STRIPMALL BALLADS – Distant

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Americana
STRIPMALL BALLADS - Distant

Comme le blues, ni la country, ni le folk, ni le bluegrass ne sont des genres que l’on peut réellement s’approprier en ne suivant que des tutorials. Il n’en est pour démonstration que les biographies (souvent tragiques) de Hank Williams, Woody Guthrie ou Townes Van Zandt: comme chez Robert Johnson, elles se caractérisent par une instabilité chronique, et une propension marquée à l’errance et la déambulation. Bref, l’apprentissage de ces musiques se fait au moins autant sur la route (et dans la précarité) que par l’analyse empirique (pourtant indispensable) de leurs lignées. STRIPMALL BALLADS n’est autre que le projet solo du dénommé Phillips Saylor Wisor, un personnage haut en couleur, comme il se doit. Originaire de l’état de Washington mais désormais basé dans le Maryland, il commença par abandonner le lycée dès son seizième anniversaire pour tailler la route, armé de sa seule guitare et de la volonté d’explorer le vaste répertoire folk qu’il venait de découvrir à travers les enregistrements de la Library Of Congress. Après avoir néanmoins décroché un diplôme en ethnomusicologie à l’universtité d’Hampshire en 2002 (et s’être produit par tout ce que le circuit folk et alt. country comprend en Amérique du Nord, Québec inclus), il constitua un temps la moitié du duo acoustique Shiftless Rounders (avec un certain Benny Sidelinder), revisitant en combinaison banjo et dobro nombre de grands titres des string bands d’antan (et léguant trois albums à la postérité, de 2003 à 2008). Lassé de n’interpréter que des covers, Phillips se résolut ensuite à enregistrer son premier album solo, le lugubre mais poignant “Since Jimmy Died”. Un autre album et deux EPs plus tard, il ne lui fallut pas moins de cinq ans pour leur donner suite avec le “Distant” que voici. Il s’était impliqué entre-temps dans divers projets collectifs (la formation bluegrass King Wilkie, le groupe folk-pop Vandaveer), mais les démons de la bougeotte et de l’écriture le démangeaient tant que la route le reprit. C’est au volant d’une Chevrolet d’occasion acquise dans une salle des ventes qu’il entreprit à l’été 2016 un singulier périple vers l’Ouest, avec le parti-pris significatif de n’y emprunter aucune autoroute, mais seulement des voies secondaires. Se postant à des carrefours de fortune, il y joua du banjo ou de la guitare jusqu’à ce que des passants de hasard s’arrêtassent, provoquant de ce fait des rencontres aussi impromptues qu’aléatoires. C’est à la source de ces croisements qu’il a puisé l’inspiration des huit nouvelles compositions qu’il propose à présent. S’ouvrant sur le languide “Susan At The Crossroads”, cet album présente Phillips soutenu par l’accompagnement subtil des membres du groupe Yellow Paper Plane, de Columbus (Ohio). Sur l’incantatoire et répétitif “Don’t Mind Me”, la voix de Wisor s’approche de celle du Michael Stipe de REM, tandis que “Valerie”, “Marietta” et l’éthéré “Jennifer Pine Tree” évoquent le Neil Young plaintif pré-Harvest et post-Crazy Horse de “Live At Massey Hall”, et que des Tennessee waltzes pur americana telles que “Juice And Sage” et “Pull Over Johnny” en font autant avec le grand Townes Van Zandt. Le semi-autobiographique “Slinger” conclut cette séquence sur un mode folk intimiste que n’auraient pas renié Simon & Garfunkel. Un songwriter-interprète aussi habité et pertinent qu’original, encore à découvrir de ce côté-ci de l’Atlantique.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 9th 2020

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