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Petit retour en arrière (“Back in History”, comme le chantaient les Inmates). Nous étions le 4 mai 2010, et nous interviewions à Paris celui que l’on peut considérer comme l’âme et la conscience du pub-rock anglais, Sir Wilko Johnson (ITW à retrouver ICI).
Nous: Dis donc, “Oil City Confidential” (rockumentaire signé Julian temple, consacré aux débuts de Dr. Feelgood) semble marcher très fort en Angleterre, et une nouvelle génération a donc la chance de pouvoir redécouvrir cette musique. Penses-tu que, comme avec “Quadrophenia” pour le revival mod d’il y a trente ans, cela pourrait faire émerger une nouvelle génération de groupes dans votre style d’alors?
Wilko: Mmmm… Je n’en sais rien!.. Ce serait extrêmement flatteur, bien sûr, mais tu sais, je pense qu’à bien des égards, la musique a beaucoup changé depuis. La révolution numérique a engendré une nouvelle manière de créer des sons, et aussi d’autres façons de les écouter. Certes, il y a toujours des types qui se mettent ensemble avec des guitares, mais je ne pense pas que l’histoire puisse répéter aussi fidèlement ce que nous avons vécu.… Il y avait alors une forme de simplicité que nous ne pourrons jamais retrouver, je le crains!.. Bien entendu, j’adorerais que les circonstances permettent que les gens se tournent à nouveau vers des musiques faites avec de vrais instruments, des guitares etc., et se remettent à jouer du rock n’ roll!…
Avant de passer l’arme à gauche, ce bon Wilko a non seulement eu l’occasion d’enregistrer un plein album de ses propres compos les plus emblématiques avec Roger Daltrey au micro, mais aussi l’ineffable bonheur de voir émerger de jeunes formations telles que les 45’s et surtout les Strypes, qui reprirent (pour un temps hélas trop compté) l’esprit et la flamme de la scène de Canvey Island. Mais ce siècle étant ce qu’il est, les modes refluent et se succèdent comme les vagues sur les plages de Westcliff-on-Sea, et le brasier escompté s’éteignit bien vite, tel une flammèche sous le crachin des engouements éphémères. Admettons-le, le rock, dans son acception la plus pure et radicale, semble désormais une affaire de vieux messieurs (soit la nôtre, pour bonne part). Une passion mortifère à l’usage d’entomologistes aux relents de naphtaline, chérissant depuis l’antre de leur tanière des héros aussi notoirement forclos que Gene Vincent, les Flamin’ Groovies, les Pretty Things ou les Count Bishops. Le manifeste d’Yves Adrien dans Rock & Folk, “Je Chante Le Rock Électrique”, date de plus d’un demi-siècle, et son auteur lui-même est passé à bien autre chose depuis. Quant aux fans originels de The Jam et du Clash, ils suscitent de nos jours la même empathie confuse et embarrassée que ceux de Jean-Philippe Smet… Bref, pour paraphraser Zappa, le rock n’est peut-être pas tout à fait mort, mais il a tout de même une drôle d’odeur, et après le blues des urgentistes et les papes rock-stars, il ne sait plus très bien où il habite. Raison de plus pour saluer la résurgence tardive (et quasi-anachronique) de ce que Nick Cohn décrivait dans son incontournable “A-Wop-Bam-A-Looma-Balam-Bam-Boom” comme une “irrépressible turgescence adolescente, à la fois signe de reconnaissance et ligne de démarcation à l’encontre du monde des adultes“. Rien que ça? Mais bon Dieu, rendez-vous compte, mince!.. Issu (comme le stakhanoviste garage-punk Billy Childish et sa myriade de groupes locaux) de ce morne marigot du Kent que l’on désigne sous le terme de Medway, un trio de morveux (deux frangins et leur poteau d’enfance), armés d’instruments basiques et d’un culot à démâter l’armada espagnole, se sont fixé pour mission en 2020 de ranimer le cadavre à peine tiède de ce machin rapiécé que l’on ne sait même plus comment nommer de nos jours. Et ce, en repartant d’où cela part finalement toujours: les pubs, les youth clubs et les social parties, comme The Jam, Feelgood et Eddie & The Hot Rods en leur temps. Sauf qu’à leur époque, ces vaillants impétrants disposaient d’un véritable circuit national où faire leurs classes, avant de se risquer à des tribunes plus conséquentes. Tandis qu’à présent, ce réseau a depuis belle lurette cédé pavillon aux dance-floors animés par des DJs à oreillette (quand ce ne sont pas ces karaokés où le spectateur paie pour s’humilier en public). À l’ère de The Voice, Youtube, Facebook/Meta et des plateformes digitales, celle du quart d’heure de célébrité prophétisé par Warhol est largement advenue, mais nos garnements ont décidé de n’en tenter le jeu que pour mieux le contourner. Après avoir arpenté des scènes aussi avantageuses que le Rory Gallagher Tribute Festival de Ballyshannon, le Broadstairs Blues Bash, et carrément l’édition 2023 du Crossroads Festival parraîné par Clapton à Los Angeles, ainsi qu’effectué les premières parties de Samantha Fish, Nine Below Zero, Eddie 9V et des Cinelli Brothers (sans omettre de publier deux EPs auto-produits, les déjà très convoités “Made Of Three” et “Live And Loud”), ces lascars au blase improbable signent un imparable premier LP sous l’égide de Thomas Ruf et Ian Sadler. Si son titre en résume pleinement la démarche, les poseurs d’étiquettes n’en ont pas fini pour autant de se perdre en conjectures. Trop hâtivement rangé dans la case blues-rock, le Schulze Gang ne se laisse en effet pas cerner si facilement, comme en témoigne ici le “The Rocker” d’ouverture, dont la batterie et le riff bastonnent comme sur les premiers AC/DC et Thin Lizzy. L’exégète y décèlera également une touche de Stiff Little Fingers et d’early-Police dans les vocals, mais c’est bien la comparaison avec Angus Young qui bondit aux tympans dès son solo. L’harmonica d’un certain Nigel Feist confère à “I Won’t Do This Anymore” et “High Roller” un parfum bienvenu de Lew Lewis Reformer, avant que “Betterland” et “Angeline” n’empruntent la facture Britpop de Dodgy et de ces blaireaux d’Oasis (preuve qu’il n’y a pas que du Rory, dans l’ADN Gallagher de ces galopins). Il n’est pourtant pas superflu de répéter quel impressionnant guitar-hero se révèle leur leader, et combien les chœurs que fomentent ces garçons s’avèrent un atout supplémentaire à leur stew. La touche Easybeats revisitée par Barrie Masters et ses Hot Rods transpire en moins de trois minutes sur l’expéditif “Running Dry”, et “Damaged Man” fonce pied au plancher comme un inédit de Creedence ou Jerry Lee Lewis boosté par Gypie Mayo en personne (dont on retrouve également la marque sur “Back Again”). Un orgue Hammond s’invite sur le funky et dansant “Turning To Stone” (où Zac démontre qu’il a aussi écouté Freddie King), et avec son feu d’artifices de guitares, “Keep It Up” fait le lien entre l’Electric Band Of Gypsys (à mi-chemin de “Crosstown Traffic et “Stone Free”) et John Frusciante au sein des Red Hot Chili Peppers. La ballade conclusive “Things Change” s’inscrit pour sa part entre Badfinger et les Moody Blues seconde période, mais on n’y décèlera pourtant pas la moindre trace de pastiche. Trop jeune pour s’inscrire dans un quelconque mouvement revivaliste (et trop indiscipliné pour se laisser réduire à une quelconque catégorisation), le Zac Schulze Gang n’en restitue pas moins avec panache et naturel l’esprit de sept décennies de pop n’ roll. Vous avez dit synthèse? Nous pencherions plutôt pour substrat, mais on chipote…
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, October 1st 2025
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