VARIOUS ARTISTS – All The Young Droogs

60 Juvenile Delinquent Wrecks // RPM / Cherry Red
Glam rock
VARIOUS ARTISTS - All The Young Droogs

Pour quiconque s’est trouvé âgé de douze ou treize ans en 1972, il est plus que probable que les choses aient débuté ainsi. Tandis que leurs aînés s’abîmaient dans l’écoute éperdue de Pink Floyd faisant griller des toasts et frire des œufs (sic), voire d’Amon Düül II et Popol Vuh, les cadets plongeaient avec délectation dans le boucan assourdissant que crachaient les juke-boxes des soda bars avoisinant leurs premières classes de secondaire. Et de Gary Glitter à Slade, de Chicory Tip à Sweet et Mud, des fillettes à peine pubères déclenchaient à chaque passage de Sparks, Ziggy ou Marc Bolan, les mêmes scènes d’hystérie collective qu’avait connu le monde libre au temps de la Beatlemania. Aussi incapable de faire la différence entre Mungo Jerry et Ten CC qu’entre T-Rex, Suzy Quatro et John Lennon (d’autant que ce dernier s’ingéniait à brouiller les pistes, avec son pote Elton John), cette nouvelle horde teenage ne revendiquait qu’un seul précepte: glitter. Depuis les semelles compensées (que quasiment tout le monde se pliait à arborer sur la piste de Top of The Pops) jusqu’aux pastilles réfléchissantes qui établissaient le canon de l’élégance outrée du moment, la presse spécialisée s’étranglait en conjectures. S’agissait-il encore de rock n’ roll (voire de musique)? La pop n’entamait-elle pas là une dangereuse régression, à l’instant même où les pontes du prog tentaient de la faire accéder à une certaine reconnaissance académique? Comme le prôna longtemps Pete Townshend, les kids avaient forcément raison, et cette imposante anthologie n’a d’autre ambition que de le démontrer. Ces polémiques paraissant désormais éteintes (et leurs protagonistes étant pour la plupart rentrés dans le rang, ou ayant sombré dans l’oubli et l’anonymat), le premier mérite de ce coffret consiste à ne rien dissimuler du caractère résolument disparate, opportuniste (et souvent foutraque) de cette vogue que le business et la presse baptisèrent Glam à posteriori. Dans une vaine tentative d’y mettre bon ordre, son concepteur, Phil King, en a artificiellement réparti la sélection en trois catégories (une par CD). Regroupant sur ses deux premiers volets le versant le plus tonitruant de l’ensemble, s’y côtoyent Third World War, Iggy & The Stooges, Milk N’ Cookies, Mott The Hoople, Slowload (leur lubrique “Big Boobs Boogie”), le rétro James Hogg, les balourds Ning, les intrigants Rats (avec Rik Kenton, futur bassiste intérimaire chez Roxy Music), les réjouissants Hustler (version londonienne du Alex Harvey Band, dont l’accent cockney préfigurait de plusieurs coudées celui de Johnny Rotten), les inquiétants Stud Leather, les surchargés Biggles, les ineptes Angel, les bluesy Mint, les néo-Small Faces The One Hit Wonders (même pas!) et les fulgurants Brats de Rick Rivets (cousins émérites des New-York Dolls). Avec leur cachet early-Slade, Mud et Sweet, l’impeccable “Bye Bye Bad Days” des Bovver Rock archétypes Hector (dont le portrait collectif orne la front cover) et le séminal “Saturday Night” de Bilbo Baggins caractérisaient le single spirit d’alors, où transpiraient les procédés de producteurs tels que les fameux Mike Berry et David Kassner, déterminés à exploiter jusqu’à la trame la formule mercantile de coup montés comme les Bay City Rollers. D’autres combos (tels Hello ou Frenzy, qui se réinventèrent sous le nom de The Models en 78) prolongeaient l’héritage de formations historiques comme les Zombies, tout en préfigurant leur influence sur la new-wave à venir. De probables considérations contractuelles empêchant sans doute l’inclusion de parangons du genre aussi éculés que Gary Glitter, Alvin Stardust, Slade, Bowie ou Alice Cooper, l’érudit Phil King a réalisé un véritable travail de sacristain, dénichant des perles aussi obscures et savoureuses que le “Looking For Love” de Glo Macari, le “Teenage Love Affair” de Iron Virgin, l’éhonté “I Like It Both Ways” des Australo-Britons Supernaut (avec pour bassiste Chris Bailey, futur Saints) ou leurs compatriotes de Canberra, Baby Grande (avec Peter Koppes et Steve Kilbey, futurs piliers de The Church) et leur “Zephyr” expédié façon “Raw Power”. Réhabilitant au passage quelques pépites oubliées de météoriques hit makers tels que le Suédois Harpo, avec le frantic stomping “My Teenage Queen” (remember “Movie Star”?), ou Sweeney Todd et son “Roxy Roller” (dont le livret ci-inclus précise qu’il se classa à la 99ème place du Top 100), ou encore les Taste australiens (sans rapport avec leurs prédécesseurs et homonymes irlandais), dont le “Boys Will Be Boys” se rapproche singulièrement de ce que Queen fourbissait alors. Sans oublier le “Hard Road” de l’ex-frontman des Easybeats, Stevie Wright (produit par ses ex-comparses Vanda & Young, avec un tout jeune Malcolm Young aux six cordes rythmiques). La scandaleuse ambiguïté sexuelle qu’était censé promouvoir ce pseudo-mouvement (alors majoritairement incarnée par Bowie et certains de ses avatars, tel l’oublié Jobriath) se trouve principalement illustrée par le troisième CD (intitulé “Elegance & Decadence”), sur lequel figure la version originale du “Criminal World” (par Metro) que le Thin White Duke reprit en 1983 sur “Let’s Dance”. Si les excellents Cockney Rebel de Steve Harley et Roxy Music brillent également par leur absence, leurs ombres nimbent les très camp “White Stockings” de Roy Allison, “I Won’t Dance” de John Henry, et le génial “Wonder Ones” du Néo-Zélandais Alastair Riddell, tandis que le “Spaceship Lover” de Paul St John, le “Ultrastar” de Rococo et le “Night Creatures” de Be-Bop Deluxe se révèlent de confondants pastiches de “Space Oddity” et “Hunky Dory”. À la tête de ce qu’il en restait (sans Bowie ni Ronson, mais avec Mike Garson), Woody Woodmansey, batteur des Spiders From Mars, tenta un moment de poursuivre l’aventure sous la même bannière (puis celle de son propre U-Boat, tous deux représentés ici), et le folk-singer Clive Kennedy se risqua même à une laborieuse imitation du Lou Reed de “Transformer”, via un “New-York City Pretty” dissimulant à grand peine ses propres racines rurales. Incunable parmi les incunables, on trouve également ici une démo de Jessie Hector (le génie post-glam et pré-punk des Hammersith Gorillas), “I Live In Style On Maida Vale” (sous le blase transitoire de Helter Skelter). Parcourir cette anthologie procure un plaisir indicible, tel qu’en distillerait l’illusion d’avoir retrouvé un juke-box millésimé dans le recoin d’un grenier oublié. Une sorte d'”American Graffiti” version Glam, en somme.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, December 28th 2021

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