THE RAGTIME RUMOURS – Abandon Ship

Ruf Records
Blues, Ragtime
THE RAGTIME RUMOURS - Abandon Ship

Après leur premier effort d’il y a deux ans (unanimement acclamé), leur représentation de leur pays à l’International Blues Challenge de Memphis et leurs deux prestigieux prix européens (le Blues Award du Popprijs van Limburg et l’European Blues Challenge en Norvège), revoici donc les Ragtime Rumours. Bien qu’amplement ancré dans les traditions de la première moitié du siècle dernier, ce quatuor batave de multi-instrumentistes iconoclastes et surdoués n’entretient guère de relations avec les puristes, non plus qu’avec un quelconque revival naphtaliné. Comme ils l’énoncent eux-mêmes, “les règles sont faites pour être brisées”, et à l’instar de Pokey Lafarge, CW Stoneking ou Hazmat Modine, leur patrimoine culturel s’avère davantage le creuset dont ils s’inspirent, plutôt qu’un rigide carcan amidonné. Si la plage titulaire qui ouvre le bal s’ouvre sur le tumulte d’une tempête maritime rappelant l’introduction du “Quadrophenia” des Who, le charleston heurté qu’elle préfigure évoque davantage la théâtralité extravertie du Tom Waits de “Bone Machine” que celle du gang du regretté Keith Moon. L’harmonium désuet de “Mister Moon” et la guitare manouche de “5h Left” embarquent ensuite l’auditeur dans un passé fantasmé où Django Reinhardt prodiguerait l’accompagnement sonore de films muets de slapstick, avant l’unique cover de l’album, le mambo hit de 1940 “Yes My Darling Daughter” (originellement interprêté par Jack Lawrence), que chante ici la contrebassiste Niki Van Der Schuren (tout en y dispensant par ailleurs de délicieux contrechants de flûte). Entre Balkans et gipsy jazz, le trépidant “Fieldman Song” et le languide “Sky Is Turning Dark” convoquent avec panache la mémoire du regretté Bob Brozman. Dernière révélation en date du label Alligator, la pétulante Lindsay Beaver s’invite pour donner la réplique à Tom Janssen sur le délibérément désuet “A Romantic Story Between Minnie And Dave”, tandis que Niki Van Der Schuren reprend le micro pour le ragtime “Sway With Me” que drive le piano de Thimo Gijezen, avant le savoureux “I Can’t Sing The Blues”, rappelant les Kinks auto-parodiques de “Look A Litle On The Sunny Side” (rien d’étonnant si l’on considère qu’une partie de cette rondelle fut enregistrée au Kink Studio de Venlo). Le revendicatif “Pinocchio” dénonce ensuite sur le même mode instrumental l’aliénation généralisée de notre société pseudo-libérale. Avec ses chœurs mellow-mood et sa guitare manouche virtuose, le rag “Undressing Me” passerait aisément pour un tube des années trente, tandis que le lugubre “Valley Of The Gods” dépeint sous l’accompagnement d’un quatuor à cordes notre désarroi contemporain. Car en dépit de leur dégaine de migrants pour le Nouveau Monde et leur irrésistible mixture de musiques populaires du temps jadis, c’est bien la parabole d’une époque en déroute que nous adressent les Ragtime Rumours : la nôtre. Loin de se limiter à une pochade de façade, voici donc une œuvre d’une profondeur insoupçonnée (bien qu’emballée sous des atours de fête foraine). Tous aux canots de sauvetage!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 4th 2020

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Et voilà venu le temps de la parution du second opus des hollandais de Ragtime Rumours. Nous avions évoqué le Oldtime à l’époque de la sortie du premier opus, Rag’ N Roll, en 2018. Nous pourrions préciser dorénavant déjanté, Oldtime déjanté, mais même avec cette précision de dernière minute, nous serions encore à côté de la plaque! Car il s’agit de beaucoup plus que cela! Les règles étant faites pour être brisées, c’est exactement ce que nos compères font avec entrain et bonne humeur, et lorsque l’on sait qu’il n’y a pas plus difficile que l’art de l’improvisation, on imagine aisément que leur mélange des genres suppose non seulement une parfaite maîtrise des instruments mais aussi et surtout une excellente connaissance des genres en question: blues, rock’n’roll et jazz manouche, entre autres… Les deux paramètres étant réunis chez les musiciens en question, le résultat en 12 tableaux est à la hauteur des attentes que nous pouvions avoir il y a près de 2 ans déjà. Thimo Gijezen est à la guitare électrique, à la guitare gypsy, à l’accordéon, au piano, à l’harmonium et dans les chœurs, Tom Janssen au chant, aux guitares acoustique et électrique, au banjo et à la Blues Harp, Sjaak Korsten est à la batterie, aux percussions et aux Footsteps, et Niki van der Schuren à la contrebasse, au saxophone baryton, la flûte et au chant. Ces excellents musiciens nous embarquent et nous emballent dans une folle virée sonore du meilleur aloi. Quelques invités de talent viennent s’ajouter à la formation pour l’occasion : un trombone sur un titre A Romantic Story Between Minnie and Dave ainsi qu’une voix féminine supplémentaire, une guitare manouche sur Fieldman Song, une autre voix masculine sur I Can’t Sing the Blues et un violon, un alto et un violoncelle. Le résultat est excellent et explosif…! Onze des compositions proviennent de l’écriture et la composition des 4 membres. Ils concèdent pourtant une reprise, avec l’interprétation de Yes My Darling Daughter, 1940, de Jack Lawrence, dans laquelle la voix de Niki est superbe! Un mélange pour le moins baroque qui laisse néanmoins la place à des phases au lyrisme prononcé. Un album qui est posséder, absolument. Un indispensable, tout simplement!

Dominique Boulay
PARIS-MOVE & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, 9th September 2020