X – Alphabetland

Fat Possum
Rock
X - Alphabetland

Alors là, record battu ! 27 ans après leur précédent album (voire 35, si on considère que celui-ci ne réunissait déjà plus le line-up originel), X, le punk-band emblématique de Los Angeles revient, et comme le disaient les publicités des blockbusters d’alors, ils ne sont pas contents! Songez que leur producteur et mentor initial, le grand Ray Manzarek (paix à son âme), serait aujourd’hui âgé de 85 ans, s’il n’avait eu l’idée saugrenue de nous quitter bien avant d’assister à ce miracle… Christene Lee Cervenka (dite Exene), 64 ans, son ex-mari John Nommensen Duchac (dit John Doe), 67 printemps, Donald J. Bonebrake, 64 balais et Stuart Tyson Kindell (dit Billy Zoom), 72 piges, ne sont plus exactement des perdreaux de l’année. Mais ce ne sera certes pas ce morveux de Johnny Rotten (né en 1956) qui viendra le leur reprocher, désormais qu’il crèche sous les mêmes latitudes… À quoi rime-t-il, en effet, d’interprêter cette ultime expression de la jeunesse quand nombre de vos condisciples en sont déjà à réserver leur place à l’EHPAD du secteur? Tout le monde ne peut pas tirer sa révérence avant cette funeste échéance (comme les Ramones et Motörhead surent le faire à leurs corps plus ou moins défendants), et même les Who (qui lancèrent les premiers ce douteux adage) n’y parvinrent qu’à 50%. Alors, j’insiste, à quoi bon? Il y a cinq ans, Zoom dut se faire traiter d’un cancer de la vessie (songez que ce vénérable guitariste accompagna Big Joe Turner, Etta James et jusqu’à Gene Vincent…), tandis qu’Exene fut quant à elle confrontée au fléau de la sclérose en plaques. Après des années consacrées à des projets solo ou collectifs (auxquels ils ne manquaient souvent pas de s’associer partiellement), X s’était reformé en 2008, pour se produire régulièrement lors de festivals tels que Coachella ou All Tomorrow’s Parties. Mais hormis l’occasionnel album live commémoratif, on n’attendait sincèrement plus grand chose de leur part, du moins sur le plan discographique. D’où la surprise et la circonspection avec lesquelles on aborde à présent cet ovni spatio-temporel. C’est précisément là que vous cueille d’emblée la plage titulaire: sur un beat néanderthalien, et directement au menton. Avec sa guitare abrasive millésimée 77 et le chant inaltérément lolitesque d’Exene, on croirait enfin ouïr la jam mille fois fantasmée entre Debbie Harry et les Ramones! “Free” et “I Gotta Fever” sonnent comme Clash et Stiff Little Fingers, et “Strange Life” comme un cousin du “No Fun” d’Iggy & The Stooges, tandis que “Delta 88 Nightmare” (1’37 au compteur) et “Angel On The Road” ressuscitent le cowpunk frénétique de Jason & The Scorchers, et que “Star Chambered” en fait autant pour le garage-rock qu’exportèrent les Pretty Things en leur temps (avec son riff emprunté à leur “Rosalyn”), afin que des Sonics aux Chesterfield Kings, Fuzztones et autres Kings Of Altamont, maints gangs U.S. le perpétuent à leur tour. Zoom (qui joue même du saxophone sur “Cyrano deBerger’s Back”) assaisonne le tout de sa science affolante de la guitare rock (depuis le surf de Duane Eddy jusqu’à Eddie Cochran, James Williamson, Chuck Berry et Johnny Ramone), tandis que Doe et Cervenka se répartissent les vocaux. Quant à l’impassible Brakebone, il martèle un twist crampesque dès que l’occasion s’en présente (l’accusateur “Water & Wine”), entre deux cavalcades effrénées. En moins de 28 minutes ô combien tapantes, cet album se referme sur un talking jazz piano devisant sur notre mortalité commune (avec Robby Krieger passé en voisin saupoudrer le cocktail), et ranime avec panache l’urgence d’une formation à l’increvable persistance.
“M’man, papy et mamie se sont encore remis à faire du rock n’ roll…!” – “Cesse donc de raconter n’importe quoi et monte ranger ta chambre!”. Si Maman savait…

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 7th 2020