Americana, Folk |

Bon Dieu, voici encore un de ces disques qui n’auraient probablement pas existé sans la pandémie de COVID19! Si pareil flot ne se tarit pas sous peu, il va sans doute falloir que l’on invente une catégorie spécifique pour en parler… Plus sérieusement, Suzy Thompson est une singer-songwriter, guitariste et violoniste qui a voué son existence (et sa carrière) à retrouver et tenter de raviver certaines des plus obscures (et souvent singulières) chansons de l’antique patrimoine américain. Cette Old-Time Music qui compte parmi ses exégètes des patriarches aussi “récents” que Roscoe Holcomb, Fields Ward, Hobart Smith, Buell Kazee, Aunt Molly Jackson ou encore les Williamson Brothers, et dont le creuset fondateur se situe entre les Black Mountains et les Appalaches. Avec Eric, son mari de guitariste, Suzy s’est de tout temps produite en duo folk, tout en collaborant avec des pointures telles que Maria Muldaur, Jerry Garcia, David Grisman, Peter Rowan ou encore Jim Kweskin. Quant au Paul Siebel dont elle célèbre ici le répertoire, il s’agit d’un obscur (et largement oublié) songwriter, chanteur et guitariste américain, né en 1937 à Buffalo, dans l’État de New-York, et décédé en avril 2022 dans le Maryland. Sa carrière discographique fut aussi sporadique que confidentielle, puisque hormis ses deux LPs chez Elektra (label de Love, des Doors et de Tim Buckley, tout de même), “Woodsmoke & Oranges” en 1970 (avec David Bromberg et Richard Greene, de Seatrain), et “Jack-Knife Gipsy” en 71 (avec Clarence White des Byrds et Kentucky Colonels, ainsi que David Grisman et Buddy Emmons), son ultime contribution connue demeure son “Live At McCabe’s” de 1978. Sa postérité fut surtout due aux nombreux interprètes qui se bousculèrent ensuite pour lui rendre hommage, depuis Bonnie Raitt jusqu’à Linda Ronstadt, en passant par Willy DeVille, Waylon Jennings, Emmylou Harris, Leo Kottke, Jerry Jeff Walker et les Flying Burrito Brothers. Ayant cessé de composer dès 1971, le bougre entama ensuite une longue période de dépression (ponctuée d’addictions diverses), avant de se replier sur la côte Est du Maryland, où il exerça un modeste “emploi de plein air au sein du département des parcs”, avant d’y être emporté par un fibrome pulmonaire dans sa 84ème année. Entre temps, comme tant d’autres artistes privés de tournée durant les récents confinements (de Lucinda Williams aux Rolling Stones, sans oublier Bob Margolin), Suzy Thompson se piqua de se produire sur les réseaux sociaux, quitte à remodeler son répertoire pour la circonstance. Alors qu’elle n’avait plus interprété le moindre titre de Siebel depuis près de quarante ans, elle se replongea alors dans son répertoire, jusqu’à en donner un plein concert online. Bien qu’alors octogénaire et totalement coupé de tout réseau social (il ne possédait même pas de téléphone cellulaire), Paul Siebel fut informé de cet hommage par des amis, qui parvinrent à le lui faire entendre et visionner. Notre vétéran en fut tellement ému qu’il parvint à entrer en contact avec Suzy pour lui témoigner sa gratitude et son approbation. C’est avec un aréopage de neuf musiciens disséminés sur ses dix plages que Suzy a enregistré cet album sous l’égide du producteur Jody Stecher (qui y contribue aussi à la mandoline et à la guitare sur six des titres). On retrouve à son casting quelques figures familières, telles que Cindy Cashdollar au dobro, ou encore John Sebastian à l’harmonica (celui de Lovin’ Spoonful, oui, qui joua ensuite l’amuseur impromptu en tie-dye jeans sur la scène du festival de Woodstock), ainsi bien entendu qu’Eric Thompson sur un titre. La lap-steel suprême qu’actionne Cashdollar sur le “Bride 1945” d’ouverture ajoute une séduisante touche western-swing à son cachet ragtime, tandis que “Nashville Again” et “The Ballad Of Honest Sam” adoptent la tournure Bakersfield qui leur sied. Kate Brislin partage les vocals avec Suzy sur le mélancolique “Uncle Dudley”, et Sebastian donne de ses lamelles sur “You Don’t Need A Gun” ainsi que sur ce “Louise” qui représenta en son temps le seul hit relatif de son auteur, tandis que le banjoïste Bill Evans (de Bluegrass Intentions) donne la réplique au violon de Suzy et à la mandoline de Stecher sur l’Appalachien “Lose My Blues”. Le three-steps “If i Could Stay” bénéficie du dobro de Cashdollar, et le vaudeville “Any Day Woman” du kazoo de Kate Brislin, avant que Suzy ne ferme le ban sur l’intimiste “Long Afternoons”, qu’elle exécute seule à la guitare et au chant. Cet hommage chaleureux et convaincant séduira tout amateur sincère de folk et d’Americana.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, July 10th 2025
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