THE PRETTY THINGS – Bare As Bone, Bright As Blood

Madfish / Snapper
Folk-Blues
THE PRETTY THINGS - Bare As Bone, Bright As Blood

Né Philip Arthur Dennis Kattner (mais plus connu sous le pseudonyme de Phil May), le lead-singer historique des Pretty Things (et leur seul membre permanent, au fil des 55 ans qu’ils persévérèrent) a définitivement quitté le building le 15 mai dernier, peu de temps après que les premières lueurs de l’aube aient pu caresser une dernière fois son lumineux sourire d’éternel garnement. À la fois libre penseur, libre bluesman et libre rocker, ce mec suintait par tous les pores l’aristocratie du prolétariat. A-t-on jamais vu quelqu’un se fendre la poire à ce point, tout en parvenant à préserver “en même temps” tant de classe et de maintien? Pour tous ceux qui suivaient les Pretties à la trace au cours du demi-siècle écoulé, Phil May se résumait à ce franc sourire, ainsi qu’en ce regard en coin qui en était l’indissociable corollaire. Losers caractérisés selon les critères de l’industrie musicale, les Pretty Things ne firent qu’y payer le lourd tribut de leur irréductible indépendance. Les authentiques seigneurs ne courbant en effet l’échine devant nul oppresseur, cet autre gang de Dartford ne s’embarrassa jamais de la moindre concession envers un music-biz qu’il abhorrait (d’un mépris d’ailleurs le plus souvent réciproque). C’est que contrairement aux Stones (leurs contemporains d’art-school), les Pretties avaient définitivement adopté le viatique de ce Bo Diddley auquel ils devaient leur nom: chez eux, “Big Boss Man” signifiait RÉELLEMENT le doigt d’honneur que ce titre sous-tendait de fait. Diagnostiqué d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive en 2014, Phil May ne fut pas dupe de ses implications, et après quelques ultimes tournées, il baissa dignement le rideau devant un public aussi conséquent qu’ému aux larmes, en décembre 2018 à l’O2 de Londres. Avec, pour assesseurs funéraires, rien moins que Van Morrison et David Gilmour. Mais en dépit de ce triomphal point final à une carrière en dents de scie, le duo de grigous du Muppets Show que constituèrent au fil des ans Phil May et Dick Taylor n’avait, contre toute attente, pas livré sa dernière botte, et les voici donc, tels deux clowns usés effectuant leur dernier tour de piste. Mais en lieu et place d’embarrassants remugles émanant de vieux messieurs en instance d’Ehpad, ce saut de l’ange s’avère la plus poignante des révérences. Aussi dépouillées que le suggère son titre, les douze plages de cet album testamentaire ne présentent le plus souvent Phil qu’accompagné d’un Dick Taylor dont on redécouvre bien à propos les immenses capacités en matière d’acoustic blues guitar. Le bottleneck en étendard, ce vétéran (désormais retiré sur l’Ile de Wight) ne tolère aux côtés de son vieux posse que quelques guests triés sur le volet, au rang desquels on distingue le Corse Henri Padovani (premier guitariste de Police, en leurs temps de dèche) et le jeune protégé de Mark St. John (leur manager-nounou-infirmier de longue date), Sam Brothers (que votre serviteur découvrit voici quelque temps, faisant la manche dans le centre piétonnier de Canterbury). Ce dernier prodigue les judicieuses saillies d’un harmonica que l’on jurerait mariné dans le verre à dents de Sonny Terry, mais la véritable performance réside ailleurs. Dans le répertoire choisi d’abord, où se mèlent sans distinction classiques éculés jusqu’à la trame (“Can’t Be Satisfied” et “I’m Ready” de Muddy Waters, “Come Into My Kitchen” et “Love In Vain” de l’ange noir Johnson ou “Black Girl” de Leadbelly , que cet autre mappé de Kurt Cobain vénérait), et ultimes original classics tels que ces pétrifiants “Redemption Day”, “The Devil Had A Hold Of Me”, “To Build A Wall” et la plage titulaire, faisant chacun pendant égal à leur propre “London Town”, ainsi qu’au Johnny Cash tutélaire et souffreteux de la série “American”. “Another World” s’avère à ce titre l’un des plus émouvants manifestes d’un Phil May tutoyant en pathos cette First League où fraient pour l’éternité Arthur Alexander, Richard Hawley, Edwyn Collins et Nick Lowe. Un disque d’exception, que l’on pourra néanmoins apprécier à plusieurs niveaux. Si vous ne connaissiez pas les Pretty Things, voici l’album blues acoustique majeur d’une année pourtant déjà riche en ce registre. Si vous en étiez par contre fan (comme on ne pouvait que l’être en les adoptant), voici une rondelle impossible à écouter sans la boule au ventre, et la glotte et les épaules secouées de sanglots. Comme l’énonça Shakespeare, les authentiques héros se réservent toujours le dernier mot.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, November 6th 2020

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The Pretty Things – Come Into My Kitchen (from Bare As Bone, Bright As Blood): HERE

The Pretty Things, “une dernière interview pour la route”: ICI