THE WANTON BISHOPS – Under The Sun

Gnu Roam
Electro-Blues, Rock
THE WANTON BISHOPS - Under The Sun

Être Libanais en 2023, c’est supporter le fardeau de plus d’un demi-siècle de guerres fratricides, de domination de puissances étrangères aux enjeux concurrentiels, et pire encore, d’incurie et de corruption prédatrice des élites auto-proclamées qui y alternent au pouvoir. Sans même revenir à l’actualité brûlante, être Libanais, ce peuple éminemment composite, c’est être forcément bourré de doutes, d’angoisse et de contradictions. Comment pourrait-on y concevoir, dés lors, ne serait-ce qu’une once d’espoir, dans cet environnement où toute perspective d’analyse et de clairvoyance semble vouée à l’échec? C’est pourtant ce à quoi s’emploie, à sa modeste échelle, le chanteur, guitariste et multi-instrumentiste Nader Mansour. Après un premier album marqué par le Delta blues en 2015 (au titre révélateur: “Sleep With The Lights On”), ses Wanton Bishops reviennent en force avec celui-ci, au concept fédérateur. Le “Don’t Touch The Radio” introductif en donne le ton: sur un boogie beat digne d’un antique Canned Heat (mais dont le traitement electro se réfère plutôt au “Personal Jesus” de Dépèche Mode), un harmonica bluesy en diable tente bravement de se frayer un chemin. Le titre suivant, “Beirut”, est une ode à la capitale natale de Nasser, mais à la différence de la chanson éponyme qu’en tira en son temps la diva locale Fairouz (sur la trame du “Concerto d’Aranjuez”), c’est un mid-tempo funk au groove obsédant, sur des tourneries orientales jouées au synthé tandis que, comme sur son prédécesseur, la basse y occupe une place prépondérante. Sur des riffs de guitare rock mâtinés d’orient, “Do What You’re Told” et “Ya Habibi” n’en poursuivent pas moins dans la même veine dance, tout en véhiculant un message protestataire. En contraste saisissant, le déclamatoire “God’s Own Remedy” emprunte au registre vocal et instrumental des Doors de “The Celebration Of The Lizard”: timbre clair de baryton, raga beat obsédant, tambourin et drone de oud électrique en sustain: sans doute la plage la plus saisissante de tout l’album. Assumant totalement son identité moyen-orientale en contexte électro, le psalmodiant “We Are One” (auquel fait écho le titre générique de ce disque) se rattache aux expérimentations similaires d’Altin Gün, Acid Arab et Natacha Atlas. Plus proche de Cornershop et d’Asian Dub Foundation, “Gonna Be Fine” est un mantra sardonique dénonçant le marché des influenceurs numériques et autres gourous consuméristes en ligne, où l’harmonica intervient à nouveau en sous-texte, tandis que “Run Run” traduit les influences mêlées de Tinariwen et du gang de Jim Morrison circa “Waiting For The Sun”. “Fallen Angel” et “Jericho” bifurquent enfin en territoire surf-rock, guitare, voix et twist-beat en écho-delay (puis tango crépusculaire finissant en cavalcade), que l’on imagine très bien en B.O. du “Une Nuit En Enfer” de Roberto Rodriguez et Quentin Tarantino. Un album aux références aussi composites que la nation dont il est issu, par la grâce et le culot d’un artiste à l’esprit aussi balkanisé que celui d’Emir Kusturica.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, November 13th 2023

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