TONY JOE WHITE – That On The Road Look

Rhino / Real Gone
Swamp Blues
TONY JOE WHITE - That On The Road Look

Ne vous fiez pas aux notes de ce bateleur de Ben Vaughn dans le livret: il ne s’agit en rien d’ “enregistrements si longtemps égarés qu’ils en avaient acquis un statut de mystérieuse rumeur”! Captées lors de la tournée européenne de 1971 (où Tony Joe et son band assuraient la première partie de Creedence Clearwater Revival), selon toute vraisemblance en Allemagne, en Belgique et au Royal Albert Hall de Londres, ces bandes avaient été simplement gardées sous le boisseau par Warner Bros (qui venait alors de prendre White sous contrat). Elles ne virent le jour que parcimonieusement sur des subsidiaries, bien après l’expiration du dit contrat (j’en possédais une version tronquée, éditée en Europe par Wise Buy, label parent de Disky), et n’eurent finalement droit à une légitime édition chez Rhino qu’en 2010. Alors, quelle actualité pour ces live recordings d’il y a presque un demi-siècle? C’est simple: après cette première parution, le double-vinyl originel réapparaît dans son intégralité. Deux titres qui faisaient défaut aux premiers tirages CD complètent le lot (l’intimiste plage titulaire et une splendide version lowdown du “Stormy Monday” de T-Bone Walker), et on a droit en prime aux introductions succinctes de chaque plage par un Tony Joe qu’on a connu moins loquace. Il était accompagné pour l’occasion par la crème des session men du Sud: Sammy Creason aux baguettes et Mike Utley aux claviers, ainsi que le turbo humain qui drivait Otis Redding et Booker T. & The MG’s, le débonnaire (et lui aussi regretté) Donald “Duck” Dunn en personne (future turbine basse chez les Blues Brothers). La face B du premier vinyl présente Tony Joe seul, assis sur une chaise pliante, délivrant de touchantes versions acoustiques et dépouillées de “Mississippi River”, “Lustful Earl And The Married Woman”, “Willie & Laura Mae Jones” et “Travellin’ Bone”, mais, hormis ces plages et le soulful “Rainy Night In Georgia” (avec Utley qui fait souffler le southern wind à l’orgue), quand le White Gang passe la cinquième, le swamp groove laisse des traînées fumantes dans son sillage (“My Kind Of Woman”, ou ce “Back To The Country” sauvage, avec un piano, une ligne de basse et des drums breaks préfigurant carrément Skynyrd). Se remémorant cette tournée trente ans plus tard, Tony Joe citait en gloussant que Duck Dunn (un vrai gars du Sud) y avait glissé en coulisses à John Fogerty: “Hey, de quoi tu parles avec ton bayou? Y’a pas l’ombre d’un alligator à Berkeley!”. L’ambiance ne fut dès lors plus à la franche camaraderie, et White & Co s’employèrent chaque soir à tenter de voler le show aux têtes d’affiche. Voici donc comment ils s’y prirent: la wah-wah (que Tony Joe s’évertuait à appeler “whomper-stomper”) incendiait littéralement “Roosevelt & Ira Lee”, et chaque set se concluait sur une version tellurique de “Polk Salad Annie”, tendue à bloc par la live wire d’une section rythmique à ressorts. Tony Joe y grommelait et éructait des onomatopées à faire rougir les ladies, avant une jam façon Band Of Gypsies, brodant le riff de “Day Tripper”. On s’étonne moins qu’il n’eut plus jamais de nouvelles de Fogerty ensuite.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, April 20th 2020