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On jette un coup d’œil dans le rétroviseur, on laisse les années défiler, on freine, et soudain nous voilà en 1920. Dehors, un club de jazz illumine la nuit. On franchit la porte, et l’émerveillement s’installe. Ce n’est pas seulement un enregistrement, mais un voyage dans le temps, avec la lumineuse Catherine Russell dans son élément, faisant ce qu’elle sait faire mieux que quiconque: redonner vie à l’histoire du jazz. Elle y insuffle même une touche d’intention moderne, une prouesse rare lorsqu’on travaille sur une musique aussi profondément marquée par le temps.
Les Jazz Hounds de Colin Hancock, cornettiste, saxophoniste, historien et producteur afro-rom — présentent avec fierté Cat & the Hounds, un album audacieux qui ranime l’esprit du jazz et du blues noirs du début des années 1920 avec à la fois une fidélité historique et une urgence contemporaine. Puisant dans de rares enregistrements de cette décennie et dans des recherches archivistiques approfondies, les Jazz Hounds abordent ces pièces non comme de simples reconstitutions, mais comme de véritables restaurations, leur redonnant souffle, conservant leurs aspérités, leur grain, leur pouls humain. Le nom même du groupe rend hommage aux pionniers des Jazz Hounds de Johnny Dunn, et cet ensemble moderne canalise l’héritage de chacun de ses membres dans des performances qui honorent les racines complexes et cosmopolites de la musique populaire noire des débuts.
Nombreux sont les musiciens qui se sont risqués à de tels voyages dans le passé, avec plus ou moins de réussite. Mais ici, chaque détail est traité avec un respect absolu : trompettes bouchées, timbre exact du piano, phrasé minutieux de chaque note. L’effet n’est pas celui d’une copie, mais d’une immersion véritable, qui permet d’entendre l’Histoire à nouveau et de l’admirer autrement. L’album trouve son origine dans la vision de George Wein pour une présentation «History of Jazz» lors du Newport Jazz Festival 2020, un événement destiné à mettre en lumière les styles fondateurs et une nouvelle génération de musiciens noirs traditionalistes. Wein s’était tourné vers Vince Giordano, membre éminent des Nighthawks, qui confia ensuite le projet à Hancock. Lorsque la pandémie annula le festival et que Wein disparut peu après, le concept sembla voué à l’oubli.
Pourtant, les albums, comme les histoires qu’ils racontent, suivent souvent des chemins sinueux, faits de détours, de pauses et de rencontres imprévues. Pour concrétiser un tel projet, il faut trouver les mains capables de le porter. En l’occurrence, Hancock s’est révélé l’intendant idéal, associant une recherche minutieuse à la précision de transcription indispensable pour ressusciter ces œuvres historiques. «Le jazz des débuts n’était pas seulement l’œuvre de cornets amateurs,» écrivent Kahn et Hancock dans les notes de pochette. «Et le blues des débuts ne venait pas uniquement des guitaristes ruraux.» La musique, au contraire, fut façonnée par des violonistes, des pianistes formés au conservatoire et des artistes enracinés dans les traditions classiques, caribéennes et afro-américaines, mêlant improvisation, syncope, spirituals et ragtime pour créer une forme vibrante et évolutive. «Au même moment,» ajoutent-ils, «l’industrie du disque naissante a réduit cette riche mosaïque musicale au terme plus commercial de “blues”.» Cat & the Hounds s’attache à corriger cette réduction, redonnant de la nuance à une histoire trop souvent aplatie.
C’est le genre de disque dont on pourrait parler des heures, une tasse de thé à la main, en laissant la musique tourner tandis qu’on imagine de belles dames et leurs galants partenaires envahir la piste de danse. Ou bien l’on peut simplement s’asseoir et l’écouter sur une excellente chaîne hi-fi, en se laissant happer par la chaleur et la beauté de son enregistrement, et par ce parfum d’une époque où, à la nuit tombée, l’air devant un club vibrait de la promesse d’une musique capable de tout changer.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, August 12th 2025
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Musicians:
Catherine Russel, vocals
Collin Hancock, cornet, C melody sax
Dion Tucker, trombone
Evan Christopher, clarinet, soprano sax, vocals, harmonica
Ahmad Johnson, drums
Kerry Lewis, tuba
Special guest:
Vince Giordano, bass sax
Tracklist :
- Panama Limited Blues
- Cake Walkin’ Babies
- Telephoning the Blues
- You’ve Got Everything a Sweet Mama Needs But Me
- Gypsy Blues (Introducing: Serenade Blues)
- Elevator Papa, Switchboard Mama
- West Indies Blues
- Everybody Mess Around
- Goin’ Crazy with the Blues
- Crazy Blues
- Carolina Shout
- Sweet Man