WILKO JOHNSON – Blow Your Mind

Chess / Universal
Rock

Pub-rock. Le terme fut tellement galvaudé depuis son apparition. Et comme en témoignait un récent reportage sur ses terres originelles, qu’en reste-t-il de nos jours? Les émanations toxiques des raffineries locales eurent la peau de nombre de ses instigateurs, à commencer par celle de Lee Brilleaux lui-même, voici bientôt un quart de siècle. Suivirent Gypie Mayo, Dave Higgs, Buzz Barwell, et jusqu’à la tendre Irene, égérie de Wilko JOHNSON. Quant au légendaire Bill Hurley, son ectoplasme semi-clochardisé hante encore sporadiquement les arrière-salles des suburbs londoniennes… Canvey Island, ce bled de l’estuaire de la Tamise où le jeune Wilko mena la vindicte contre l’industrie pétrolière, fit ainsi payer un lourd tribut à sa populace. Il faillit bien y laisser sa peau, lui aussi: condamné par la médecine en 2013, il se signala au bon souvenir de médias toujours en quête de pathos, en entamant alors une ultime tournée d’adieu. Sauf qu’une vulgaire tumeur au pancréas ne pouvait à elle seule avoir raison du dernier grognard de Southend-On-Sea. À la surprise générale (y compris la sienne), l’ablation risquée du corps étranger offre désormais à Wilko JOHNSON une dernière chance de rappeler aux âmes les plus obtuses les propriétés régénératrices de l’élixir du Bon Docteur. S’il devait n’en rester qu’un, il sera donc celui-là. La plage titulaire sonne comme un avatar de “I Don’t Mind”, tandis que le “Beauty” qui ouvre le ban et “Take It Easy” s’avèrent les héritiers directs du “Sneakin’ Suspicion” qui scella jadis la rupture avec Dr. Feelgood. Rien d’étonnant si l’on considère que cet album fut capté dans le même studio, Rockfield, à Monmouth, dans le Pays de Galles. Pour situer les lieux, Dave Edmunds, y produisit le “Shake Some Action” des Groovies. Les amis Steve “West” Weston à l’harmonica, et Mick Talbot aux claviers (qui officiaient déjà auprès de Wilko JOHNSON et Roger Daltrey lors du poignant et reputé testamentaire “Going Back Home” de 2014) sont de la partie, comme en témoignent les funky “Tell Me One More Thing” et “Lowdown”, drivés par la basse la plus tellurique depuis que John Entwistle a replié son parapluie. Dylan Howe, fils de son père chez Yes et Frankie Goes To Hollywood, assure le drumming nerveux et près de l’os qui sied à la circonstance. “That’s The Way I Love You” n’aurait pas déparé le classique post-Feelgood “Ice On The Motorway”, tandis que “Love The Way You Do” est le démarquage à peine voilé de “When I’m Gone”. Qu’ajouter? Le chant de Wilko JOHNSON est toujours aussi clivant, mais son jeu sur les six cordes Fender demeure pour sa part plus abrasif que jamais (cf. l’instrumental “Slamming” qui galope vers la sortie). Bon Dieu les zombies, ce sont l’âme, le souffle et l’esprit de Doctor Feelgood qui persistent et signent. Et cela vaut tous les gilets jaunes de la planète: working class spirit guaranteed…!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

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Quand je vois ce revenant de nulle part balancer un album de ce calibre, je me dis que la vie est parfois injuste. Totalement injuste. Quand cet animal, après 11 heures d’opération et l’ablation d’un cancer au pancréas de la taille d’une balle de tennis puis une convalescence vécue en dents de scie car “rien n’était gagné, rien!” (dixit ses toubibs), et qu’ensuite il me fait parvenir (et signé) son “Blow your mind”, je ne peux m’empêcher de repenser avec beaucoup d’émotion à ce que mon ami Jon Lord aurait pu nous offrir si son pancréas l’avait autorisé à bénéficier du même destin que Wilko JOHNSON.  Clavier du mythique groupe britannique Deep Purple, Jon Lord est décédé à l’âge de 71 ans d’une embolie pulmonaire liée au cancer du pancréas qui le dévorait de manière fulgurante depuis quelques mois. Un autre destin que celui de ce Wilko dont j’étais à deux doigts de signer une belle néchro en apprenant que ce p…. de crabe lui bouffait aussi le pancréas. Mais son passé de féroce gratteux au sein de ce bon Docteur Feelgood l’a soit “blindé”, soit “protégé”, soit tout simplement mis face à son propre destin. A l’instar des Cream ou Jimi Hendrix Experience, en mode power-trio qui bouscule tout sur son passage, Wilko JOHNSON nous balance ici 12 titres qui mettent le feu aux enceintes. Accompagné par deux grosses pointures, Norman Watt-Roy (ex Blockheads) à la basse et Dylan Howe (le fils du génial guitariste de Yes, Steve Howe) à la batterie, Wilko JOHNSON ne semble même pas vouloir démontrer de quoi un ancien est encore capable. Tout sort de manière naturelle, spontanée. Vous prenez l’opus en pleine tronche, comme un uppercut, et vous en redemandez un autre, car plusieurs écoutes sont nécessaires pour savourer tout le punch et la beauté renversante de cet album. Rageur et sans doute vengeur, Wilko JOHNSON évoque son parcours hospitalier dans… “Marijuana”. C’est direct, dit sans détour, et cela vous fait prendre conscience, comme le dit si bien Wilko, que “quelque part dans le noir il y a une horloge qui compte mes heures”. Cette horloge s’est arrêtée plus tôt pour Jon Lord que pour Wilko JOHNSON, et c’est sans doute ce sentiment d’avoir été plus lucky que d’autres qui a permis à Wilko de signer ce monumental slow instrumental, “Lament”. Un morceau qui tranche avec tout le côté brut de décoffrage et fureur de vivre que dégage ce “Blow your mind”. Pub-rock ou tout simplement Rock, cet album est incontestablement un des “Indispensable” de cette année 2018, voire de cette satanée décennie qui va se terminer dans deux ans. Avec ou sans Wilko…?

Frankie “Bluesy” Pfeiffer
Rédacteur en chef – PARIS-MOVE