Rhythm 'n' Blues |
Depuis que les tribute bands ont conquis le marché exponentiel de la nostalgia mondiale, on assiste désormais à une autre inflation: celle de la reconstitution historique… Vous aviez raté Pink Floyd, Led Zeppelin, Queen, Genesis, Creedence, les Doors, Dire Straits, ou encore les Beatles, Elvis, Abba et les Vieilles Canailles en concert? Pas de problème, moyennant quelques menus fifrelins, on vous les restitue plus vrais que nature (ou du moins, garantis plus frais que ce qu’il en demeure aujourd’hui), lors de soirées commémoratives où le merchandising bat son plein. Mais vous pestez encore d’avoir loupé l’édition originale de Woodstock? Voire, bientôt sans doute aussi, le concert historique des Pistols au Winterland en janvier 78, ou encore le non-événement d’Oasis splittant en coulisses lors de l’édition 2009 de Rock En Seine? Eh bien cessez de vous lamenter: comme pour les batailles de Marignan, d’Azincourt, de Bouvines et d’Austerlitz, d’habiles promoteurs vous proposeront bientôt de revivre ces faits marquants en les recréant au bouton de guêtre (ou d’ampli) près… Dernier avatar en date: la tournée 1970 de Joe Cocker au sein de ce cirque ambulant que constitua la caravane Mad Dogs & Englishmen, dont on vous remémore brièvement le concept. Propulsé au rang de star mondiale suite à sa prestation immortalisée par le film “Woodstock” (trois jours de boue, d’urine et de LSD), Joe Cocker fit ensuite l’objet d’une capitalisation éhontée de la part d’un management peu scrupuleux quant aux modalités idoines pour essorer la poule aux œufs d’or. Qu’on en juge: le noyau de cette troupe à géométrie variable provenait tout bonnement de l’orchestre de Delaney & Bonnie Bramlett (d’où étaient issus les cuivres Jim Price et Bobby Keys, futurs supplétifs des Stones au début des seventies, ainsi que le batteur Jim Gordon, le bassiste Carl Radle et le multi-instrumentiste Bobby Whitlock, tous trois destinés à être recrutés par Clapton pour constituer ses propres Derek & The Dominoes). Auxquels ce félon de Leon Russell (grand ordonnateur du projet) adjoignit également les choristes Rita Coolidge et Claudia Lennear, ainsi (pour faire bonne figure) que le claviériste historique du Grease Band originel de Cocker, en la personne du fidèle Chris Stainton. Sous la bannière de ce pandemonium itinérant, cette joyeuse bande capta ses deux concerts au Fillmore East de New-York, dont furent alors tirés un double LP, et même un film. Coutumier du Lockn’ Festival (originellement intitulé Interlocken Music Festival) qui se tint de 2013 à 2021 près d’Arrington, en Virginie, le Tedeschi-Tricks Band devait récidiver plus tard, en reprenant l’intégralité du “Layla… And Assorted Love Songs” de Derek & The Dominoes, sur la même scène que celle-ci. Il faut leur concéder en l’occurrence une certaine dette héréditaire, puisque Susan Tedeschi naquit le jour précis de la sortie de l’album en question, et qu’outre son prénom (réminiscent de la formation en cause), Derek Trucks n’est autre que le rejeton de Butch Trucks, batteur originel de l’Allman Brothers Band (dont il finit par faire partie, et dont le fondateur, Duane Allman, donnait la réplique à Clapton lors de ces mêmes sessions historiques). Mais n’anticipons pas: nous voici donc transportés le 24 août 2015 sur la scène du Lockn’, en l’Oak Ridge Farm d’Arrington, et la caution historique qu’y assurait encore Leon Russell en personne (disparu en novembre 2016) était renforcée par les présences respectives de Rita Coolidge, Claudia Lennear et Chris Stainton. Autour du Tedeschi-Trucks Band au grand complet, d’autres invités se pressaient encore. À commencer par Warren Haynes, tête de pont de Gov’t Mule (et longtemps sparring partner de Derek au sein des ultimes moutures de l’Allman Brothers Band), mais aussi Chris Robinson des Black Crowes, ainsi que Dave Mason (ex-Traffic), Anders Osborne, John Bell (de Widespread Panic) et Doyle Bramhall II (qui fut, comme chacun sait, longtemps compagnon de route de Clapton himself). Assurant la majorité des vocals, Susan Tedeschi nous épargne une pénible imitation de Joe Cocker, mais dès les versions du “The Letter” des Box-Tops et du “Darling Be Home Soon” de John Sebastian, on est toutefois impressionné par la similitude des orchestrations avec celles de l’album live originel (les chœurs majestueux et les claviers de Stainton et Russell y contribuant largement). La guitare de Trucks ajoute la touche typiquement Allman qui l’installe définitivement parmi les plus crédibles continuateurs de cette saga familiale. Les cuivres font leur entrée sur le boogie-shuffle “Dixie Lullaby”, que chante ce bon vieux Leon avec son timbre voilé, proche de celui d’un autre grand regretté, Dr. John. C’est le fantasque et passionné Chris Robinson qui interprète “Sticks And Stones” et “Space Captain”, sur des chœurs dignes des Raeletts de ce Brother Ray que vénérait tant Cocker. Le public ne s’y trompe pas, et manifeste son enthousiasme avant que Russell n’entonne “Girl From The North Country” en duo avec la grande Claudia Lennear (récemment remise à l’honneur avec le film “Twenty Feet To Stardom”). Le “Let’s Go Get Stoned” d’Ashford et Simpson est gratifié d’un duo orgue-piano du meilleur effet, et le “Feelin’ Alright” de Dave Mason (dont Cocker tira le hit que l’on sait) bénéficie de la prestation de son auteur-même, ainsi que des six cordes bienvenues d’Anders Osborne, qui y répondent à la slide virevoltante de Trucks. C’est Warren Haynes qui chante l’emblématique “She Came in Through The Bathroom Window”, où il échange également les soli de guitare avec son compère Derek, selon la maestria complice qu’on leur connaît. Miss Rita Coolidge scintille au fil des “Bird On The Wire” de Leonard Cohen et “The Weight” de Robbie Robertson (où elle duettise avec Russell), mais c’est John Bell qui chante ensuite le “Delta Lady” que ce dernier écrivit à son propos. Chanté par un Chris Robinson aux anges, le mythique “With A Little Help From My Friends” nous ramène immanquablement à Woodstock, et précède “The Ballad Of Mad Dogs & Englishmen” sur lequel conclut le MC Russell. Pour fidèle qu’elle demeure, cette recréation n’est toutefois pas la copie conforme de l’original (“Darling Be Home Soon” et “The Ballad Of Mad Dogs & Englishmen” ne figuraient en effet qu’en bonus sur la réédition de 2005, et y manquent notamment les reprises du “Let It Be” des Beatles, du “Honky Tonk Women” des Stones et du “Superstar” de Leon Russell et Bonnie Bramlett, ainsi que le medley “Drown In My Own Tears/ I’ve Been Loving You Too Long” et le “Give Peace A Chance” de Lennon). On aurait tort de regimber pour si peu, tant l’exercice s’avère magistralement jubilatoire, et le plaisir qu’y prennent ses protagonistes communicatif. Ne reste plus à préciser que ce concert fit l’objet d’un documentaire édité il y a quatre ans (“Learning to Live Together: The Return of Mad Dogs & Englishmen”), et que le Tedeschi-Trucks Band tiendra l’an prochain la troisième édition de son propre Sun, Sand & Soul Beach Weekend à Miramar Beach, en Floride, aux côtés de Jason Isbell & The 400 Unit, Taj Mahal & The Phantom Blues Band, Drive-By Truckers et des Mavericks (entre autres), du 23 au 25 avril. L’occasion de ressortir vos vieilles pattes d’eph patchées d’un peace sign de circonstance!
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, September 16th 2025
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