The Flying Horse Big Band – Unbridled (FR review)

The Flying Horse Big Band Meets George Garzone // Flying Horse Records – Street date : October 27, 2025
Jazz
The Flying Horse Big Band Meets George Garzone

À l’heure où les big bands universitaires peinent souvent à exister dans l’ombre des formations professionnelles ou du flux numérique qui façonne désormais une partie de notre paysage sonore, il est salutaire de se rappeler combien les programmes de jazz américains demeurent des foyers essentiels de vitalité créatrice. On l’oublie parfois: certaines des formations les plus audacieuses du pays ne jouent pas dans les clubs de New York mais dans les studios de campus, là où la discipline se conjugue avec une curiosité intrépide, propre à la jeunesse. Unbridled: The Flying Horse Big Band Meets George Garzone appartient à cette lignée et en constitue une preuve éclatante.

L’album nous est parvenu avec un certain retard, mais ce léger décalage s’efface dès les premières mesures. Ce que l’on entend n’est pas seulement un bel exercice académique: c’est le portrait sonore d’un programme d’études qui prend au sérieux la formation de ses jeunes musiciens. Le Flying Horse Big Band, composé d’étudiants de l’Université de Floride Centrale, joue ici avec une intensité qui témoigne de la conscience qu’ils ont de l’instant: chaque prise est une épreuve, une possibilité d’aller plus loin, d’affirmer une identité en devenir.

À leur tête, Jeff Rupert, saxophoniste, compositeur, pédagogue et figure centrale de la scène floridienne. Collaborateur de Sam Rivers, Mel Tormé, Maynard Ferguson ou Benny Carter, Rupert dirige plusieurs ensembles, mène un label indépendant et continue de transmettre, année après année, une vision du jazz où la rigueur technique ne cesse de dialoguer avec l’invention.

Cette fois, Rupert entraîne ses étudiants dans l’univers exigeant du saxophoniste et compositeur George Garzone, dont l’œuvre, complexe et mouvante, constitue un défi que peu d’orchestres académiques accepteraient de relever. Membre fondateur du trio The Fringe, éminente figure des scènes de Boston et New York, Garzone a développé un langage singulier, le fameux Triadic Chromatic Approach, qui repense la ligne improvisée en dehors des repères harmoniques traditionnels. C’est dire tout ce que cet album suppose de courage et d’ouverture.

La sélection des morceaux est d’ailleurs sans ambiguïté. Ouvrir avec “Giant Steps”, sommet coltranien s’il en est, revient à annoncer que ces étudiants ne se contenteront pas de survoler les grands jalons du répertoire. L’arrangement est précis, ample, et laisse respirer les solistes dans un canevas pourtant vertigineux. À l’autre extrémité du spectre, “It Gets Better” dévoile une douceur inattendue : une écriture en clair-obscur où les bois prennent des allures de murmure et où l’orchestre accepte la suspension, la fragilité.

Entre ces deux pôles, le disque offre de multiples zones d’exploration. “Pharaoh’s Daughter”, avec son lyrisme presque méditatif, met en lumière un sens des textures déjà étonnamment mature. “Chasin’ Tail Reflections”, plus anguleux, restitue l’énergie féline du jeu de Garzone, ses montées chromatiques, ses échappées soudaines. Quant à “View of Heaven”, c’est une respiration lumineuse, un moment où l’orchestre semble s’élargir, s’élever, sans jamais perdre le fil de sa propre cohérence. Le final, “Impressions”, reprend la route coltranienne, mais dans une version portée par les contrastes et l’urgence d’un grand ensemble: un hommage autant qu’une réinvention.

Ce qui frappe, au fil des écoutes, c’est la finesse des arrangements. Rien de pesant, rien de démonstratif: un équilibre subtil entre architecture et liberté. On sent que Rupert laisse de l’espace, un véritable espace, à ses musiciens. De quoi favoriser non seulement la précision, mais cette respiration intérieure qui fait la différence entre un simple exercice et une véritable prise de parole musicale.

Acheter cet album, c’est aussi soutenir directement le programme de jazz de l’UCF, un geste qui, dans le contexte actuel, relève presque d’un acte militant. Au-delà du plaisir d’écoute, c’est participer à la transmission d’un savoir, à une continuité, à un écosystème fragile mais essentiel.

Car ce disque est, peut-être avant tout, un instantané de transmission. Le jazz s’est toujours construit ainsi: d’un musicien à l’autre, d’une génération à la suivante. Ici, on entend ce passage de témoin, non pas figé, mais vibrant, ouvert. Certains de ces étudiants deviendront peut-être des voix majeures du jazz de demain. D’autres emprunteront d’autres chemins. Tous, pourtant, ont laissé une empreinte, une voix naissante, une intensité juvénile qui irradie ce projet.

Et l’on se prend à imaginer, dans quelques années, tomber sur un futur album portant la signature de l’un d’entre eux. Peut-être alors se souviendra-t-on de ce moment précis, de cette rencontre avec George Garzone qui, au-delà d’un simple répertoire, aura ouvert pour eux un horizon, une manière d’être au monde par le son.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, November 17th 2025

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Track Listing :
Giant Steps
Pharaoh’s Daughter
Chasin’ Tail Reflections
It Gets Better
View Of Heaven
Impressions

To buy “George Garzone & The Triadic Chromatic Approach”