Southern blues-rock |
Décidément, après “Ice Cream In Hell”, l’inspiration du Georgien Tinsley Ellis semble résolument orientée vers l’Hadès! Il faut lui concéder qu’après quatre décennies de tournées quasiment incessantes, le confinement imposé par la pandémie actuelle a dû lui sembler une sorte d’enfer en soi… Interrompue en plein vol, sa tournée de 2020 (censée promouvoir l’album sus-cité) mena notre blues guitar-slinger à se replier dans son home-studio, pour s’y immerger dans l’écoute de ses propres héros de jeunesse (de B.B. King aux Allmans, en passant par Freddie King et Michael Bloomfield). Le lieu recelait en outre une collection de guitares, d’amplis et de claviers vintage dont il n’avait pas usé depuis des lustres, et notre homme commença à se piquer d’en reprendre l’usage. Mais chassez donc le naturel! Au bout de quelques semaines au contact de ces madeleines sonores, Tinsley se remit à composer, et dès avril 2020, le bougre commençait à poster sur la toile les premières ébauches de ce nouvel album, pour les soumettre à l’avis de ses fans connectés. Tenant souvent compte de leurs avis, il peaufina ce nouveau vivier d’inspiration, jusqu’à ce que ce processus aboutît aux dix originaux qu’il propose à présent, pour son vingtième album à ce jour. Co-produit (comme son prédécesseur) par son complice le vétéran claviériste Kevin McKendree (et enregistré dans le studio de ce dernier, à Franklin, Tennessee), celui-ci débute par le southern shuffle “One Less Reason”, qui n’aurait assurément pas dépareillé le “Seven Turns” des Allmans (Tinsley y doublant lui-même avec brio ses parties de guitares, et l’orgue de McKendree y assumant celles du regretté Gregg). “Right Down The Drain” poursuit dans la même veine, au point que l’on pourrait presque s’imaginer en présence d’un tribute dédié au band emblématique de Jacksonville. La slide incendiaire qu’y dispense Tinsley n’est en effet pas sans évoquer celle du grand Duane, et il ne faut pas oublier qu’Ellis figura un temps au catalogue du même label étendard du southern blues-rock, Capricorn. La ballade “Just Like Rain” confirme cette direction, et témoigne de la volonté de Tinsley (désormais à l’approche de son 65ème anniversaire) de ne pas laisser dilapider ce patrimoine, auquel les cuivres de Jim Hoke et Andrew Carney et l’orgue de McKendree confèrent la southern touch finale. S’inscrivant davantage dans la ligne à laquelle Tinsley nous avait accoutumés, le rocking “Beat The Devil” conserve les mêmes soufflants, tandis que ses choruses de guitare y ratifient son incandescente tradition. La soul ballad “Don’t Bury Our Love” s’inscrit pour sa part dans la ligne de celles qu’écrivait John Mayall voici un demi-siècle, tandis que l’excellent “Juju” revient à la veine Allmans circa “Stand Back”, la slide électrique y tenant à nouveau le premier rôle, tandis que la rythmique et le piano de McKendree y prennent les accents du temps où y officiait un certain Chuck Leavell. Avec leur wah-wah en bataille (dans l’esprit du “Crosstown Traffic” du divin gaucher), les hendrixiens “Step Up” et “28 Days” réveilleraient les morts, tandis que le Hammond B3 de McKendree y attise les braises, et que la basse de Steve Mackey et les drums de Lynn Williams épousent la facture du Band Of Gypsies. L’ombrageux “One Last Ride” renoue avec la geste sudiste (entre Dickey Betts et Skynyrd), et les six cordes de Tinsley y prennent un essor éminemment crépusculaire. Cet album d’enfer se referme à bon escient sur “Slow Train To Hell” (il est vrai qu’on n’est pas pressés), dans les esprits conjoints d’Otis Rush et Peter Green, et la messe est dite: si c’est effectivement là la musique du Diable, rendez-vous en enfer!
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, January 1st 2022
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