TRUPA TRUPA – B Flat A

Glitterbeat / Modulor
Rock alternatif
TRUPA TRUPA - B Flat A

Après avoir longtemps mouillé l’ancre entre Memphis, New-York, Detroit, San Francisco, New-Orleans, Londres, Newcastle et Liverpool, le rock s’est progressivement trouvé d’autres ports d’attache. Après que ses avatars français aient suscité tant de sarcasmes de la part des Anglo-Saxons, on lui vit ainsi émerger de nouveaux épicentres. Outre Portland, Boston, Seattle et Manchester, ce fut alors vers Lagos, Bamako, Brisbane, Düsseldorf et Berlin que se mirent à pointer les boussoles. On ne s’étonnera donc pas outre-mesure que ce soit de Pologne que provienne à présent l’une des formations majeures de ce millénaire. Après un premier EP auto-édité en 2010 (suivi de deux LPs également autoproduits) le quatuor de Gdansk signa chez Sub Pop pour deux LPs unanimement célébrés, et vient d’en publier deux autres sur Glitterbeat. Mais là où d’aucuns auraient mis à profit cette sécurité acquise pour peaufiner leur production (au risque d’en arrondir les angles), Trupa Trupa (expression désignant dans leur langue une “troupe de cadavres”) persiste et signe, en référence à son éthique originelle et sans concession. Composé d’un poète, chanteur et guitariste, Grzegorz Kwiatkowski, d’un peintre à la seconde guitare, d’un photographe de presse à la basse et d’un graphic designer à la batterie, le groupe revendique l’influence du cinéma de Werner Herzog, ainsi que celles de Can, Sonic Youth, Pavement et du Velvet, tandis qu’il puise son inspiration parmi les non-dits que charrient l’insondable sentiment de culpabilité diffuse de l’ex-Dantzig, et son émancipation encore précaire du totalitarisme. Avec un titre aussi énigmatique que “si bémol, la”, leur sixième livraison n’inspire donc toujours pas la franche gaudriole, et les rythmes motörik qu’y impriment les baguettes martiales de Tomek Pawluczuk propulsent plus que jamais leur rock incantatoire, aux guitares hérissées de sustain et aux riffs hypnotiques (tel que l’illustrent les “Moving” et “Kwietnik” d’ouverture). Le frénétique “Twitch” persiste ainsi à revendiquer l’héritage de Fugazi, tandis que les éthérés “Lines”, “Lit” et “Sick” en font autant avec celui de Syd Barrett. Si avec leurs chœurs entremêlés, les élégiaques “Uniforms” et “All And All” évoquent furtivement l’innocence trompeuse et lysergique des Breeders (ainsi que celle du Pink Floyd de “More”), la fureur désespérée de “Uselessness” renvoie à de joyeux drilles tels que Siouxsie & The Banshees, le Cure de “Pornography” et Killing Joke. Annonciatrice d’autres orages, la plage titulaire semi-parlée conclut ce bulletin météo sur un mode crépusculaire digne du “BlackStar” de Bowie. Bref, voici la bande son idoine pour notre époque de tensions et d’incertitude… À ce propos, bonne année.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, January 1st 2022

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