Rock 'n roll |
Mea Culpa! Que Dieu m’accorde sa miséricorde car j’ai péché par omission, par cécité et par surdité, ou à cause de mon cerveau devenu gélatineux. En effet, bien que connaissant l’existence de Johnny depuis belle lurette, non pas Depp, ni Weissmuller, ni l’idole française absolue mariée à une mante religieuse adepte de la minauderie tous azimuts devant les caméras, non je veux bien entendu parler de Johnny Montreuil alias Benoît Dantec pour l’Etat Civil, ou l’inverse, c’est selon… En bon gadjo à moitié embourgeoisé, comme ensuqué dans son petit confort et son ronronnement quotidien de chat plus apprivoisé que sauvage, j’étais hélas quasiment passé à côté de ses deux premiers albums Narvalo City Rockerz de 2015 et de Narvalos Forever de 2019. Etonnez-moi Benoît, comme le chantait jadis Françoise Hardy! Et aujourd’hui, Johnny Montreuil nous présente son nouvel album au titre énigmatique de Zanzibar. Est-ce en rapport avec le jeu de dés très apprécié des piliers des petits bars de Montreuil City ou avec l’archipel de Tanzanie? A vous de le découvrir…
Johnny Montreuil, rien qu’à l’évocation de ce nom, le décor et les clichetons sont plantés. Les clichés et autres stéréotypes journalistiques façon BFM TV vont bon train. Mais cependant, c’est une évidence qui saute aux yeux, comme un raffut dans la tronche après un cadrage-débordement au rugby. Ce pseudo transpire et pue l’authentique rock’n’roll de la ceinture rouge, le cuir fatigué, la baston, les surins de fortune, la ferraille, le cuivre, le cambouis des mobylettes, les hydrocarbures au prix défiant toute concurrence, la Kronenbourg tiède, les rasades de Pastis 51 dans les bistrots populaires de la Croix de Chavaux aux confins du haut Montreuil, le Jack Daniel’s thérapeutique, les objets vintages en bakélite dénichés aux puces de Saint-Ouen, les blousons en mouton retourné, les chemises Stars & Stripes western à boutons pressions nacrés, les bottes de lonesome cowboy aux talons biseautés, les Gitane Testi chouravées et maquillées comme des péripatéticiennes œuvrant sur les boulevards des Maréchaux pour noctambules interlopes, les DS 21 savamment retapées, les tremplins du Golf Drouot, les clichés de Doisneau, l’univers magique de Lucien de Frank Margerin, Paris et sa banlieue vues par Jacques Tardi, les aventures de Gérard Lambert tin-tin-tin, les premiers albums de Renaud, la batte de baseball et le tarbouif sanguinolent de Didier L’Embrouille, le plus grand fan de Dick Rivers après Dick Rivers lui-même, la zone selon La Souris Déglinguée, de Saint-Ouen jusqu’à Clignancourt, de Pleyel jusqu’à Sarcelles, l’asphalte des faubourgs de l’Est parisien de Belleville à Ménilmontant…
Avec Zanzibar, Johnny Montreuil vient de frapper un gros coup et de placer la barre très haute. Non encore plus haute! Et il va falloir que ses contemporains et autres confrères s’accrochent ardemment à la bouée de sauvetage et fassent preuve de génie tutélaire et artistique, s’ils veulent espérer une petite part du gâteau. Car là, Johnny Montreuil s’est accaparé à juste titre, toute la lumière des spotlights et toutes les couvertures. Sous la houlette du légendaire Jean Lamoot, qui a bossé entre autres avec le regretté Alain Bashung, Johnny et son gang de marlous viennent de réaliser un 3ème opus stratosphérique. Cette bande de desperados du rock’n’roll, galvanisée par les compositions et les textes de Johnny, aussi fidèle qu’un Labrador, se compose de: Kik Liard à l’harmonica, Ronan Drougard aux guitares, Steven Goron à la batterie, et Marceau Portron à la basse et à la guitare. Ces mecs jouent comme des morts de faim à l’âme damnée, de véritables fauves lâchés dans une arène du Rome antique, face à des gladiateurs tétanisés. Avec ses excellents et dévoués acolytes, Johnny Montreuil vient de former une véritable machine de guerre bien huilée, que rien ni personne ne pourra stopper. Johnny Montreuil, au faciès patibulaire, sourcils broussailleux à la François Fillon, regard perçant, franc et intimidant, bacchantes fournies tel Thomas Magnum (Tom Selleck) en chemise hawaïenne et Ferrari, teint basané, barbe de 3 ou 4 jours tel Serge Gainsbourg ou l’homme à tête de chou, les cheveux gominés à la couleur noire d’ébène, look de mauvais garçon à la François Villon, musicien accompli à la tendresse bourrue, à la poésie sous-jacente de l’errant, à la loyauté et la sensibilité d’écorché vif, du nomade et du saltimbanque ambulant, parfois les poches et l’estomac vides et le gosier à sec, mais toujours animé d’une passion grandiloquente et d’une volonté bondissante. Bref, une anthropométrie aux antipodes du gendre idéal endimanché et pomponné, devant un gigot de 7 heures flageolets chez sa belle-famille, mais plutôt à jouer dans un film de Georges Lautner, avec des dialogues de Michel Audiard, ou dans un thriller de Stephen King. Avec Zanzibar, les multiples influences et les différents styles musicaux abordés par Johnny Montreuil sont toujours bien palpables dès la première écoute.
L’album est éclectique, bigarré, épicé, très roots, oscillant entre rock’n’roll, country music et hillbilly, avec toujours Johnny (Man in Black) Cash en ligne de mire, période SUN Records et Columbia, rockabilly, psychobilly, musiques tziganes, jazz manouche à la Django et chansons réalistes faisant parfois penser à Fréhel, Piaf et Aristide Bruant. Sans oublier l’harmonica précieux de Kik, plus rural qu’urbain, qui fait des merveilles et donne une indéniable couleur blues à l’opus. Johnny Montreuil fait magnifiquement swinguer la langue française, comme Benoît Blue Boy, Tony Truant, Didier Wampas, Sanseverino et quelques autres… avec son inimitable phrasé et son argot de gitans narvalos. Cet album comporte 13 titres, 13 pépites, 13 diamants bruts d’une musique qui sent la paille, d’une musique au verbe qui fouette le caniveau. On peut malgré tout citer Ciao Narvalo, un titre instrumental tout droit sorti de la BO d’un western spaghetti de Sergio Léone, sur une musique de Morricone, ou d’un western moderne, avec Sanseverino dans le rôle du shérif intransigeant et Johnny Montreuil dans celui qui défend la veuve et l’orphelin, le colt à la main. Le sublime et envoûtant Mysterious Pussy, Ses Amours au rythme punkabilly ou garage digne des Cramps, l’inénarrable Kik, va ranger ta chambre, ainsi que des covers de Hank Williams, The Clash ou encore Johnny Cash viennent compléter le tableau. Johnny Montreuil nous propose un disque profond, couillu, très personnel et très abouti, qui fera date au sein de sa biographie qui semble s’étoffer de jour en jour. Que de chemin parcouru par l’intéressé depuis qu’il a débarqué par un matin blafard de novembre, entre pluie et brouillard, boue et blues à tous les étages, avec sa caravane dans ce terrain vague, ce no man’s land de la rue de Saint-Antoine à Montreuil, dans lequel se côtoyaient des bandits, des fous furieux, des artistes pluridisciplinaires, des bohémiens, des Apaches, des Sioux, des Comanches, des Navajos et autres autochtones, des élagueurs, des rempailleurs, des ânes, un cirque abandonné sans clowns ni trapézistes, des diseuses de bonne aventure, marc de café et boule de cristal… Le temps semble s’être arrêté de ce côté-ci du périphérique, la quiétude d’un village, un Etat dans l’Etat à quelques encablures des cités, avec ses règles de vie et ses us et coutumes, sa propre philosophie, où les tricheurs, les pignoufs, les poucaves et autres usurpateurs de tout poil, n’ont rien à y faire! Benoît Dantec, sans sombrer dans la schizophrénie, s’est fait un nom et surtout un prénom, à la force du poignet, d’honnêteté intellectuelle, de crédibilité artistique, d’authenticité musicale, d’indéniable(s) talent(s), toujours droit dans ses bottes, lui l’archétype de l’humilité sans faille et de la chaleur humaine réconfortante, la moustache et les rouflaquettes un tantinet arrogantes, mais surtout pas surannées.
Pour conclure ma chronique sur Johnny Montreuil, je dirais simplement que le personnage est attachant, que le musicien-chanteur est flamboyant et que son univers musical et personnel force le respect. Zanzibar est un grand album, un disque XXL et tribal à acquérir d’urgence et qui résulte de la liberté chevillée au corps d’un artiste et de ses frères d’armes. INDISPENSABLE ! Merci Johnny d’exister et merci pour ces moments suspendus à l’écoute de ta musique!
Pour se procurer Zanzibar, avant que les schmitts et la prévôté le censurent, car l’establishment déteste les saltimbanques épris de liberté, c’est ICI
Johnny et son gang joueront à la Maroquinerie à Paris le 17 février prochain, mais… c’est déjà complet! Bel engouement pour la sortie de cet album, dont on commence à parler dans les soirées parisiennes et autres cocktails de la rive gauche. Vous connaissez Johnny? Qui? Hallyday? Non, l’autre!
Serge SCIBOZ
Paris-Move
PARIS-MOVE, February 9th 2024