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Kieran Brown : une jeune voix dans la grande tradition, et déjà des promesses d’audace.
Face à un album composé majoritairement de reprises, des standards du Great American Songbook interprétés avec un respect scrupuleux et une réelle exigence technique, j’ai choisi d’éviter, dans un premier temps, les sentiers trop balisés. Mon attention s’est portée directement sur les deux compositions originales de l’artiste. Et ce choix, loin d’être anodin, s’est révélé des plus éclairants : il a permis de mesurer l’étendue discrète mais affirmée du talent de Kieran Brown, chanteuse en devenir dont la voix, la retenue et la maturité artistique étonnent dès les premières écoutes.
Konrad Paszkudski, directeur artistique de Jazz at the Ballroom, ne mâche pas ses mots: “L’avenir du jazz et du Great American Songbook repose entre les mains de cette artiste incroyablement talentueuse.” Une déclaration qui, de prime abord, pourrait sembler relever de la rhétorique promotionnelle, mais qui trouve une résonance très concrète à l’écoute de ce premier album. Oui, l’album est d’un classicisme assumé. Mais le réduire à cela serait non seulement injuste, mais aussi profondément réducteur.
Les titres choisis sont exigeants, tant sur le plan harmonique que dans l’interprétation. On n’en sort pas indemne sans une technique vocale impeccable et une véritable intelligence musicale. Dès le cinquième morceau, “I’ll Love You Just the Same”, la démonstration est faite. Kieran Brown y fait preuve d’une maîtrise rare pour une artiste de son âge. Et surtout, on sent chez elle une retenue volontaire, presque stratégique. Comme si elle choisissait délibérément de ne pas trop en faire, de ne pas trahir l’esprit du Songbook, tout en laissant entrevoir, en filigrane, un potentiel bien plus vaste. L’écoute attentive de ce titre ne laisse guère de doute: Brown aurait tout à fait les moyens d’explorer des terrains plus audacieux, à la croisée du jazz contemporain et du R&B, dans la lignée d’une Nikki Yanofsky à ses débuts, par exemple.
Mais pour un premier album, il est parfois plus judicieux d’opter pour le consensus, de s’inscrire dans une tradition plutôt que de la bousculer. Ce que fait Kieran Brown avec une élégance remarquable. Et c’est précisément cette modestie apparente, cette manière de s’effacer derrière le répertoire, qui intrigue et séduit à la fois.
Confirmation avec sa seconde composition, “Little Bits of Magic”. Il s’y passe autre chose. Quelque chose d’irréductible, de personnel. Une petite étincelle d’identité artistique. Ce morceau, plus encore que le précédent, laisse entrevoir un univers singulier, et surtout, il crée une attente. Une attente qui se double d’impatience, car au moment même où ces lignes sont écrites, l’album n’est pas encore officiellement sorti.
Kieran Brown ne se contente pas de chanter: elle habite les morceaux avec une réelle capacité de narration, une justesse émotionnelle qui dépasse le simple travail vocal. Diplômée de la prestigieuse Jacobs School of Music de l’Université de l’Indiana, elle s’est formée auprès de figures majeures du jazz américain, Sachal Vasandani, Darmon Meader (New York Voices), Lee Musiker (pianiste de Tony Bennett), John Raymond, Dave Stryker, Greg Ward, Oliver Nelson Jr., Todd Coolman… Un bagage solide, qui explique cette assurance tranquille. À l’université, elle s’est également distinguée en tant que chanteuse soliste de l’IU Soul Revue, dirigée par le légendaire bassiste et producteur Dr. James Strong (Toni Braxton, Tupac, LL Cool J), et a fait partie du célèbre ensemble vocal The Singing Hoosiers, lauréat d’un Grammy Award.
Ce n’est qu’après avoir écouté ses deux morceaux originaux que je suis revenu aux reprises, avec un regard renouvelé. Je savais désormais où situer sa sensibilité. Et je peux l’affirmer sans détour: nous n’en sommes qu’aux premiers pas d’une carrière qui pourrait, dans les années à venir, prendre une dimension considérable.
Installée à New York depuis avril 2023, Kieran Brown s’est rapidement imposée sur la scène jazz la plus compétitive du monde. On la retrouve dans les hauts lieux du genre: le Dizzy’s Club du Jazz at Lincoln Center, le Birdland, le Django, Mezzrow, Chelsea Table & Stage, le Green Room 42… Elle partage la scène avec des musiciens de premier plan comme Konrad Paszkudski et Mike Karn (anciens membres du John Pizzarelli Quartet), Emmet Cohen, Joe Farnsworth…
Ce premier album, véritable coup de cœur, révèle une artiste à la fois respectueuse d’un héritage et subtilement en marche vers autre chose. Avec des orchestrations fines, une direction artistique maîtrisée, et une voix qui sait déjà dire beaucoup, Kieran Brown signe ici une entrée en matière aussi classique qu’élégamment audacieuse.
Et l’on attend la suite avec un réel frisson d’enthousiasme.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, June 3rd 2025
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Musicians :
Kieran Brown – Vocals (Tracks 1-10)
Tyler Henderson – Piano (Tracks 1-10)
Joey Ranieri – Bass (Tracks 1-6, 8, 9)
Joe Peri – Drums (Tracks 1-7, 8, 9)
Aaron Matson – Guitar (Tracks 1, 2, 4, 6, 7)
Jarien Jamanila – Alto (Tracks 1, 2)
Chris Lewis – Tenor (Tracks 1, 2, 4)
Tony Glausi – Trumpet (Tracks 1, 2, 9)
Jacob Melsha – Trombone (Tracks 1, 2)
Isabella Geis – Violin 1 (Track 3)
Emma Richman – Violin 2 (Track 3)
Cameren Williams – Viola (Track 3)
Iona Batchelder – Cello (Tracks 3, 10)
Eytan Schillinger-Hyman – Electric Bass (Track 7)
Nathan Farrell – Vocals (Track 8)
Joe Block – Arrangements (Tracks 3, 10)
Aaron Matson – Arrangements (Tracks 1, 2, 6)
Kieran Brown – Arrangements (Tracks 4-9)
Tracklist :
You’re Gonna Hear From Me
Do It Again
Emily
Meditation
I’ll Love You Just The Same
Alfie
Little Bits Of Magic
Loving You
Hallelujah, I Love Him So
Somewhere
Executive Producer: Cory Weeds, Kieran Brown
Recorded at Bunker Studios on June 29th, 2024
Engineered by: Aaron Nevezie
Mixed and mastered by: Aaron Nevezie, Alex DeTurk
Photography by: Margherita Andreani (Album Cover), June Cavlan (Studio Session)
Production Manager: Dominic Duchamp
Design & Layout: Tilda Hedwig