STRAY CATS – 40

Mascot
Rockabilly

26 ans après “Original Cool” (leur précédente livraison), 11 ans après leur tournée d’adieux (c’te blague!) et un mois après la disparition de Dick Rivers, revoici donc les Chats de Long Island. On pourrait continuer à se perdre ainsi dans les méandres de l’espace-temps (leur premier album ne parut-il pas un quart de siècle après celui de Gene Vincent…?), mais la seule question qui vaille aujourd’hui, c’est: “est-ce que ça le fait…?”. Même pas: “est-ce que ça le fait ENCORE…?”, non, juste: “est-ce que ça le fait vraiment…?”. Parce que comme leur histoire l’a démontré, c’est une chose de bouleverser par effraction le cours tranquille de l’histoire musicale de la fin du siècle dernier (ainsi qu’ils le firent, leurs vingt ans à peine passés), mais l’Histoire elle-même repasse rarement les plats. Et en dépit de la carrière plus qu’honorable de leur leader en “solo” (si l’on peut qualifier ainsi des tournées et albums en big band swing, et autres trios de substitution), l’essentiel de l’effet de surprise causé par les STRAY CATS à leurs débuts résidait en trois facteurs: leur look, leur pertinence et leur insolente jeunesse. Or, ces paramètres (comme chez nous, autres mortels) ne sont pas intangibles. Puisque son titre l’indique sans ambage, les STRAY CATS célèbrent donc avec cette rondelle le quarantième anniversaire de leur formation. Passons pudiquement sur les autres exemples mercantilo-foireux qui les précédèrent sur cette voie lucrative (vous connaissez les noms), et venons-en aux faits. Avant toute chose, la bande à Setzer a cette fois tenu à réaffirmer ses fondamentaux avant de remettre le couvert. Fini les auto-cover albums foireux et les prestations revivalistes de commande. Le socle sur lequel les STRAY CATS bâtirent en leur temps leur église avait trois Saints Patrons, qu’ils se devaient d’honorer comme il se doit avant de repartir en croisade. C’est chose faite dès les premières plages: “Cat Fight (Over A Dog Like Me)” célèbre à point nommé Saint Gégène au temps du Templier Cliff Gallup (jusqu’à ces hurlements hérités des Blue Caps qui égayaient leurs premier albums, et bien sûr, ces soli de guitare à vibrato Bigsby, évoquant des tirs turgescents de Pershings vers la Baie des Cochons). “Rock It Off” en fait autant avec Eddie Cochran (idole de Setzer), et “I’ve Got Love If You Want It” avec Johnny Burnette (blase un tantinet ridicule sur terrain francophone, mais pierre angulaire pour tout exégète rockabilly un tant soit peu pointu). Sur ce dernier, Brian pousse l’auto-citation jusqu’à reprendre une mesure de son propre solo lors de leur adaptation de “Ubangi Stomp” de Warren Smith : ah, ces jeux de miroirs en trompe-l’œil, leur marque de fabrique… Sur un riff de guitare voisin de celui du “Day Tripper” des Fabs, “Cry Danger” vient ensuite rappeler à point nommé que les STRAY CATS originels n’avaient rien à battre des chapelles (sinon, comment auraient-ils pu aligner ce “Runaway Boys” fédérateur?). Veine qu’ils approfondissent d’ailleurs avec “I Attract Trouble”, rappelant ce que Macca & Co devaient au rock des origines (“I’m Down”, “Can’t Buy me Love”, etc.). “Three Time’s A Charm” et “That’s Messed Up” reviennent hanter les pistes boppantes des Blue Caps, le temps de mesurer à quel point le slap percussif de Lee Rocker et la frappe sèche et groovy de Slim Jim Phantom nous avaient manqué. Outre son timbre vocal inchangé, le boss y assène de ces soli dont il semble désormais l’ultime dépositaire. La ligne Burnette s’illustre encore sur “When Nothing’s Going Right” (et ses faux airs de “Train Kept A-Rollin'”), et “Mean Pickin’ Mama”. Hommage au récemment disparu Duane Eddy, “Desperado” est un des ces instrumentaux chaloupés dont se repaissent désormais les B.O. de Tarantino et David Lynch. “I’ll Be Looking Out For You” renoue avec l’oscillation canaille de “Rock This Town”. En conclusion “Devil Train” s’avère une cavalcade dont on n’aurait osé rêver pour le générique de “Rawhide”. Verdict: un sans faute aussi inespéré qu’inattendu, de la part de chevaux de retour ayant à ce point conservé le mors aux dents. Ce disque donne envie d’aller foutre le boxon à Brighton après avoir pris d’assaut l’ambassade américaine à Téhéran, et avant de se pavaner sur les gouttières du quartier en Casanova tigré. Si vous pensez que ce n’est plus de votre âge, dîtes vous que comme eux, vous n’avez finalement que 40 ans!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 24th 2019