WILLIAM LEE ELLIS – Ghost Hymns

Yellow Dog Records
Bluegrass, Blues, Ragtime
WILLIAM LEE ELLIS - Ghost Hymns

Bon sang ne saurait mentir, dit le proverbe. Fils de Tony Ellis, banjoïste et violoniste émérite qui se fit connaître au sein des Bluegrass Boys au début des années 60, William Lee (comme le Général Sudiste prénommé Robert E. dont c’était le patronyme) a assurément de qui tenir. Les Bluegrass Boys n’étaient autres que la formation de musiciens qui accompagna le grand vulgarisateur du genre, Bill Monroe, au cours de ses six décennies de carrière. On  recensa ainsi plus de 150 membres à en avoir fait partie à une période ou une autre, parmi lesquels, outre les célèbres Flatt & Scruggs, on citera des pointures telles que Chubby Wise, Vassar Clements, Kenny Baker et donc Tony Ellis, qui ne participa à cet ensemble qu’une trentaine de mois, mais n’en donna pas moins à son rejeton le prénom de son parrain, Monroe en personne. Ayant grandi à Kingsport, dans le Tennessee, le jeune William fut baigné dans le bluegrass dès son plus jeune âge, et se trouva tout naturellement encouragé à accompagner son paternel dans les concours et festivals de ce genre à travers les nombreux États où il demeurait populaire. Ce qui n’empêcha pas le jeune impétrant de s’orienter pour sa part vers l’apprentissage de la guitare classique, jusqu’à en obtenir un Master auprès du Cincinatti College Conservatory of Music. C’est au cours de ce cursus qu’il fut amené à s’ouvrir au Piedmont blues, dont le maître incontesté du finger-picking demeure pour la postérité le grand Reverend Gary Davis. Suite à cette révélation, William Lee remonta également la piste de Blind Blake, Lonnie Johnson et Blind Willie Johnson, et monta son propre groupe, les Midnight Steppers (avec son ami Larry Nager, auteur et documentariste de Nashville qui signa non seulement la biographie autorisée de Bill Monroe, mais aussi la bible des musiques du Sud, “Memphis Beat”). Débutée en 1987, sa carrière solo ne comptait que cinq albums à ce jour: “Righteous Blues”, “Preachin’ In That Wilderness” en 92 (en collaboration avec Andy Cohen et Eleanor Ellis), “The Full Catastrophe” en 2000, “Conqueroo” en 2002 (avec son père, ainsi que Larry Nager, les Masqueraders et les chanteuses Reba Russell et Susan Marshall) et “God’s Tattoos” en 2006. Devenu entre temps professeur en ethnomusicologie auprès du St. Michael’s College dans le Vermont, il s’est également investi dans l’organisation d’expositions et de conférences autour des musiques vernaculaires Afro-Américaines, qui l’ont tenu éloigné des studios une quinzaine d’années durant. L’enregistrement de “Ghost Hymns”, l’album de son retour (et son quatrième chez Yellow Dog), a pris 18 mois, en raison notamment de la célèbre pandémie qui en a entravé la progression, comme pour tant d’autres activités humaines. Co-produits par William Lee, River Hartley et le fidèle Larry Nager, ces douze originaux furent captés entre Colchester (Vermont), Memphis (Tennessee) et Kaua’i (Hawaï), quasiment live, et en guère plus d’une ou deux prises pour chacun. S’ouvrant sur le typique bluegrass “Cony Catch The Sun” (que William Lee exécute et chante seul au banjo), cette martingale se poursuit sur le ragtime blues “Flood Tale”, dans la veine immémoriale de Blind Blake, avec le renfort d’un harmoniciste, d’une basse et d’un dolceola (instrument antique ressemblant à un piano miniature, qui s’avère en fait une cithare dotée d’un clavier, et restitue le son d’une boîte à musique). On s’y ébroue manifestement dans le registre où Robert Crumb trouva son bonheur, jusqu’à une coda en forme de pre-war hillbilly. L’ombre de Gary Davis (et par extension celles de Jorma Kaukonen et J.J. Cale) nimbe l’exquis “Pearl River Blues”, dont Ellis s’acquitte aisément seul. Retour au bluegrass le plus alerte avec le traditionnel “All For You”, manifestement capté à Hawaï. Avec ses percussions sur boite à cigares, clave et conga, on y reconnaît les saveurs et effluves qui introduisirent Bob Brozman aux musiques de cet archipel. Par la grâce de son arrangement pour quatuor à cordes (viole, violons et violoncelle), le majestueux instrumental “Earth And Winding Sheet” nous dépayse davantage encore, avant que “Call On Me (An Eidolon Air)” ne nous amène en territoire folk celtique, avec le violon de Pete Sutherland et les chœurs de Julie Coffey. Co-signé par William Lee avec Larry Nager, l’instrumental élégiaque “Lost Heaven” s’apparente à ce que Peter Green délivrait au temps de son “Albatross” (mais sans les percussions), avant une nouvelle incursion bluegrass, avec l’enjoué “Mumblin’ Word”, dont Nager assure la basse et le washboard, Neil Rossi le violon et Rik Palieri le banjo, tandis que William Lee se réserve la guitare 12 cordes, et que les deux précités y prodiguent le chant choral avec Julie Coffey. Le genre de refrain dont Pete Seeger faisait son miel, au temps de ses hootenannies. Back to ragtime again avec un autre instrumental, le bref “Goat Island”, sur lequel William Lee s’accompagne, outre sa guitare, de percussions exotiques et d’un conga, suivi du languide “River Of Need”. Nouvel intermède instrumental avec le placide “Belarus”, avant le mélancolique “Bury Me In The Sky/ I Don’t Feel At Home In This World Anymore”, dont William partage les vocaux avec une certaine KeruBo, tandis que Hannah Assefa officie au violon, pour conclure en mode appalachien ce très bel album, dont l’éclectisme ne dessert en rien la cohésion.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, August 8th 2023

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https://www.youtube.com/watch?v=rRvGmqbci-I