Interview croisée de Johnny MONTREUIL & Kik LIARD

Interview croisée de Johnny MONTREUIL & Kik LIARD

Interview croisée de Johnny MONTREUIL & Kik LIARD.
Interview préparée et réalisée par Serge SCIBOZ, Paris-Move.
Interview réalisée le 2 avril 2024 au Mange Disc, 50 rue de Romainville 93100 Montreuil.

Eh oui mon copain, eh oui ma gueule, pour continuer inlassablement et avec détermination d’honorer dignement la sortie début février 2024 du troisième et sublissime album de Johnny Montreuil, Zanzibar (Les Facéties de Lulusam) (chroniqué ICI par votre serviteur et noté “indispensable” par notre rédaction), de perpétuer comme il se doit sa mise sous la lumière des spotlights et d’enfoncer le clou à sa juste valeur, pour le cas où une poignée d’infortunés serait restée sur le quai sans prendre le train en marche, Benoît Dantec alias Johnny Montreuil, accompagné de Kik Liard, son harmoniciste diabolique, se sont prêtés avec spontanéité, sympathie et disponibilité, au jeu de l’interview croisée pour Paris-Move.

Précision importante: Pour se procurer Zanzibar, avant que les schmitts et la prévôté le censurent, car l’establishment déteste les saltimbanques épris de liberté, c’est ICI

Si en 1974, Michel Mallory, auteur-compositeur à succès pour un autre Johnny, chantait C’est moi le cowboy d’Aubervilliers, il y a longtemps que j’attends, de voir le Texas et le Nevada, mais le métro n’va pas jusqu’à là-bas, célèbre ballade country américano banlieusarde, quelques décennies plus tard, Johnny Montreuil dans un registre encore plus crédible et authentique que le compositeur Corse, pourrait aisément chanter C’est moi le cowboy de Montreuil City Rockerz, mais mon beau camtar avec lequel je vais chiner la ferraille, ne va pas jusqu’aux plaines du Far-West. En effet, ça fait belle lurette que le solide ténébreux aux bacchantes et rouflaquettes généreuses de gaulois réfractaire et au charisme d’un narvalo aux abois épris de liberté tous azimuts, au regard franc et perçant d’un arrière des All Blacks pendant le rituel maori du haka,  génétiquement compatible avec Johnny Cash, signe zodiacal: Johnny, décan: Cash, ascendant: Folsom Prison Blues, a posé ses jalons schizophréniques et sa petite carlo, dans le haut-Montreuil, plus précisément aux Murs à Pêches, son no man’s land, son havre de paix et sa principale source d’inspiration (voire d’expiration) sur le toit venteux de Mozinor. Là où autour des traditionnels feux de camp et des braséros, en attendant impatiemment les brochettes marinées à la mexicaine et la seconde tournée de 51, les autochtones n’ont jamais joué Jeux Interdits, ni Vive La Rose de Guy Béart. Autre école, autre culture. On sait se tenir et avoir une certaine classe, à Montreuil. Un tantinet comme dans le film Terrain Vague de Marcel Carné, en 1960, la rue de Saint-Antoine est son Graceland bien à lui, son Elvis Presley Boulevard fantasmagorique, ses clichés nocturnes à la brume éthylique et sur fond des sirènes des usines et de la Police, au sein desquels planent le spectre de Nestor Burma de Jacques Tardi et les anisettes avec Blacky, entre l’œuvre transgénérationnelle et intemporelle du Man in Black, culture de la banlieue ouvrière, populaire et bigarrée, rockabilly vintage et poésie périurbaine à tous les étages, lyrisme et romantisme, des zincs et autres rades pouraves fréquentés par des forbans en goguette, adeptes des trains fantômes et des voyages au long cours, remake de West Side Story de l’asphalte des faubourgs de Montreuil, java bleue ou java des Lilas et des bistrots le dimanche après-midi, la java la plus belle, celle qui ensorcelle, entre les premiers albums de Renaud, les aventures de Gérard Lambert tin-tin-tin, Lucien de Frank Margerin s’envoyant une énième Jupiler autour d’un jukebox Wurlitzer crachant les  premières notes du Rock Around The Clock de Bill Haley et l’œuvre considérable d’un Aristide Bruant, entre gouaille et argot de Paname du début du XXème siècle, loin des bobos, des électeurs d’Anne Hidalgo et des mojitos en happy hour de la rue Oberkampf.
De surcroît, Johnny s’affirme au fil des albums, des concerts sold out, et de l’engouement médiatique et populaire qui commence à frétiller doucement mais sûrement autour de Zanzibar et à l’énoncé de son nom, comme un auteur-compositeur-interprète hors pair, un guitariste flanqué d’un contrebassiste émérite et au jeu sensuel, roi du double slap, entre Lee Rocker, Bill Black et Willie Dixon, d’une singularité exacerbée, et prouve si nécessaire, qu’on peut faire du rock’n’roll dans la langue de Molière et de Victor Hugo, et réussir à faire swinguer les mots, tout en posant sa voix suave et mélodieuse, avec délicatesse voire une certaine vulnérabilité parfois palpable, ce qui le rend encore plus humain et bienveillant et ce qui rend ses textes intimistes encore plus attendrissants et poignants, à l’instar de Renaud, Miossec, Bashung, Tony Truant, Didier Wampas, Sansévérino, Lise Cabaret, Benoît Blue Boy ou encore Gainsbourg…
Avec Johnny Montreuil, on est aux antipodes de la perpétuelle recherche d’une quelconque performance vocale et d’une hypothétique joute physique, à jouer à celui qui gueule le plus fort, qui pisse le plus loin et qui a la plus grosse. Pour ce type de démonstrations musclées, il y a les vestiaires aux odeurs entremêlées d’huile camphrée, de sueur et de sang et les terrains de rugby, de football américain ou de baseball. Comme pour un instrument, il privilégie plutôt la maîtrise, la technique et l’utilisation à bon escient des diverses tessitures de son organe, en gardant sous la semelle et dans le gosier quelques onces de puissance et d’énergie, une poire pour la soif en somme, pour ne pas se noyer, avancer dans le rouge le capot ouvert, à deux doigts de couler une bielle ou de choper une grosse couille, en voulant passer à l’octave supérieur, ni être pris au dépourvu, telle la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf…
Avec sa voix magnifique et toute en nuances, Johnny est capable de faire danser le boogie-woogie à un sénateur octogénaire en pleine phase de digestion difficile, après s’être envoyé deux douzaines d’huîtres Marennes-Oléron et un canard à l’orange, et de faire éclater en sanglots un punk quasi momifié dans la naphtaline, rescapé de 1977, de Fort Alamo, de la bataille de Camerone et du trou des Halles. Avec Zanzibar, Johnny Montreuil a pris une autre dimension, il est passé au niveau supérieur de la tour infernale des quotas, des Charts et du Billboard et joue dorénavant dans la cour des grands. Lui qui ne fait pas partie du sérail, de la grande famille tuyau de poêle du showbiz, il aura fallu qu’il joue des coudes, voire du bourre-pif salvateur et qu’il mette les mains dans le cambouis tout en suant sang et eau pour avoir une part du gâteau et une place au soleil, pour être presque (enfin!) reconnu à sa juste valeur et prendre la pose sur la photo de famille en ignorant les vautours et autres piranhas qui hantent le métier. Il aura aussi fallu qu’il fasse preuve d’opiniâtreté, se faire un nom et surtout un prénom, car apparemment et d’après mes sources confidentielles, Eddy et Dick étaient déjà pris par une chaussette et un chat. Mais bon, ce scoop reste à vérifier et à confirmer… D’ici que Drucker l’invite sur son canapé rouge et qu’il se sente obligé d’esquisser un léger rictus aux blagues surfaites de Laurent Gerra, qui rassemble à lui-seul la totalité du showbiz sur ses épaules, il n’y a pas des kilomètres. D’ici que Cyril Hanouna l’invite dans son talk-show quotidien (TPMP) et qu’il use et abuse de son self-control pour ne pas coller une droite dans la tronche de Gilles Verdez, persifleur et railleur en chef, il n’y a pas un énorme fossé. Il suffit maintenant de transformer l’essai, 40 mètres face au vent et face aux poteaux, largement dans les cordes de Johnny, grâce à son sang-froid légendaire de crotale d’Amérique Latine et de son indéniable talent. Pour l’instant, il a le cul que sur un inconfortable strapontin de velours rouge, mais c’est déjà mieux qu’avant lorsqu’il était assis sur un siège quasi éjectable, comme dans le cockpit d’un Fouga Magister à 36.000 pieds d’altitude. Johnny Montreuil, c’est un look de mauvais garçon façon Cochran, James Dean, Lee Marvin ou Marlon Brando, une attitude de bad boy (le cuir et le baston au masculin, comme le titre du bouquin de Maurice Lemoine de 1977 avec un certain… Johnny de Montreuil en couverture), une prestance, un charisme, une voix, une gueule, la tronche de l’emploi qui fait la différence, qui involontairement attire toute la lumière à lui, celle qui fait que dans un resto, tout le monde laisse tomber son entrecôte-frites ou sa choucroute au Riesling lorsque Johnny Montreuil entre en ces lieux dans un soudain silence de cathédrale, les yeux écarquillés comme le loup de Tex-Avery, aux antipodes d’un quidam lambda ou d’un garçon-coiffeur acnéique et pubère. Lui qui a donné la réplique à Reda Kateb (autre illustre montreuillois) dans le film Django et qui a joué quasiment son propre rôle dans le téléfilm Menace Sur Kermadec, un excellent polar à la française qui casse la baraque, les audiences et les parts de marché sur France 2, alors dépêchez-vous d’acquérir Zanzibar et d’adhérer dare-dare à son univers musical, avant que le 7ème art, Olivier Marchal, Luc Besson, la Walt Disney Company ou la Metro-Goldwyn-Mayer nous le piquent sans aucun scrupule…

Quant à son fidèle acolyte Kik Liard et son inséparable ceinture porte-harmonicas Hohner, casquette rouge cerclée de léopard entre Mobutu et Che Guevara, badges collectors d’un autre siècle et regard malicieux, il dégage un look flamboyant entre Sugar Blue et Diabolo (le vrai, l’unique, celui de Jacques Higelin), avec un zeste de Mickey Blow, à l’allure affable et exubérante d’un escogriffe dégingandé, susceptible de courber l’échine au moindre coup de sirocco, mais certainement pas devant l’adversité ni les diktats unilatéraux imposés par le pouvoir en place. Fluctuat Nec Mergitur. Kik, qui n’a toujours pas rangé sa chambre (comprenne qui pourra), malgré les injonctions répétées de Johnny, de Didier Wampas et de tout le public de La Maroquinerie, semble sortir tout droit d’une œuvre vaguement poussiéreuse de Johnny Thunders avec ou sans Heartbreakers, des microsillons des New-York Dolls, d’un bouquin d’Alain Pacadis, d’un bouge de Jackson ou du film de Claude Sautet Max et les Ferrailleurs. Solide comme un roc(k) malgré sa silhouette longiligne à la Jacques Tati dans Les Vacances De Monsieur Hulot, la bouffarde et le pébroque en moins, musicien rebelle dans l’âme et viscéralement anticonformiste, faisant le grand écart entre la philosophie et la doctrine des Jean-Paul Sartre, Albert Camus, en passant par Léo Ferré, Charles Bukowski et Karl Marx, entre le grand rendez-vous tant attendu, la lutte finale et la fête de l’Huma de La Courneuve, relents de merguez, ballons de Côtes-du-Rhône, discours du comité central, flonflons, l’accordéon musette d’Yvette Horner et le Potemkine de Jean Ferrat dans une sono approximative.
Kik s’avère être une véritable légende vivante au sein du microcosme du rock montreuillois, une sorte de monstre sacré, de dinosaure en voie d’extinction, une espèce protégée dont la statue de cire au musée Grévin n’est pourtant pas d’actualité, qui souffle et aspire dans son harmonica diatonique, comme dans un état d’urgence, comme si sa vie en dépendait, en faisant vibrer les lamelles de son instrument avec une aisance inouïe et une conviction déconcertante, comme si c’était la dernière fois, comme un ultime plaisir volubile. Bref, Kik ne joue pas du rock’n’roll, il est tout bonnement le rock’n’roll. Incontestablement, Kik apporte une couleur bluesy à la musique dénuée de carcan qui sent la paille de Johnny Montreuil. Bien que son jeu d’harmonica soit très électrifié et saturé à souhait, Kik suscite et distille un son très roots, très down-home, plus rural qu’urbain, comme si le haut-Montreuil se conjuguait avec les champs de coton aux confins du Mississippi et que la Croix de Chavaux était jonchée de juke-joints et autres Barrels House, entre volutes de fumée, vapeurs d’alcool, whiskey frelaté dans une époque prohibitive, odeurs de soufre, douze mesures et trois accords dont on ne ressort jamais indemne. D’après de nombreux observateurs, Kik s’impose sans en avoir l’air et sans avoir le boulard ni les dents qui rayent le parquet, comme l’un des meilleurs harmonicistes hexagonaux, comme une sorte de Little Walter les deux doigts dans la prise, ou de Sonny Boy Williamson II sous amphétamines, entre tachycardie sous-jacente et utopie collectives. Loin des méthodes élaborées et autres théories dûment réfléchies, il se situe plutôt dans l’héritage d’un Benoît Blue Boy que d’un Jean-Jacques Milteau, en véritable sculpteur de courants d’airs et souffleur de rêves chimériques. Un harmoniciste entre blues et rock’n’roll, qui a également traversé l’éphémère mais sulfureuse période du punk parisien en qualité de membre éminent, habité et possédé sur scène telle une sorte de chat sauvage sans le twist à Saint-Tropez, au jeu spontané, féroce, bestial et instinctif. Son jeu est charnel et remue les tripes au plus profond en se mettant la rate au court-bouillon, comme dans le Booster Speed de la fête à Neu-Neu. Avec Kik, on oublie rapidement son arthrose, ses bas de contention et ses rotules en titane. Johnny Montreuil et Kik, depuis Narvalo City Rockerz de 2015 et même avant, sont devenus indissociables et inséparables, en parfaite symbiose paroxysmique à lézarder les murs de Jéricho, à changer l’eau en vin et à mettre le feu. Une osmose surréaliste telle une esquisse de Dali. Kik étant l’alter ego et le grand frangin de Johnny et Johnny étant l’alpha et l’oméga, le guide spirituel et le booster de Kik. Imaginez un peu Tintin sans Milou, Bonnie sans Clyde, Laurel sans Hardy, Brownie McGhee sans Sonny Terry, Dupond sans Dupont, Peter Pan sans la fée Clochette, Pierrot sans Colombine, Thelma sans Louise, Roméo sans Juliette, Mick Jagger sans Keith Richards… Supputations inimaginables! Vide intersidéral! Spleen incommensurable!

Johnny Montreuil et Kik, deux des derniers francs-tireurs en activité, loin du star-system et de ses stéréotypes, sont totalement indifférents au flux et reflux des modes musicales et vestimentaires du moment, plume dans le cul, strass et paillettes imposés par le gluant showbiz et formatage calibré des ondes hertziennes. Leur musique gorgée de groove et de feeling, indubitable sacerdoce comme on entre en religion ou à la Légion, aux textes romanesquement blues, méchamment rock’n’roll et romantiquement poétiques, à destination des laissés-pour-compte de la société, des derniers de cordée qui ne fréquentent pas La Rotonde, de ceux qui ont l’impression de porter une tonne sur leurs épaules, de ceux pour qui la vie n’est pas une sinécure, de ceux qui tombent que dans les bras de Morphée, de ceux qui ne voyagent plus au doux pays des songes, de ceux qui voient le blues et ses sarcasmes chaque matin au fond de leur bol de chicorée, de ceux qui ont loupé le dernier métro, des usagers du premier bus de banlieue, emmitouflés dans un vieux pardessus râpé dans le petit matin frileux, à l’heure du laitier et des bandits éreintés par une nouvelle nuit fructueuse, de ceux qui ont réservé une chambre à l’année au sordide hôtel des cœurs brisés, de ceux qui n’osent même pas consulter la carte du Trianon-Palace de Versailles, de ceux à l’âme en friche, le corps cabossé et le cœur dans le cendrier, de ceux qui marchent à reculons en traînant les semelles, de ceux qui ne savent plus à quel saint se vouer, de ceux qui rasent les murs et qui marchent à l’ombre, de ceux qui naviguent en eaux troubles et qui nagent à contre-courant, de ceux qui ne seront jamais des récipiendaires sous les lambris dorés des ministères, de ceux qui pleurent et qui se noient le nez dans leur Jenlain, de ceux qui sont perpétuellement aux abonnés absents, de ceux qui ne connaissent pas le gigot d’agneau-flageolets dominical et familial arrosé d’une Côte-Rotie AOC et de tous les damnés de la Terre qui ne passent pas leurs vacances au Touquet-Paris-Plage ni au Fort de Brégançon aux frais de la princesse, leur musique disais-je est diamétralement opposée aux niaiseries quasi inaudibles, aux ritournelles susurrées à l’oreille des bien-pensants et autres vieilles baudruches toutes émoustillées malgré leur libido chancelante, par Carla Bruni, la célèbre diva turinoise aux pommettes saillantes, botox et lifting sans modération et cordes vocales en perpétuelle carence. Eh oui, porter des t-shirts à l’effigie des Stones ou de Led Zeppelin, massacrer sciemment et en toute impunité quelques standards d’AC/DC, ne suffit absolument pas à faire une indiscutable icône du rock’n’roll. De prime abord, malgré leurs profils de durs à cuire ne se laissant pas facilement désarçonner, leur aspect à jouer les premiers rôles dans Graine de Violence de Richard Brooks en 1955 ou dans un film de Georges Lautner, et leurs mines crapuleuses de gamins surpris la main dans le sac par le pion d’un internat, à regarder par le trou de la serrure du dortoir des grandes ou de sales gosses pris en flagrant délit par la vieille tante Agathe, la main dans le pot de Nutella, il ne faut surtout pas se fier aux apparences souvent trompeuses. Ils sont à l’image du Vacherin Meringué, durs et résistants à l’extérieur à y laisser son bridge dentaire, mais tendres et sensibles à l’intérieur, le cœur qui saigne sous le cuir usé de leurs blousons. Entre lutte des classes et rock’n’roll, ces deux artistes n’expriment pas leurs arts indécrottablement bloqués dans les starting-blocks des 50’s. Bien que biberonnés à la base par cette décennie, le rockabilly et la country music, les premiers enregistrements SUN Records de Johnny Cash, Elvis, Roy Orbison ou Jerry Lee Lewis, ils sont bien dans leur époque, sans trop regarder dans le rétroviseur mais plutôt droit devant, pied au plancher de la 504, tout schuss, Waterloo morne plaine, avec un album d’une incroyable modernité et d’une fraîcheur sans borne, ayant échappé à la ringardise et au réchauffement climatique d’artistes en mal d’inspiration, un disque qui ne ressemble à rien d’autre, avec l’incontournable Jean Lamoot (Bashung, Brigitte Fontaine, Dominique A…) aux manettes de cet OVNI qu’on devrait déclarer d’intérêt public, comme le Doliprane, l’Alka-Seltzer ou le Perrier les lendemains de cuite. A sa sortie, Zanzibar aurait dû déclencher des émeutes devant les disquaires, avec foule en délire, liesses populaires incontrôlables, Darmanin balbutiant en bras de chemise et cordons de CRS sur le qui-vive, la matraque nerveuse et le lacrymogène n° 5 de Chanel en guise de parfum. Comme aux grandes heures de la Beatlemania ou du concert des Stones à Altamont. Si par bonheur le grand public avait la bonne idée d’enfin se réveiller, de sortir de sa léthargie et d’arrêter de se soumettre aux directives des grands médias, aussi impliqués dans la musique, qu’un trader de la BNP Paribas ou qu’un jeune cadre dynamique en trottinette, costard de chez Smalto aux quatre vents sur le parvis de La Défense et sourire Ultra Brite de gendre idéal, cependant plus carnassier que glamour. Non l’authentique rock’n’roll et cet art de vivre au quotidien qui en découle, ne sont pas morts, je les ai rencontrés à Montreuil ce 2 avril avec Johnny Montreuil et Kik, deux mecs brillants, humbles et accessibles, deux narvalos ordinaires qui exercent un job, ou plutôt une passion, extraordinaire. Certes, une route sinueuse jonchée d’obstacles, mais ô combien exaltante. Montreuil (la ville du 9.3 comme dit la jeunesse encapuchonnée chez Nike) s’impose sans conteste comme l’agglomération française qui compte le plus d’artistes pluridisciplinaires et cosmopolites au mètre carré, comme une excroissance du Belleville ou du Ménilmontant d’antan de l’autre côté du périph’, suivie des spectres de Maurice Chevalier, Piaf et Fréhel. Comme Le Havre, Rouen ou Lyon jadis, Montreuil est aujourd’hui la Capitale du rock, au sens propre comme au sens figuré. On y voit des ombres et on y ressent des bonnes vibrations et des ondes positives surnaturelles et inexpliquées. A chaque coin de rue, je m’attendais à voir surgir les fantômes du glorieux passé, les ectoplasmes célestes et ailés de Schultz, Eddie Cochran, Robert Johnson, Lee Brilleaux, Wilko Johnson, Joey Ramone, Johnny Cash, Daniel Darc, Link Wray, Django Reinhardt et sa guitare tzigane… Je respirais à pleins poumons le cuir des Gene Vincent et Vince Taylor, le verbe qui fouette le caniveau, en profitant pleinement de chaque seconde sur cette terre promise. J’étais entré de plein fouet dans la twilight zone, dans la quatrième dimension montreuilloise à seulement quelques encablures d’un Paris outragé, d’un Paris brisé, d’un Paris martyrisé, d’un Paris qui a perdu son âme. Après quelques rasades de pastaga et de kir cassis absorbées goulument sur le zinc du Mange Disc, à parler musique et à refaire le monde avec le taulier, on pouvait passer à la table de cet endroit improbable et réconfortant, et l’interview croisée de Johnny Montreuil et de Kik, ou plutôt l’échange animé à brûle-pourpoint, pouvait alors commencer… Tout en laissant rouler l’bon temps, ma gueule! Comme le stipule le vieux dicton d’une Louisiane ancestralement francophone, associé à une expression typiquement montreuilloise, locution de l’itinérant, du forain, du rempailleur, de la  cartomancienne ou du saltimbanque nomade, qui a jeté l’ancre de sa carlo, pour une durée indéterminée, tant qu’il y  aura de la ferraille à chiner, du feu, du vin, des frères d’armes et de sang pour rompre le pain, jacter et jurer comme des charretiers, perpétrer la culture de l’école buissonnière les pieds dans la boue, culotte courte, les genoux cagneux repeints au Mercurochrome, liberté juvénile et car-en-sac et Minto chouravés chez l’épicière du coin, chantée et honorée comme il se doit par les Princes Chameaux, sauter à pieds joints dans les flaques d’huile de moteur en bousillant ses Stan Smith, se fendre la poire comme des carabins grivois en salle de garde et surtout tant que la contrebasse de Johnny, les guitares de Ronan et Marceau, la batterie de Steven, l’harmonica de Kik, la bonhomie et l’anisette de Blacky, le braiment des ânes et le gloussement des poules… ne seront jamais réduits au silence et perdureront dans l’espace-temps, faisant la nique aux empêcheurs de tourner en rond et autres esprits bien trop cartésiens pour toute cette bande joyeux lurons, narvalos forever… Et si la mystérieuse Pussy arrivait pour le café ?

Décryptage et anatomie d’un phénomène grandissant, passé quant à présent sous les écrans-radars des sociologues, qui pourrait bien se propager telle une traînée de poudre, au-delà des artères de Montreuil. Si la vie était mieux faite, plus juste et plus équitable, Johnny Montreuil et ses acolytes rafleraient, ni vu, ni connu, une ou plusieurs victoires de la musique dans les différentes catégories au sein desquelles ils excellent, devant une Rachida Dati médusée et destituant illico de ses fonctions son directeur de Cabinet. Ils s’accapareraient également, le prix de la prestigieuse Académie Charles Cros, feraient la couverture de Rock & Folk, des Inrocks, de Télérama et de Rolling Stone, seraient reçus en grande pompe au JT de BFM TV, avec tapis rouge, lèche-botte blues, mignardises et Moët & Chandon sabré et à température idéale, pour célébrer sans complexe et sans modération, Zanzibar, le nouvel opus de Johnny Montreuil et de toute sa bande de guérilleros.

Johnny Montreuil: Oui c’est vrai que Montreuil est un véritable vivier de groupes de rock avec un esprit village, comme Le Havre auparavant, avec Little Bob Story, Roadrunners et Frandol, City Kids, etc… On a croisé Little Bob deux fois, on a fait sa première partie et la seconde fois Bob nous a dit: “Mais vous êtes un groupe de zonards!”

Johnny Montreuil: Tu vois cet été on s’est fait gauler à un péage, tests salivaires, etc… Au regard de la loi j’aurai pu avoir deux ans de prison et 4.500 euros d’amende. Mais bon, je m’en fous, je suis habitué à rouler sans permis. Il y avait Marceau à côté de moi, ils ont vu sa tronche, un grand aux cheveux longs avec les yeux qui regardent en l’air… Personnellement, j’avais fait la fête trois jours avant, j’étais bon! Il y avait la trace des traces, il n’y avait pas que des joints. C’est assez dégueulasse, car si tu n’as pas les moyens de payer et bien tu dégages.

Kik: J’ai découvert les premiers disques de Bijou, des Sex Pistols et des Clash et ça m’a retourné la tête. De plus pendant les vacances j’étais tombé sur un anglais en Bretagne, qui m’envoyait des coupures de presse sur tous ces groupes. Carrément, j’ai été très sensible au mouvement punk. J’arrive à l’école, j’avais un pantalon violet et un blouson de sky blanc, je me fais brancher à la récréation en disant que je faisais partie de la ligue anti-blousons noirs. A la sortie il y avait les rockers qui m’attendaient pour une explication de texte. Evidemment, je me suis fait un peu chahuter! Mais parallèlement au punk, j’ai aussi découvert le rock’n’roll des pionniers grâce à un voisin qui avait 18 ans et une collection de disques impressionnante. A 16 ans, j’ai acheté les Wampas, etc… Je n’ai jamais pris de cours d’harmonica, je suis complètement autodidacte. J’ai beaucoup écouté les harmonicistes de blues, Slim Harpo, Little Walter, Sonny Boy Williamson, Sonny Terry… et en France j’appréciais beaucoup un mec comme Diabolo qui jouait avec Higelin.

Johnny Montreuil : Au collège, j’écoutais du métal, du hard-rock, c’était l’époque Iron Maiden, Metallica, AC/DC, Scorpions… et en même temps, j’avais découvert l’énergie de certains groupes qui passaient à la radio, leurs premiers clips, les VRP, Mano Negra, Les Garçons Bouchers, Pigalle avec Dans La Salle Du Bar-Tabac De La Rue Des Martyrs… Pour moi, ça me parlait, c’était des français de la banlieue, il y avait un côté banlieusard, Margerin, Renaud, j’aimais bien tout cet univers-là. La banlieue graisseuse un peu… Il y a beaucoup de rock’n’roll là-dedans car dans les années 60, c’était les blousons noirs qui venaient des quartiers, ce qu’on appelle vulgairement aujourd’hui les cailleras. Et la musique est un peu liée à ce phénomène, les blousons noirs ont apporté le côté rebelle. Outre Bob Marley, Clash, le hip-hop, j’écoutais beaucoup Léonard Cohen, Jacques Brel, Brassens, dont les textes me touchaient beaucoup. Ils se positionnaient en dehors de la société avec leurs textes, voire en parallèle ou à côté. Léo Ferré je l’ai découvert bien plus tard, c’est un truc que j’aime bien écouter le matin. Chez Ferré il y a un positionnement identique, dans quel monde vit-on? On est là pourquoi? A quoi ça sert? C’est nos gouvernants qui ont besoin de nous, ce n’est pas nous qui avons besoin d’eux. J’adore la guitare surf, ça vient de mon oncle qui écoutait les Beach Boys lorsque j’étais gamin, le côté western avec Sergio Léone et Morricone. Après il y a Johnny Cash bien sûr! Après j’aime rencontrer des gens à qui ce son parle naturellement. Le son d’harmonica de Kik par exemple, ça sonne comme ça car il a l’état d’esprit. Je n’aime pas les gens qui vivent par procuration. D’où les trottoirs, d’où être dehors tout le temps pour voir ce qu’il s’y passe. Les rockers il y en a partout. Je pense que ce sont des gens un peu décalés, curieux de tout, ouverts à d’autres choses. Quel est mon style ? Je suis un chanteur français. Je peux aussi bien chanter L’Herbe Tendre de Gainsbourg avec Kik qu’un rock hargneux. Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas dans l’air du temps, je ne suis pas en phase avec les modes. Tu vois sur le premier album Narvalo City Rockerz, il y a un côté tzigane, avec le violon et la mandoline d’Emilio Castiello (Géronimo), qu’on ne retrouve plus sur Zanzibar. C’était une volonté de ma part, de faire un truc américain à la Johnny Cash, avec la musique de l’Est, des Balkans. Le truc américain de l’Ouest et les gitans de l’Est. Sans être dans les clichés, sans être dans le truc qu’a fait La Caravane Passe. Je croyais vraiment à ce style, avec toute cette dimension populaire qu’il y a dans la musique tzigane comme dans le rock’n’roll. Ce sont des musiques jouées par des mecs qui ne sortent pas du conservatoire. J’aime les musiciens qui se mettent en danger continuellement, qui ne sont pas installés dans quoi que ce soit. Kik à 13 ans, le matin tu te réveilles et tu ne sais pas ce qu’il va t’arriver, le midi tu écoutes les Pistols et le soir tu es un punk !

Kik: Tu vois, le punk pour moi c’était “fais ce que tu as envie de faire, avant No Future!”. A 13 ans, j’adorais déjà dessiner, faire de la récup’ à droite et à gauche, créer des fringues… Il n’y avait pas seulement la musique qui me plaisait, mais aussi tout ce truc imaginaire. En France le punk c’était Oberkampf, La Souris Déglinguée j’adorais leur premier album New Rose, Parabellum, Warum Joe, Wunderbach… Il y a eu une première vague parisienne en 77-78, avec Guilty Razors, Asphalt Jungle…

Johnny Montreuil:  Kik à 13 ans, le matin il se réveille et il ne sait pas ce qu’il va lui arriver, le midi il écoute les Pistols et le soir c’est un punk! Ce qui m’a beaucoup fait kiffer c’est la diversité, la mixité et le métissage qu’il y avait dans Los Carayos. Bérurier Noir, vraiment un truc vénère que j’aimais beaucoup musicalement, dans les propos et dans les textes. Mano Negra qui apporte le rock des cités, ils ont développé une manière de faire de la musique pour les gens des cités, pour les gens des quartiers… Ca faisait voyager les mecs des cités dans leur tête. Comme Renaud lorsque j’étais gamin, j’étais sensible à ses textes, également François Hadji-Lazaro… Sansévérino je le découvre à l’aube des années 2000, lorsque je commence à écrire un peu mes trucs et lui a son premier album qui sort à ce moment-là, il cartonne, on l’entend partout, j’aimais beaucoup son côté manouche, son côté swing avec des textes cools… Au tout début du projet Johnny Montreuil, je fais un concert au Nouveau Casino, et il est venu nous voir, il avait peut-être entendu parler de nous à Montreuil, on le voit dans la salle et il se met au premier rang cet enculé !!! Alors tu as les genoux qui tremblent un peu, Sansévérino est là!!! Il était très content et je pense qu’il appréciait notre côté un peu tzigane du début, avec Géronimo. Après on a fait sa première partie à la Maroquinerie. C’est un frangin, je passe le voir la semaine prochaine. Ce que j’aime chez lui, c’est sa manière de se remettre en question à chaque nouvel album, de proposer toujours quelque chose de nouveau et pour ça il est énorme ! J’aime bien le croiser car à chaque fois que je le vois, on n’a jamais parlé sérieusement, il dit que des conneries!

Kik: J’ai joué de l’harmo avec Schultz (Parabellum) au sein de la Clinik du Dr Schultz et Dr Schultz Expérience, grâce à Denis Baudrillart le batteur, qui a joué avec Tony Marlow, Jim Murple Memorial, La Marabunta, Les Soucoupes Violentes, Tony Truant… c’est un putain de batteur qui habite Montreuil depuis une trentaine d’années. C’était une sacrée époque, on faisait que des reprises, Gloria, Twenty-Flight Rock

Johnny Montreuil: Que notre dernier album Zanzibar soit estampillé FIP ou en sélection FIP, je trouve ça classe. Je préfère ça que RTL! Même si RTL ça paye plus… Idem pour Europe 1, je préfère FIP que Bolloré. Malheureusement, tout ce qui est mis en avant aujourd’hui, ce sont des artistes qui rentrent dans le giron de ces gens-là qu’on déteste, tous les apôtres du capitalisme. Ceux qu’on met en avant, tout en haut du panier, ce sont des artistes qui adhèrent à ces idées-là et qui ferment bien leurs gueules. Ils devraient plutôt contrecarrer ces idéologies, faire rêver les gens, les faire déscotcher de toutes ces idées-là… Ils s’en sortent en obéissant au doigt et à l’œil à toute cette doctrine capitaliste. Lorsque j’étais plus jeune dans ma cité, j’avais le blues du dimanche soir, les soirs de novembre, avec la brume qui tombe, tu vois juste les immeubles avec des lumières partout, les gens entassés les uns sur les autres, tu te dis, c’est ça la vie ? C’est ça la vie que nous imposent nos dirigeants ? Heureusement que j’ai choisi d’autres chemins et je me sens mieux comme ça. Ce n’est pas rempli de bonheur tous les jours, mais au moins, je subi un milliard de choses en moins que si j’étais resté dans ce schéma-là, les immeubles, les appartements, etc… Moi je n’ai absolument pas envie de vivre comme ça ni de mépriser les gens qui vivent comme ça. Où j’habitais à Clamart, ce sont des endroits qui n’auront jamais d’âme, des villes fantômes. Je n’ai pas fait métro, boulot, dodo, mais métro, métro, métro ! Montreuil est une ville super vivante, remplie de tas de gens différents, tu en as vus passer tout-à-l ’heure. Ce que j’aime dans Montreuil, c’est qu’en journée c’est vivant, tu fais beaucoup de rencontres, avec du temps libre pour apprécier la vie. Alors que Pantin la journée c’est mort. A Montreuil il y a ce truc de musiciens de la rue, musiciens de bars, musiciens de comptoirs pour lequel j’ai énormément d’affection. Après d’où vient cette différence, je n’en sais rien, je ne suis pas sociologue…

Kik: Musicalement, Montreuil est une ville qui est super riche, et même pour toutes formes d’art, ça se mélange facilement. Il y a plein de concerts entrée libre, et ça permet aux gens qui n’ont pas de thunes d’avoir accès à la culture, à la musique. A Montreuil, il y a vraiment ce mélange socio-culturel.

Johnny Montreuil: Kik et moi nous ne sommes pas des gitans. Je viens de la cité et à la campagne, j’allais au fin fond du Finistère garder les vaches. Il a fallu du temps pour être accepté par les manouches, il a fallu se présenter, il ne faut surtout pas arriver comme des bobos en terrain conquis. Il ne faut pas qu’ils se sentent envahis par des nouveaux arrivants. Il faut faire très attention à ça. Il n’y en a pas beaucoup qui font la démarche pour aller à la rencontre de ce qui existe déjà. La plupart arrivent avec leur acte notarié, bon maintenant je suis chez moi, je suis propriétaire, quant à vous, vous êtes squatters, donc le bruit, la musique, il va falloir que vous arrêtiez. Avec les gitans ça se passe très bien car peut-être qu’avec le temps, j’ai appris à me comporter correctement et surtout au départ, je suis allé les voir pour me présenter. Ca a mis du temps avant que je sois accepté, ça a mis plusieurs années, mais c’est normal…

Kik: Quant à moi, lorsque je suis arrivé là-haut, Johnny avait déjà bien défriché la situation. Non tout s’est bien déroulé, bon malgré tout, il y a toujours un moment où ça vient te tester quand même. Il ne faut surtout pas baisser les yeux. Mais la musique a rapidement rompu la glace. Sinon, il y a plein de trucs le cas échéant qui sont réglés en interne, sans faire appel à la Police, qui classe même des plaintes pour viol “sans suite”.

Johnny Montreuil: On a un côté animal en nous qui fait que si tu as peur, ça va se voir dans ton regard, mais si tu n’as pas peur, le mec va s’adresser à quelqu’un d’autre. Tu joues ta peau… Pour la musique c’est pareil, ce qui nous intéresse et qui nous fait bander, c’est le fait d’y aller par ses propres moyens, la fleur au fusil, en disant on n’a pas fait le conservatoire, ni rien, mais on a la rage, c’est viscéral, on a envie de le faire et bien on y va. Les gitans nous prennent pour des branleurs, des narvalos comme eux, et on est là pour avoir des petits moments de plaisir, un petit coucher de soleil, un petit clair de lune, la guitare, l’harmonica… A l’époque, les murs à pêches à Montreuil étaient un grand foutoir. Je ne suis pas sociologue, ni urbaniste, mais il y a un truc qui nous rapproche avec Kik ici présent, c’est quand c’est un peu la zone, quand c’est un peu le bordel, quand ça appartient à tout le monde et à personne à la fois, là on se sent bien, ça nous inspire des choses. Ce sont des instants où plein de gens peuvent se rencontrer, des gens d’origines différentes, de pays différents, d’origine sociale différente. Pour moi le rock’n’roll c’est ça ! Le rock’n’roll c’est un truc très solidaire, sans être-là à se la péter, apprendre à vivre ensemble…  Sinon, je ne me revendique pas comme un artiste de bar, ou comme un chanteur de rockabilly. Même si j’ai chanté Artiste de Bar sur le premier album. Par contre, il y a des soirs où l’on devrait l’être beaucoup plus, c’est ça que je veux dire. Les bars sont pour moi les derniers endroits de liberté où tu peux croiser tout le monde. Pas qu’à Montreuil, il y a encore des endroits dans Paris, des endroits à Montmartre, où lorsque tu rentres, on ne va pas te regarder de travers. Tu peux être qui tu veux, tu peux être qui tu es, tu peux rencontrer des gens de milieux totalement différents. Artiste de bar, c’est aussi un truc prolo, la rue de Bagnolet, les anars, ce sont des lieux où on chante, où on se fait du bien, où tu rencontres des bandits, des gens qui ont envie de s’encanailler durant la nuit, et dans un bar, il n’y a pas de passe-droits, n’importe qui est accepté. Tu peux y rencontrer l’amour, un plan taf, tu peux rencontrer plein de trucs. Ecrire ce texte-là à un moment de ma vie, ça m’a fait du bien, pour faire la nique à quelques mecs qui se la pétaient un peu, moi je suis un artiste de bar et je t’emmerde!

Kik: La création d’un titre se passe de la façon suivante, souvent Johnny arrive avec une mélodie et un bout de texte, une idée générale et puis après on va travailler tous les cinq.

Johnny Montreuil: Il y a des morceaux où j’ai travaillé avec Kik en premier, d’autres avec Ronan, notamment sur l’album Zanzibar, il y a plein de délires aussi où au départ j’ai travaillé avec Steven (Visten Fatcircle) le batteur, sur des rythmiques, sur des idées générales. En général, les textes sont pratiquement toujours écrits avant, ou des bribes, des débuts de texte. J’ai toujours ce rapport aux textes qui est très fort. En ce moment on travaille beaucoup avec Marceau en base, Il se dégage un truc très léger, très spontané. Je joue de la basse électrique, il y a trois ou quatre notes, pas plus, c’est très simple, très naïf, très brut. C’est beaucoup plus facile de créer avec un univers qui existe déjà, je parle de toute l’équipe : Kik, Ronan, Steven, Marceau. L’état d’esprit, d’où ça vient, d’où ça sort, c’est vraiment lié à nos enfances respectives, à nos histoires d’amour, de solidarité, de fraternité… Il y a un truc avec Kik qu’on vise énormément là-dedans, ce besoin de fraternité, de faire des choses avec des gens avec lesquels on n’a rien à voir, de ne pas être dans un carcan, dans un tiroir, dans un truc sectaire, et on a la chance en banlieue parisienne et à Montreuil en particulier de voir plein de gens qui viennent du monde entier. On développe tout ce qu’on fait avec ces gens-là. Bon on défend quand même un style de musique et on est catalogués rock français et à Montreuil, Kik, Johnny c’est le rock’n’roll, même si on gravite avec plein de gens différents autour de nous. Avec Kik, on s’est rencontrés dans les bars à Montreuil. Il jouait avec le Gommard, il accompagnait Schultz, moi je commençais tout juste le projet Johnny Montreuil. Je lui ai proposé de venir jouer sur le premier EP 5 titres, qu’on sortait pour le Zèbre de Belleville en 2013. Il y en a qui ont arrêté le groupe, Tatou, Géronimo, cependant, on garde de supers bons rapports ensemble, on n’est pas partis en clash, on n’est pas partis vénères, malgré les disputes, qui comme dans tous les groupes étaient nombreuses, mais c’est normal, c’est la vie. Par contre à la fin, lorsque le mec s’en va, on se serre dans les bras et ce qu’on a fait ensemble, on est fiers de l’avoir fait. On reste des frères, on s’appelle toujours, on se voit régulièrement. Regarde les Stones, s’il n’y avait pas eu le business ça ferait belle lurette qu’ils ne seraient plus ensemble.

Kik: La première fois que j’ai vu une affiche de Johnny Montreuil, je me suis dit, “Putain, Johnny Montreuil, c’est qui ce branleur?”. Ca faisait un peu rouleur de mécaniques, et en fait je me suis pris une claque énorme, j’avais trouvé ça super bien tout de suite. Je suis vachement attaché aux textes en français aussi. Je trouvais que ça tenait bien la route, j’avais également écouté Aälma Dili, je me suis dit que c’était bien des mecs qui font de la musique de l’Est, sans être des hippies! J’avais adoré le texte de Devant l’Usine, qui figure sur le premier album.

Johnny Montreuil: Chanter en anglais? Non, c’est un truc que je ne fais pas très bien. A part quelques reprises pour le plaisir comme Girls Just Want To Have Fun de Cyndi Lauper à France Inter. Je chante en français car j’aime vraiment cette langue, je sais ce que je sais faire mais je sais aussi ce que je ne sais pas bien faire. Tu vois à La Maroquinerie Didier Wampas chante Brand New Cadillac de Vince Taylor avec nous et bien il l’a chanté en français. Il ne faut pas se prendre pour des américains ou des anglais, alors que nous sommes des petits français banlieusards. Nos projets? Une bonne tournée qui arrive après la sortie de notre album Zanzibar, avec une date à La Cigale le 29 octobre 2024, c’est l’achèvement d’une tournée qui va commencer en avril. Là on est déjà repartis direct en studio, on a du son, on a des morceaux. Mes rêves à court et à moyen terme, c’est être dans les meilleurs conditions en concert, pour raconter tout ce qu’on a bossé depuis un an, qu’on ne perde pas notre énergie, qu’on puisse affiner tout ce qu’on a envie de faire, qu’on puisse jouer devant le maximum de monde, que ça se passe bien, que ce soit une belle osmose, un beau partage et qu’on rentre en studio et que l’aventure continue avec Jean Lamoot, avec toute notre rage, notre ferveur et notre amour.

Kik: Ca fait douze ans qu’on joue ensemble et à chaque fois que je mets un pied sur scène avec cette équipe, c’est vraiment un réel bonheur.

Sincères remerciements et profonde gratitude à Johnny Montreuil et Kik Liard pour leur sympathie et leur disponibilité à se prêter à cette interview croisée, et à tous les autres musiciens du groupe: Ronan Drougard et Marceau Portron (guitares) et Steven Goron (batterie), sans oublier les anciens membres du début de l’aventure: Emilio “Géronimo” Castiello (mandoline, violon) et Jacques “Tatou” Navaux, (batterie), aux Princes Chameaux et AÄLMA DILI, au Mange Disc pour l’accueil et l’excellent Rougail Saucisses (50, rue de Romainville 93100 Montreuil), aux Tatas Flingueuses pour avoir relayé spontanément la chronique de Zanzibar sur leur page Facebook (52, rue de Paris 93100 Montreuil), à Olivier Moulin, Manager, (Les Facéties de LuluSam) olivier@lesfacetiesdelulusam.com), à VS COM agence de marketing digital et des relations presse.

Toute la discographie de Johnny Montreuil disponible sur ce site web.

Johnny Montreuil sera en concert exceptionnel à La Cigale à Paris le 29.10.2024.
D’autres dates sont annoncées sur le site.

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Serge SCIBOZ
Paris-Move

PARIS-MOVE, April 29th 2024

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