TODD SHARPVILLE – Medication Time

Dixiefrog / PIAS
Blues
TODD SHARPVILLE - Medication Time

Pour paraphraser une chanson connue de l’entre-deux guerres, quand un vicomte rencontre un autre vicomte, qu’est qu’ils se racontent? Ou pour en citer une autre, plus récente: on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille… Car Todd Sharpville est sans doute en effet le premier bluesman à se trouver issu d’une lignée aristocratique. Né en 1970 (et de son patronyme officiel Roland Augusto Jestyn Estanislao Phillips), il est le fils cadet du troisième vicomte de St Davids, Sir Colwyn Jestyn John Phillips, mais comme le suggèrent le titre et le design de son nouvel album (le cinquième à ce jour), s’il avait dû être un jour appelé à régner, ç’aurait bien pu être au plafond. On échappe pourtant rarement à son destin, puisque cette nouvelle livraison s’avère produite par le Duc Robillard en personne, de même que le curriculum de Todd aligne son lot de roturiers putativement anoblis (au rang desquels on recense les guitaristes Larry McCray, Tommy Castro, Hubert Sumlin, Joe Louis Walker, Albert Collins, Brian May, Snowy White, BB King et Mick Taylor, ainsi qu’un aréopage de bonnes fées telles que Dana Gillespie, Van Morrison, Taj Mahal, Kim Wilson, Georgie Fame, Paul Lamb ou encore Keith Dunn). Adoubé “meilleur nouveau guitariste” par la prestigieuse British Blues Connection (via son organe officiel, le magazine Blueprint) dès son “Touch Of Your Love” de 1994, il n’en traversa pas moins une période difficile, à la suite d’un divorce qui lui vit retirer la garde de ses deux filles, et le plongea dans une profonde dépression. Bref, s’il fallait effectivement en avoir quelque peu bavé pour gagner le droit de jouer le blues, Todd pourrait aisément s’en revendiquer, mais c’est désormais parvenu à surmonter cette crise personnelle qu’il revient à présent réclamer sa couronne. S’ouvrant sur une reprise de Dylan (qu’admirait également l’un de ses modèles, le regretté Freddie King), cet album ne tarde pas à déployer les six cordes lyriques d’un guitariste au faîte de ses capacités. On dénombre à ses côtés quelques piliers notoires du Duke Robillard Band (Mark Texeira aux drum sticks, Bruce Bears aux claviers, Doug James au sax baryton, Mark Early au sax ténor et Carl Querfurth au trombone – soit une part conséquente des Roomful Of Blues Horns), et cet équipage fait merveille sur des soul ballads telles que “Tangled Up In Thought” (sur une trame à la Otis Redding, soutenue par un Hammond B3 churchy à souhait, et à nouveau traversée par un solo de guitare terrassant d’émotion). Le chaloupé “House Rules” revendique à bon droit son ascendance texano-louisianaise (entre Mike Morgan et Leroi Brothers), tandis que l’ami Larry McCray passe jouer des coudes sur le funky et jubilatoire “Brothers From Another Mother” (chauffé à blanc par les cuivres et les cocottes respectives des protagonistes, qui se tirent allègrement la bourre en soli croisés sur le pont et une coda quelque peu santanesque). La plage titulaire et “Silhouettes” s’avèrent de lents exorcismes, au fil desquels Todd revisite douloureusement ses longues semaines d’internement, avec le piano et l’orgue de Bears pour principaux contrepoints, avant que sa guitare n’y prenne le relais en d’émouvants soli ascensionnels. C’est dans une veine proche de Stevie Ray Vaughan qu’il assène “God Loves A Loser” (sur une trame similaire à celle du “Going Down” de Don Nix), avant une relecture toute personnelle du “Money For Nothing” de Dire Straits (traitée ici en un irrésistible Texas-shuffle, avec l’harmonica incendiaire de Sugar Ray Norcia pour guest). De par son arôme italo-louisianais et ses chœurs, le twist cuivré “Stand Your Grown” évoque les débuts de Southside Johnny & The Ashbury Jukes, et c’est sans surprise que l’on découvre à sa suite une énergique cover du “Red Headed Woman” de son pote Bruuuuce du New-Jersey, dont Todd accentue sans vergogne le Sun rockabilly feel, pour y tricoter acrobatiquement dans l’esprit de Scotty Moore et James Burton. Enfin parvenu à une certaine forme d’apaisement, il conclut cet album aussi varié que cohérent par l’élégiaque soul ballad “I Don’t Need To Know Your Name” (dans l’esprit du grand Curtis Mayfield), à laquelle le frangin Larry McCray prodigue ses judicieux gospel choirs. Welcome back, Lord Phillips!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 19th 2022

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