Antoine Girard est effectivement le neveu de Bruno Girard, avec qui j’ai fondé le groupe Bratsch. Ses parents étaient des amis proches qui suivaient beaucoup les concerts. Antoine a été nourri dès son enfance par la musique de Bratsch . Il avait des dispositions musicales, piano, et conservatoire. Très vite il s’est mis aussi à l’accordéon. Il a eu une période d’apprentissage pendant laquelle il a rencontré Benoit Convert. Avec qui il s’est lié d’une grande amitié. Benoit Convert qui lui aussi a écouté Bratsch dès son plus jeune âge. Un jour ils sont passés me voir, nous avons joué un peu et les atomes crochus ont fait leur effet. L’idée d’un trio m’a paru évidente. Je dirai plus: transmission que filiation. Mais ça reste quand même dans la famille.
Paris-Move: Dans quels pays d’Europe avez-vous le plus de succès?
Dan Gharibian: J’ai chanté un peu partout en Europe et dans d’autres endroits du monde. Je ne pourrais pas dire dans quel pays on a eu le plus de succès… J’ai de bons souvenirs en Arménie ainsi qu’à Moscou, mais le répertoire que nous proposons est bien accepté partout. Les gens voyagent avec, même s’ils ne comprennent pas les paroles des chansons.
Paris-Move: Dans quelle langue êtes-vous “vraiment vous-même”? On parle de sentiment instinctif de la langue. De la capacité que l’on a de construire, inventer des mots dans sa langue maternelle… Quelle est celle que vous utilisez quotidiennement?
Dan Gharibian: Ma langue maternelle c’est aussi bien l’Arménien que le Français. En France je parle le Français, mais si je rencontre des Arméniens, le dialogue va se faire en Arménien. Ça m’arrive aussi d’inventer des mots dans cette langue. Je pratique aussi l’idiome du Russe, le Romanes et le Grec. Des langues et des cultures dont je me sens proche. J’ai aussi composé une chanson en Dioula, dialecte du Burkina Faso, sur cet album.
Paris-Move: Pourquoi faites-vous le choix de commencer l’album par une interprétation de chanson qui n’est pas composée par vous mais par deux auteurs grecs?
Dan Gharibian: Et pourquoi pas? Cela te choque-t-il? La chanson est Grecque, c’est vrai, mais le deuxième couplet est chanté en Arménien. Et en ce qui concerne précisément cette chanson, c’est aussi le choix du Trio. Nous sommes un Trio démocratique dans lequel chacun a toujours son mot à dire.
Paris-Move: Et pourquoi avoir précisément choisir de reprendre Aznavour et Nougaro?
Dan Gharibian: Aznavour et Nougaro sont de grands compositeurs, et des musiciens d’abord. Et puis les deux textes que j’ai choisis sont bien écrits. Ils me parlent. Je me les suis appropriés pour pouvoir les interpréter à ma façon. Ce sont des textes dans lesquels je me retrouve.
Paris-Move: Devez-vous faire abstraction de la réalité sociale des pays dont vous parlez la langue? Vous symbolisez vous-même la liberté d’être soi-même, toujours et partout, et vous chantez pourtant en turc ou en arménien… qui ne représentent pas en France l’idée que l’on se fait de la liberté…
Dan Gharibian: Ne mélangeons pas la politique et l’artistique. L’art et la façon de s’exprimer existent dans tous les pays. J’ai une pensée particulière pour tout ces artistes à qui l’on empêche de dire ce qu’ils pensent.
Paris-Move: Vous n’êtes manifestement pas là pour délivrer un message, et pourtant votre musique ne peut que signifier Liberté!
Dan Gharibian: Oui, LIBERTÉ, j’aime ce mot. Aujourd’hui on a la chance de pouvoir s’exprimer, mais attention, rien n’est acquis! Restons vigilants!
Paris-Move: Avez-vous quelque chose de particulier à dire à nos lecteurs?
Dan Gharibian: Je dirais à tout les lecteurs et à tous les fans de notre musique que nous avons hâte de nous retrouver tous ensemble pour pouvoir partager à nouveau ces instants d’échange. Nous sommes des troubadours et des marchands de rêves des temps modernes, nous avons besoin du public pour exister. Alors rendez-vous aux prochains concerts!
Dan Gharibian Trio – Da Svidaniya Madame: un album chroniqué sur PARIS-MOVE, et dont vous pouvez retrouver deux chroniques ICI
Da Svidaniya Madame: un album à pré-commander sur le Bandcamp de la formation, ICI
Dan Gharibian Trio – Da Svidaniya Madame (EPK):