Interview: Bjorn Berge en concert au Sunset

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer et Nathalie ‘Nat’ Harrap (8 et 9 mars 2009)
Traduction : Nathalie ‘Nat’ Harrap
Photos de Bjorn Berge en concert: Frankie Bluesy Pfeiffer
Photo studio: Paul Bernhard
 
Grand et baraqué tel un gardien de but de hockey sur glace (normal, le balaise en question vient de Norvège) Bjorn Berge gronde de sa voix éraillée un blues roots et contemporain à la fois, sur des textes étonnamment actuels.
La force de Bjorn Berge est de déborder du cadre du blues en brouillant les pistes: à coté de covers revisités de Robert Johnson ou Elmore James, le colosse vous propose des versions totalement habitées de Frank Zappa, des Red Hot Chili Peppers ou même de Motörhead. Entre les doigts agiles de Bjorn Berge aucune chanson ne semble pouvoir résister à une version maison, que ce soit sur une six ou une 12 cordes.
 
Malgré des bras et des mains qui rappellent les rois du catch, Bjorn Berge fait preuve d’une grande subtilité et d’une infernale précision dans son jeu de guitare. Le bluesman nordique sait tout faire avec une guitare acoustique, des onglets en métal et un bottleneck, assurant dans un large sourire qu’il peut à lui seul jouer comme un véritable groupe de rock. C’est ce groupe unifié en une seule personne que nous avons rencontré lors de ses deux concerts parisiens au Sunset.
 
 
 
BM : En quelques mots, et très rapidement: pourquoi avoir voulu être musicien?
BB: (large sourire) C’est très simple. Il y a trois raisons pour lesquelles j’ai commencé à jouer de la guitare: je voulais être célèbre, gagner beaucoup d’argent et les filles (rires). Non, je plaisante… En fait, j’ai un frère plus vieux que moi qui était dans la musique ; il jouait du piano, de l’accordéon et c’est comme ça que je me suis intéressé à la musique et que j’ai eu envie de jouer de la guitare.
 
BM : Quel style de musique t’a attiré, au début? Le blues?
BB : Non…! Comme tous les ados, j’aimais le rock, Deep Purple, Led Zeppelin, et j’ai donc joué du rock pendant un certain temps. C’est plus tard que je me suis intéressé au Bluegrass, et au banjo.
 
BM : A quel âge as-tu commencé à jouer du banjo?
BB : J’avais environ 14 ans. Je revenais d’une répétition quand j’ai entendu un de mes voisins qui jouait du banjo et j’ai trouvé que c’était vraiment étonnant. Alors je suis allé échanger ma guitare électrique pour un banjo. Ma mère n’était pas vraiment contente parce que déjà c’était elle qui m’avait acheté ma guitare, et en plus, avec un banjo, le son est beaucoup plus fort qu’avec une guitare électrique et je pense qu’elle aurait préféré que je garde ma guitare et que je fasse moins de bruit… (rires). Ce que je dois dire, tout de même, c’est qu’elle m’a toujours soutenu. Même si certains jours cela a du être très dur pour elle… (rire) 
 
BM : C’est par le banjo que tu es arrivé à la musique acoustique?
BB : Oui, exactement, et puis comme un de mes amis qui jouait aussi du banjo avait une importante collection de vinyles, j’ai découvert Robert Johnson grâce à ses vinyles! Et c’est comme ça que j’ai commencé à écouter Robert Johnson, Bob Dylan, et plein d’autres encore.
 
BM : Et ce sont ces musiciens qui t’ont le plus influencé?
BB : Oui. Il y a eu Robert Johnson, Bob Dylan, mais aussi Eric Clapton, et puis j’ai aussi découvert quelqu’un qui s’appelait Leo Kottke. Quand j’étais plus jeune, j’étais fasciné par Bob Dylan. Il jouait en solo, il écrivait des chansons superbes et il avait cette voix étrange, tu vois. J’étais vraiment un grand fan de Bob Dylan… et je le suis toujours. C’est à cause de lui que je m’étais dit, étant plus jeune: si lui a réussi, pourquoi pas moi…! (rire)
 
BM : Mais tu n’as jamais joué du Bob Dylan. Tu joues du Robert Johnson, et si je peux me permettre, ce n’est pas du Robert Johnson, c’est ‘ta’ façon d’interpréter Robert Johnson. Pourquoi ne le fais-tu pas avec Bob Dylan?
BB : (sourire) J’ai essayé,….mais ça ne marche pas. J’ai beau essayer, je n’arrive pas à sortir quelque chose qui me colle, qui va avec mon style de jouer. Tu comprends ça, toi qui a joué de la guitare, non?
 
BM : Oui, mais tu l’expliques comment…
BB : Je pense,…je pense que c’est une question de rythme. Pour jouer Robert Johnson je change le rythme, la cadence, et je joue Robert Johnson à ma façon, plus ‘hard’. Cela ne m’intéresse pas de jouer exactement comme Robert Johnson, de recréer ce qui a déjà été fait. Je veux ‘jouer’, tu vois? Jouer et adapter la chanson à ma façon de jouer, sinon c’est banal et ça n’a aucun intérêt. Cela ne sert à rien de copier. En fait, quand j’étais plus jeune, j’essayais de jouer exactement comme mes héros, la même cadence, les mêmes notes à la seconde près, le même ‘tout’, et quand j’étais sur scène, ce n’était pas ‘moi’ qu’on venait écouter. Alors, j’ai compris que pour qu’on vienne me voir moi, qu’on vienne m’écouter, il fallait que je développe mon propre style, que je sois différent. Et je pense que je le suis devenu (rire)…
 
BM : Si je suis bien renseignée, tu aurais rencontré Robert Johnson? (sourire)
BB : Oui, c’est exact. C’était, je crois, après une longue, longue, soirée bien arrosée (rire)…
BM : Et Leo Kottke? Tu l’as rencontré?
BB : Non, jamais.
 
BM : Pourquoi? Tu veux garder le mystère de ce qu’aurait pu être votre rencontre?
BB : (silence) Non, pas vraiment, mais c’est quelqu’un qui a la réputation d’être assez particulier,…. assez difficile, disons, et j’ai peur qu’une rencontre ne se passe pas assez bien entre nous, qu’il n’y ait pas le déclic, le feeling que j’espère. Et puis comme il a la réputation d’être assez excentrique et que moi je ne le suis pas du tout, alors c’est peut être mieux comme ça, non…? (rires)
 
BM : Par contre tu as rencontré John Hammond, exact? Après avoir acheté un de ses albums à deux, avec un de tes copains, exact?
BB : (rire) Exact, tout à fait exact… (rire) Ca a commencé le jour où je suis rentré chez un disquaire, et en farfouillant dans tout ce qu’il avait en blues j’ai vu cet album rouge, ‘John Hammond Live’. J’ai demandé à pouvoir l’écouter et quand le disquaire l’a mis sur la platine, le premier titre que j’ai entendu était ‘How She Would’, et là, comment te dire, j’en suis tombé par terre. C’était géant, et le son était vraiment bon. Et puis tout ce que je pouvais penser de vivant de la musique était là, dans ce premier morceau. Alors j’ai demandé à un copain s’il pouvait m’aider à acheter ce disque à deux, et ainsi on se le partagerait: une semaine chez moi et une semaine chez lui… (rire) Et en 1999, je crois, j’ai pu enfin rencontrer John Hammond car il est passé en Norvège. C’est un très bon chanteur et un excellent guitariste.
 
BM : Mais toi tu n’es pas mauvais non plus… Est-ce que tu penses être doué naturellement ou dois-tu pratiquer beaucoup, ou les deux ?
BB : Les deux… Je crois que je suis doué, surtout pour le jeu de doigts, je trouve ça très facile, très naturel. J’arrive à jouer très facilement, j’ai appris à jouer seul sans formation classique… ce qui était plus dur à mon époque. Aujourd’hui avec YouTube, c’est plus facile, on n’a plus besoin d’apprendre, il suffit de regarder comment les musiciens jouent…
 
BM : Une question relative à ce qui touche l’évolution de la musique, maintenant. Quelle est ta position par rapport à Internet?
BB : Ca, c’est une question difficile. (pensif) Internet a vraiment bouleversé les relations, les communications, l’information, la diffusion et cela nous amène à nous poser de nombreuses questions. Concernant le téléchargement illégal, par exemple, je suis contre, mais je dois admettre qu’Internet est super pour moi, pour ma promotion, parce qu’on me voit partout. Je pense que le téléchargement illégal est du à un certain public, des jeunes qui n’écoutent qu’un ou deux morceaux d’un album et qui ne recherchent pas forcément la qualité de son la meilleure. Sinon ils iraient tout de suite acheter un CD. Un exemple, Nathalie: je ne pense pas qu’une ado de 14 ans téléchargera un album de Popa Chubby mais plutôt les deux ou trois chansons R’n’B qui passent en boucle sur une radio. Tu comprends ce que je veux dire? Mon public, notre public n’est pas, à mon avis, celui qui télécharge illégalement car ils veulent du son de qualité, et pas un truc compressé. Notre public, je pense, achète l’album pour nous écouter. Ils veulent de la qualité et puis aussi un bel objet, tu vois ce que je veux dire? Un bel emballage, un livret, une vidéo, tout un ensemble, quoi, et c’est ce que Philippe propose avec son label, Dixiefrog. Et c’est pour moi toute la différence.
 
BM : Tu n’écris plus les paroles de tes chansons? Pourquoi?
BB : En fait, et tu vas le savoir en avant-première, j’ai recommencé à écrire. J’avais arrêté, et d’autres personnes écrivaient pour moi parce que, sincèrement, je n’avais rien à écrire. Comment te dire ça… (sourire) Ma vie était facile, sans souci,… et je ne voyais pas ce que pouvais écrire d’intéressant pour mon public. Pour les trois premiers albums c’est moi qui avais composé toutes les chansons mais après 2001 je me suis retrouvé comme complètement bloqué. D’un seul coup je me suis retrouvé comme ça, sans savoir sur quoi écrire, et c’est pour cela que j’ai demandé à d’autres de m’aider. Voilà, Nathalie,…tu sais toute la vérité, maintenant.
 
BM : C’est donc pour le prochain album?
BB : Oui. Pour le prochain album j’ai écrit toutes mes chansons. Il y aura 3 reprises, je pense, mais pas plus. Ce sera quelque chose de différent, moins ‘hard’, plus doux… Sans doute parce que j’ai maintenant 40 ans et que je dois me calmer… (rire)
 
BM : Tu dis toujours que tu es un groupe à toi tout seul parce que tu fais tout toi-même. Mais pour cet album, tu ne seras pas seul…
BB : Non, c’est vrai. Pour cet album, j’ai un batteur… Sans doute parce que je veux que cet album soit différent: c’est moi, et en même temps ce n’est pas moi. C’est difficile à expliquer… (rire). J’espère que mon public va l’aimer.
BM : Ca ne te manque pas de jouer avec d’autres musiciens?
BB : Quand je suis en concert, j’adore être en solo parce que j’établis un certain rapport avec mon audience, et j’aime ça. Je n’ai besoin de personne d’autre que mon public! Pour enregistrer un CD, c’est aussi bien d’avoir d’autres musiciens. C’est une expérience différente. Mais quand je suis en concert, être seul me permet d’être totalement libre avec mon public, et pour moi c’est important d’avoir cette relation, un peu spéciale. Je suis là pour distraire les gens, leur faire oublier les soucis qu’ils ont, par ma musique mais aussi par ma présence, par les histoires que je leur raconte… Quand tu es avec un groupe, tu n’as pas cette liberté! Pas tout à fait.
 
BM : Justement, pendant ton concert on remarque que tu es très décontracté, que les gens rient, qu’ils s’amusent…
BB : (nous coupant la parole) C’est exactement ça. C’est exactement ce que je veux faire, je veux les amuser…! Tu as tout à fait compris ce que je veux faire en jouant et en chantant pour les gens: les amuser. Parce que la vie est tellement sérieuse, dure… et que rien n’est vraiment facile. Quand j’étais plus jeune, tu vois, je cherchais toujours à écrire des chansons qui pouvaient avoir une certaine portée, ou transmettre un message. Le genre de truc ambitieux, tu vois, sérieux. Aujourd’hui, je pense que ce qui est important c’est que les gens aiment ma musique, et qu’ils puissent se changent les idées en m’écoutant, et si possible s’amuser,… et c’est tout.
 
BM : Comment jongles-tu entre ta vie de famille et ta vie professionnelle. Cela ne doit pas être facile tous les jours, non?
BB : (sourire) J’ai beaucoup de chance car j’ai une femme très compréhensive. On est ensemble depuis 21 ans maintenant et elle comprend très bien comment je partage ma vie entre les deux: ma vie de famille d’un côté et ma vie de musicien de l’autre. Quand je suis en tournée et que je voyage, je suis un musicien, je suis comme quelqu’un qui va au bureau, tu vois… Mais quand je suis à la maison, je suis comme tous les autres maris, tous les autres pères: je suis un gars ordinaire (sourire). Ce que je veux dire, Nathalie, c’est que je vais aux réunions de parents d’élèves, je déposer ma fille au handball, je les emmène à l’école, je fais le taxi, quoi (rire). Je pense que des gens doivent se dire que ça doit me sembler ennuyeux comparé à ce que je fais quand je suis en tournée, mais ce n’est pas vrai. D’ailleurs maintenant j’essaye d’équilibrer tout ça un peu plus encore: une année je fais beaucoup de tournées et puis l’année suivante je reste beaucoup chez moi, mais jamais sans arrêter de faire des concerts. Une fois, j’ai essayé de prendre une année complète sans jouer, et ce fut terrible!
 
BM : Et tes enfants, tu les encourages à faire de la musique?
BB : Mon fils est musicien. Il a 18 ans et il va encore à l’école parce que je veux qu’il ait une profession avant de se lancer complètement dans la musique. C’est très important pour moi que les enfants réussissent tout d’abord leurs études, parce que je veux qu’ils aient une bonne éducation, et puis aussi parce que moi, quand j’ai quitté le collège, je suis allé travailler sur une plateforme pétrolière. Et si jamais, un jour, j’en ai marre d’être dans la musique et que ça ne m’amuse plus, je peux retourner bosser dans le pétrole, tu comprends? Je peux arrêter demain et faire un autre boulot tout de suite, et sans problème. Parce que j’ai eu, moi aussi, une vraie et bonne éducation, et que c’est très important, je pense, d’avoir cette faculté de savoir faire autre chose, un jour, que de travailler dans la musique.
 
BM : Et ta fille?
BB : Ma fille, elle a 15 ans et elle fait plein de trucs de son âge (sourire). Je crois qu’elle a une ou deux chansons de mon dernier album sur son iPod, mais comme je suis son père, c’est pas cool d’aimer les chansons de son père, alors elle n’en a qu’une ou deux (rires).
BM : C’est difficile ou pas, pour le père que tu es, de voir ta fille grandir,…de s’intéresser aux garçons?
BB : (large sourire) Ca, tu vois, Nathalie, ça ne me plaît pas, mais pas du tout. Alors je préviens les garçons que j’ai une carabine dans le placard (rires). Non, sérieusement, je lui fais confiance.
 
BM : Revenons à ta musique: comment choisis-tu les reprises?
BB : C’est tout simple: ce sont des chansons que j’aime, que je peux jouer à ma façon,… et puis il faut qu’il y ait un déclic, une sorte de feeling que je ressens, tu comprends? Mais c’est très facile de choisir des chansons que je veux interpréter. Par exemple, quand Steve Ray Vaughan est mort, j’étais vraiment très triste, perdu en quelque sorte, et puis j’ai écouté ‘One Believer’ et j’ai voulu faire cette chanson, parce que c’est comme quand on te donne une chance pour y arriver. C’était plus fort que moi, il fallait que je la fasse parce qu’elle était en moi. J’ai juste un regret, maintenant, c’est que c’est la première prise qui a été enregistrée, alors que si je la refaisais aujourd’hui, peut-être que j’aurais fait une deuxième prise. C’est mon seul regret.
 
BM : Comment est-ce que tu souhaites transmettre ta passion pour le blues aux jeunes d’aujourd’hui?
BB : En fait, il y a quelques années, j’ai participé à un programme qui était organisé dans les écoles de Norvège. L’idée était de faire connaître aux gosses le blues et la musique moderne, et j’ai passé six mois à le faire. Et ce que j’ai fait, c’est de jouer des standards du blues à la sauce rock, et les gamins, ils étaient époustouflés, ils ne s’attendaient pas à ça. Ca a été un excellent moyen de sensibiliser les gosses au blues, tu vois? Ensuite, j’ai repris cette idée quand je suis reparti en tournée pour voir si le public du blues aimerait ce style de musique blues pimenté de rock,… et ça a marché. (rire)
 
BM : Concernant ta reprise de ‘The thirteen question method’, Nathalie pense que c’est une chanson pour les hommes plus que pour les femmes. Tu es d’accord? (sourire)
BB : Non, c’est pour les femmes aussi…! (rires) C’est une super chanson à jouer en live. En fait, ce morceau était sur mon premier album mais je continue toujours à le jouer parce qu’on peut vraiment s’amuser avec, et le public réagit toujours très bien. Ca met une certaine ambiance, et puis ça correspond bien à ce que je veux faire, amuser les gens, leur faire passer un bon moment. Quand j’ai commencé à faire des concerts en Europe, il me fallait une chanson qui ‘brise la glace’, qui me permette d’établir un rapport immédiat et fort avec le public. Il me fallait une chanson qui permette à mon public de comprendre que je ne suis pas toujours un gars ‘dur’ (‘hard’), que je sais rire, et ça m’a permis de leur montrer différents côtés de ma personnalité.
 
BM : Selon les pays où tu joues, les réactions du public sont-elles différentes? Par exemple ton sens de l’humour est très semblable à celui des Britanniques…
BB : (sourire) Moi, je ne suis pas du genre ‘politiquement correct’, donc je dis ce que je pense… Un de mes problèmes, par exemple, c’est que je ne parle pas français, donc quand je joue en France j’essaye de dire quelques mots de français, mais pas trop, sinon je fais ridicule (rire). Et puis ma guitare traduit tout pour moi…!! (rire)
 
BM : Et l’Angleterre, c’est pour quand?
BB : J’aimerais bien sortir un album en Angleterre, parce que je pense que le public anglais aimerait ce que je fais. Et puis ils ont le même humour que le mien,… alors peut être à bientôt, Nathalie, à Manchester…! (rire)