Blues |
Le blues est né de la ségrégation, dont il demeure en quelque sorte l’un des produits résiduels les plus populaires. Voilà six bonnes décennies, l’obstination de Rosa Parks à ne pas céder sa place assise à un Blanc provoqua l’étincelle qui devait mener à la marche vers Washington, afin d’y revendiquer l’égalité des droits civiques. Si nombre de sympathisants blancs y côtoyaient le pasteur King et ses ouailles, on a trop tendance à sous-estimer l’ostracisme dont pâtirent par la suite maints bluesmen et women blancs, de la part de certains ayatollahs du blues. C’est ainsi que l’un de ces derniers osa prétendre que Johnny Winter n’avait aucune légitimité à s’en réclamer (comme si un albinos ne pouvait ressentir les affres du dénigrement et de la relégation). Et plus près de nous encore, voici à peine une trentaine d’années, Sue Foley en fit à son tour les frais, dans les colonnes de l’organe officiel des musiques afro-américaines en notre Hexagone. Un correspondant belge (dont nous tairons le nom par charité) osa prétendre que lors de son passage sur les planches du blues festival d’Écaussinnes, l’encore toute jeune Canadienne y avait reçu un accueil glacial de la part du public. Or, j’y étais, et sa prestation n’y suscita pas moins de trois rappels!… Que lui reprochait donc ce cuistre? D’être trop jeune, trop blanche (une rousse, tu parles), et pour couronner le tout, de n’être dotée que d’un timbre vocal seyant davantage à la country! Autant dire que du haut de son mètre soixante-trois, le cuir rose de la Foley en a essuyé sur sa route, de la glaire d’obtus et de malveillants. Il paraît qu’une femme qui joue le blues se doit d’être au moins deux fois plus solide qu’un homme, et elle peut sans doute en témoigner, cette menue madone qui quitta Austin (dont elle était pourtant devenue un pilier de la scène musicale) pour rentrer, penaude et enceinte, en son Ottawa natal afin d’y élever seule son rejeton. À son retour, près de vingt ans plus tard, la ville avait certes changé, et la scène locale aussi, mais le club où elle fit ses débuts, Antone’s, n’y renaissait pas moins de ses cendres après la disparition de son fondateur. De Lou Ann Barton à Angela Strehli, et de Mike Flanigin et Chris Layton (ex-comparses de SRV) à Jimmie Vaughan, Derek O’Brien, Charlie Sexton et Billy Gibbons, un fameux comité d’accueil l’y attendait les bras ouverts. Et ce fut comme la rédemption de la fille prodigue : en 2018, son album “The Ice Queen” lui valut un tombereau d’Awards, et la rétablit dans son statut de petite reine du Texas Blues… En dépit de sa presque homonymie avec le “Blues Pour Pinky” de son compatriote francophone Félix Leclerc, ce “Pinky’s Blues” ne désigne pas un chien s’étant laissé mourir d’avoir trop attendu son maître, mais plus trivialement sa propre Telecaster, avec laquelle elle pose sur la pochette de son treizième LP à ce jour. Une guitare rose pour sceptre et pour seul manifeste. Celle qui réalisa le documentaire “Guitar Women” n’a plus rien à prouver: si le temps ne semble pas avoir de prise sur son physique juvénile, elle est désormais une artiste confirmée, dont la légitimité s’ancre plus que jamais parmi les figures tutélaires auxquelles elle se réfère – Memphis Minnie, Jessie Mae Hemphill, Lavelle White, Angela Strehli et Frankie Lee Sims (dont elle reprend ici chacun des trois derniers) – tandis qu’elle se repose sur son gang de familiers. On retrouve donc à ses côtés le claviériste Mike Flanigin (ami d’enfance, qui produit en outre ces sessions), ainsi que son tout premier bassiste Jon Penner, Chris Layton (batteur de Double Trouble), et le Parrain incontesté de la scène d’Austin, le grand Jimmie Vaughan (qui passe en voisin l’adouber de sa guitare rythmique sur un titre). La plage titulaire laisse judicieusement la parole à la principale intéressée: Albert King appelait sa Gibson Lucy, et B.B. King la sienne Lucille. Miss Foley nomme donc sa Fender Pinky, et l’instrumental qui lui est dédié concentre à lui seul quarante ans de Texas blues, d’Albert Collins à Stevie Ray. Que cela soit établi une fois pour toutes: sur le manche, Sue n’a en effet plus guère de leçons à recevoir de personne. Avec les “Two Bit Texas Town” et “Say It’s Not So” d’Angela Strehli (et le “Southern Men” de Leonard Allen), elle ravive ainsi tout autant les ombres de Magic Sam et Otis Rush que celles d’Eddie Taylor et Earl Hooker. Son propre “Dallas Man” s’avère un boogie shuffle irrépressible, dans la veine du “Feelin’ Good” de Junior Parker, tandis que la seconde de ses covers d’Angela Strehli laisse également la part belle à ses impressionnants talents de vocaliste. Il faudrait être sourd pour ne pas y ouïr une blues singer des plus sincères, et son propre “Hurricane Girl” (avec Jimmie V) emprunte à Elmore James son Chicago shuffle riff. Le chaloupé “Stop These Teardrops” adapte le soul twist de Lavelle White, avec un Flanigin impérial au Hammond B3, tandis que le solo de Sue y résonne comme un panégyrique des plans de Jimmie Vaughan. Elle reprend aussi le “Boogie Real Low” de Frankie Lee Sims (de fait une transposition du “Blue Light Boogie” de Jesse Mae Robinson, dont Taj Mahal enregistra une adaptation sur son “Dancing The Blues” de 1990), et le suave “Think It Over” de Lillie Mae Donkey. Ce panorama texan ne serait pas complet sans un clin d’œil au sorcier de San Antonio, le regretté Clarence Gatemouth Brown. Sue Foley ne fait pas les choses à moitié, puisqu’elle s’attaque à ce tour de force instrumental que constitue “Okie Dokie Stomp”, dont Gate régala ses auditoires sa carrière durant. Sur un Texas double-shuffle caractéristique, elle reprend encore le “Someday” de Robert Lee McCollum, avant de conclure sur le malicieux “When The Cat’s Gone, The Mice Play” de Willie Dixon (sur la trame du “Messin’ With The Kid” de Mel London). Ce disque fut enregistré live en studio, et Dieu que cela s’entend! Le groove élastique qu’imprime la section rythmique y ricoche sur une guitare racée à souhait, dont la prise de son a rarement été plus proche de ce qu’elle dégage sur scène. Quant au chant de la Miss, il perpétue ce drawl à la fois languide et déterminé qui la caractérise depuis ses tout débuts, avec juste ce qu’il faut de la maturité acquise entre-temps. Qu’on se le dise: elle n’a plus besoin de parrainages, et she’s definitely back to stay!
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, August 27th 2021
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Que voilà un bel album sorti fin 2021 qu’il n’est pas trop tard de commenter tant la musique de cette artiste est, subjectivement parlant, condamnée à ne jamais prendre de rides par rapport à toute l’actualité musicale qui nous entoure. L’instrumental qui débute l’opus le confirme irrémédiablement. Son Texas Blues en est d’ailleurs la preuve enregistrée au Firestation Studio de San Marcos au Texas. Jon Penner est à la basse, Chris “Whipper” Layton (du Double Trouble qui accompagnait Stevie Ray Vaugham) est à la batterie, Mike Fianigin à l’orgue Hammond et Jimmy Vaughan à la guitare rythmique en invité sur un titre, Hurricane Girl. La ravissante canadienne d’Ottawa n’a signé que 3 titres mais les 9 autres morceaux qu’elle interprète sont du même tonneau. De ce bois dans lequel mûrissent toutes les bonnes alcools fameuses. Il faut tout de même ajouter qu’ils sont signés Robert Nighthawk, Willie Dixon, Clarence Gatemouth Brown, Lille Mae Donley ou Léonard Allen (1900 – 1985, il composa, ou produisit une quarantaine d’albums…) et j’en passe…. Avec un cuir de la même couleur que sa superbe Télécaster rose Paisley, il faut bien convenir qu’en plus d’être indéniablement douée avec sa gratte, elle est aussi très photogénique, Miss Sue Foley! C’est le 15 ème album de l’artiste et je dois dire qu’on ne se lasse toujours pas de les écouter en boucle.
Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)
PARIS-MOVE, March 30th 2022
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Sue Foley – “DALLAS MAN” (Official Music Video):