Rock |
1972. J’ai treize ans, un électrophone depuis moins de six mois, et quatre 33 tours. Parmi ceux-ci, “Who’s Next”, dont j’écoute l’ultime plage en fixant les semelles des croquenots de Pete Townshend au mur de ma chambre. Un poster “Hit-Magazine”, capté lors du récent passage des Who à la Fête de l’Huma. Pete long tarin y apparaît en plein saut, échevélé et les grolles en avant. Ce cliché pris à la volée me semble coïncider avec le fameux hurlement de Daltrey, à la fin du pont de “Won’t Get Fooled Again”. 32 ans plus tard, tout ceci a bien entendu foiré. Keith est mort, et John aussi. Ce dernier à Las Vegas, dans un motel, avec deux putes et une ligne de coke, comme un vulgaire Johnny Thunders (ce groupe étant porté sur la surenchère). Officiellement séparés depuis 1983, les Who ne daignent plus se manifester qu’en de lucratives et ponctuelles circonstances, désormais avec Pino Palladino à la basse, et le propre rejeton de Ringo Starr à la batterie. C’est dire si la perspective du “Retour-de-la-Vengeance-à-l’Ile-de-Wight” me laissait de marbre. Tout ceci fleurait bien trop le rance appétit du lucre et la nostalgie moîte. Dès le début de ce DVD “Live At The Isle Of Wight 2004”, on flaire l’arnaque : 35.000 péquenots entassés dans une arène d’où la plupart d’entre eux n’entreverront (dans le meilleur des cas) que le postérieur de la copine du type d’en face. À proximité, une grande roue confirme le caractère forain de cette farce tragique. Cependant, après un “Can’t Explain” et un “Substitute” de rigueur, la mécanique se dérègle. Lors du pourtant convenu “Anyway, Anyhow, Anywhere”, allez savoir pourquoi, Townshend emprunte soudain un chemin de traverse. Et au lieu de continuer à viser le prochain Nobel de littérature (sa marotte), la Bête que l’on croyait endormie s’empare à nouveau de lui. Et que je t’entame un rave-up tel que seuls les Yardbirds (et Led Zep) osaient se le permettre. Et que la machine pourtant si bien huilée se pique au jeu, et embraye de concert. Et que c’est dès lors parti pour plus de 5 minutes de sauvagerie barbare, comme on n’en avait plus guère ouïe depuis “Live At Leeds” ! Peu importe dès lors que Daltrey tombe en panne d’harmonica sur le final de “Baba O’Riley” (problème de lamelles ou de tonalité ?), ou que le fils Starkey s’avère le meilleur compromis entre l’insurpassable Keith Moon et le robuste Kenney Jones (leurs deux seuls batteurs historiques, le grotesque Simon Philips ne demeurant pour la postérité que le second frappeur de Toto). Ils remettent ça sur un saignant “5:15” (étiré jusqu’à huit minutes incandescentes), dévalent quatre titres de “Who’s Next”, autant de “Quadrophenia” et de “Tommy”, ainsi que leurs deux inédits alors récemment publiés (“Real Good Looking Boy” et “Old Red Wine”), pour conclure sur un “Magic Bus” d’anthologie.
45 ans et 132 minutes plus tard, en scrutant la jaquette de ce DVD/Blu-Ray “Live At The Isle Of Wight 2004”, je me surprends de nouveau à reluquer les semelles de Townshend. Et si au bout du compte, tout cela finissait par faire sens ? Visionnez donc ceci, et dîtes nous si ça vous fait le même effet…
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Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
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