THE SINSEERS – Sinseerly Yours

Colemine
Rhythm 'n' Blues
THE SINSEERS - Sinsserly Yours

N’en déplaise aux puristes, du tout début des sixties jusqu’à 1968, ce n’étaient ni la pop, ni le rock qui dominaient les charts, mais le rhythm n’ blues. Et par delà l’hégémonie de Motown à Detroit, d’Atlantic à New-York et de Stax à Memphis, Chicago (berceau du blues moderne) revendiquait également sa piece of the cake, avec Okeh. Un temps tête de pont du jazz et du blues, cette filiale de Columbia périclitait quelque peu, quand un ambitieux du nom de Carl Davis accéda à sa direction. Une rapide étude de marché croisant les données du Billboard l’incita à écumer les clubs de la Windy City, en quête de nouveaux talents assortis aux goûts du moment. Et la moisson ne tarda pas à payer, puisqu’il y cueillit des cadors tels que Walter Jackson, les frangins Jerry et Billy Butler, ainsi qu’un boxeur poids moyens réformé des rings, Major Lance. Celui-ci faisait alors équipe avec un certain Curtis Mayfield (lui-même à la tête d’un quartette vocal judicieusement nommé The Impressions). Avec Mayfield préposé au songwriting et aux arrangements (et Davis à la direction artistique et à la production), Major Lance s’avéra l’une des plus prolifiques machines à hits de la décennie (seulement concurrencé sur le plan local par la formation de Curtis, cordonnier pas toujours le plus mal chaussé). Depuis que la soul music est revenue en odeur de sainteté populaire (tandis qu’elle n’avait jamais déserté ses propres chapelles de dévots initiés), on voit affluer à jet quasi-continu des cohortes d’artistes s’inscrivant dans ce courant revivaliste, et deux labels s’en disputent à nouveau la prééminence: Daptone à Brooklyn, et Colemine à Loveland (ça ne s’invente pas), dans l’Ohio. Après nous avoir déjà présenté les Monophonics, Surprise Chef et Kendra Morris, Colemine nous fait à présent découvrir les Sinseers. Combo de neuf musiciens (voire du double, selon affinités), issus pour la plupart de la communauté chicano d’East L.A., ces perpétuateurs zélés du vintage Okeh sound en restituent les maniérismes à la perfection. Slow-mambos aux saveurs latines, chœurs séraphins et cuivres veloutés à la clé, leur leader multi-instrumentiste, chanteur et songwriter, Joseph Quinones, déploie ici une martingale pas toujours exempte de pastiche (“Keep On Calling”, “Can’t Call Me Baby”, “Give It Up You Fool” et “Like I Can Give” transpirent ainsi chacun l’empreinte de l’inénarrable “You’ll Want Me Back” du tandem Lance-Mayfield, daté d’octobre 1963). Privilégiant les rythmes langoureux qui caractérisaient la veine de leurs modèles (“It’s Such A Shame”), les Sinseers n’en savent pas moins attiser au besoin le boogaloo, comme en témoigne l’instrumental façon Mar-Keys “Talking Back”, tandis que quelques mid-tempi chaloupés tels que “Can’t Do That To Her”  et “What’s His Name” renvoient encore aux “Please Don’t Say No More” et “Mama Didn’t Know” de leurs mentors. Délicieusement rétro mais si finement ciselé, un premier album (prétendument enregistré live dans un ancien cabinet dentaire!) qui siérait à merveille la B.O. d’une comédie uchronique qu’il ne resterait plus qu’à tourner.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co

PARIS-MOVE, March 10th 2024

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