The Kinks – Everybody’s In Showbiz (Sony)

Sony
Rock

Voici donc l’édition Legacy du premier double LP des Kinks initialement paru en 1972. L’ultime, nous dit-on, re-re-remastérisée et extended. Je ne me complais guère d’ordinaire à commenter ces roueries qui consistent à refourguer pour la énième fois au fan transi le même jaja repackagé. Et si l’on me pousse dans mes retranchements, j’avoue préférer amplement les versions originales de “Live At Leeds” et “Exile On Main Street” à celles surchargées postérieurement de boni largement dispensables. Ceux-ci desservent le plus souvent la cohérence de l’album originellement proposé, n’offrant pour seul attrait que l’appât vain du complétiste à TOUT posséder de son artiste fétiche. Il me faut cependant faire exception à cette règle. Tout d’abord au regard de l’importance souvent mésestimée de ces rondelles dans la discographie du groupe. Depuis sa parution, “Everybody’s In Showbiz” suscite en effet des critiques contradictoires. Composé d’un disque studio et d’un autre live, son appréciation a longtemps divisé les exégètes. D’une part, ceux qui considèrent l’album studio plutôt faiblard, ne le rachètent que pour la présence en son sein de pas moins de deux classiques immortels du groupe (“Celluloïd Heroes” et “Sitting In My Hotel”). Ces derniers ne considèrent dès lors l’album live que comme une anecdotique pochade. Par contre, nombre de fans endurcis (dont je me compte) chérissent cet enregistrement issu d’un seul et même concert (le 3 mars 72 au Carnegie Hall de New-York), comme le meilleur témoignage public de l’esprit foutraque de la formation. Et si l’on daigne juger un disque live à sa capacité à restituer non seulement l’ambiance d’un concert, mais aussi à introduire l’auditeur dans l’univers de l’artiste, celui-ci s’inscrit au panthéon des plus grands. Parmi les “Absolutely Live” des Doors, “It’s Too Late To Stop Now” de Van Morrison et autres “Modern Lovers Live”, rien moins. Car, où trouver ailleurs meilleure illustration de cette tonalité cabaret-vaudeville instillée dès 1966, avec l’irruption des cuivres sur la coda de “Dead End Street”? Tout à sa joie de retrouver enfin audience sur le continent américain, Ray Davies se fait ici meneur de troupe. Les intermèdes improbables (“Banana Boat Song” d’Harry Belafonte, en call-response avec un public complice, et ces brefs extraits de musicals de Broadway tels que “Mr Wonderful” ou encore “Baby Face”) mettent en exergue des versions supérieures de standards alors encore récents (“Alcohol”, “Acute Schizophrenia Paranoïa Blues”, “Holiday”, “Skin And Bones”). Loin de la touche Muscle Shoals que les Stones imprimaient alors en recrutant Jim Price et Bobby Keys, les Kinks, en incorporant une véritable section de cuivres trad, reconstituaient sur les planches l’humeur populaire des arrière-salles des pubs anglais, quand la fanfare épousait le tanguage des clients en fin de soirée – bien plus New-Orleans que Memphis en somme. Certes, mais ce second CD inédit, alors? Eh bien, outre deux out-takes issues des mêmes séances studio, ils présentent surtout l’avantage de prolonger la fête en public, avec une version de “Get Back In Line” (meilleure chanson prolétaire toutes catégories), ainsi qu’une reprise inattendue de leur antédiluvien “You’re Looking Fine” (transfigurée par un duel à mort entre la guitare de Dave Davies et des cuivres chauffés à blanc). Sans oublier ces bonbons à la violette que demeurent pour l’éternité “Sunny Afternoon” (première évocation recensée dans leur répertoire de l’alcoolisme) et “Have A Cuppa Tea”. Avant de plonger dans les concept-albums tordus, et d’achever leur carrière dans la stérilité balourde des années 80-90, les Kinks étaient alors l’un des tous meilleurs live acts au monde. Preuve à l’appui.

 

Patrick Dallongeville
Paris-Move / Blues Magazine / Illico & BluesBoarder

 

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