Blues |
Prompts à réagir dès qu’un phénomène commercial leur permet de recycler à moindre frais des fonds de catalogue ayant dépassé le délai légal de la propriété artistique (et donc des droits afférents), les flibustiers du music-biz frappent à nouveau. C’est évidemment l’effet produit par le nouvel album des Stones (sur lequel ces derniers revisitent 12 perles du Chicago blues) qui suscite cette nouvelle anthologie. Quand Moby avait cartonné en son temps en samplant d’obscurs artistes blues et gospel, on avait déjà eu droit ainsi à la publication d’un “Original Natural Blues”. Si “The Original Blue & Lonesome” omet deux des classiques dernièrement repris par nos Stones canoniques, l’explication en est simple : respectivement parues en 1966 et 1972, les versions originales du “Commit A Crime” de Howlin’ Wolf et “Everybody Knows About My Good Thing” de Johnnie Taylor ne sont pas encore libres de droit.
Le voile dûment levé sur la dimension mercantile de l’opération, passons à son appréciation musicale. On peut reprocher bien des choses aux Rolling Stones, mais quand il s’agit de blues, on ne peut leur contester un flair consommé. Les quatre plages de Little Walter ici présentes donnent une image fidèle du génie de ce caractériel notoire. Comme son solo quasi-cubiste sur “Blue And Lonesome”, l’économie rare des quelques phrases dont il assaisonne “Hate To See You Go” et le brasero qu’il allume sur “Just Your Fool” et “I Got To Go” en témoignent, cette petite frappe était bien le prince des harmonicistes de la Windy City. Mentions spéciales encore au “Hoodoo Blues” hanté de Lightnin’ Slim, au “Little Rain” hagard de Jimmy Reed et au frénétique “Just Like I Treat You” de Howlin’ Wolf, drivé par le piano d’Henry Gray et le riff de guitare d’Hubert Sumlin. Quant à “I Can’t Quit You Baby” par Otis Rush, on y entend bien le band se planter aux deux tiers de la prise (croyant être arrivé à la fin), mais raccrocher le train comme un seul homme ! Si les compileurs se montrent chiches au regard de l’opportunité de cette collection, ils se rattrapent par contre avec pas moins de 17 originaux supplémentaires, ayant également été repris par les Stones par le passé. Et c’est un pandemonium : “You Better Move On” par Arthur Alexander, “Susie Q” par Dale Hawkins, “Fortune Teller” par Benny Spellman, “I’m A King Bee” et “Honest I Do” par Slim Harpo, “She Said Yeah” par Larry Williams, “Mona” par Bo Diddley, “You Can Make It If You Try” par Gene Allison, “Harlem Shuffle” par Bob & Earl, sans parler de la brochette d’originaux du Wolf, de Muddy Waters et Chuck Berry… De quoi éduquer les masses quant aux racines effectives de nos musiques de prédilection. Ultime reproche : pourquoi avoir inclus l’archi-connu “Not fade Away” de Buddy Holly, au lieu du “Hitch-Hike” de Marvin Gaye ?
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Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder