STEELY DAN

Christophe Delbrouck // Éditions du Layeur
Livre
STEELY DAN

Au départ, c’est la banale et classique anecdote préfigurant la plupart des tandems pop et rock: deux ados déclassés et plus ou moins en rupture de ban se découvrent des goûts musicaux et culturels communs (cf. Lennon/ McCartney, Jagger/ Richards, Grant McClennan/ Robert Forster, voire Simon & Garfunkel…). Sauf qu’en lieu et place de Chuck Berry, Muddy Waters et des Everly Brothers, les deux inadaptés du jour se réfèrent davantage à Thelonious Monk, Charles Mingus et Charlie Parker. Ce qui, dans un contexte post-psychédélique, ne cadre pas précisément avec l’hédonisme hippie alors en vigueur, chez qui, hormis Coltrane revisité par les Byrds, l’on prône davantage des jams de trente minutes façon Grateful Dead et Quicksilver. Bref, nos deux lascars commencent par ramer davantage encore que leurs contemporains des Flamin’ Groovies (dont le mainstream ambiant discernait au moins les références, fussent-elles considérées aussi ringardes que dépassées). À ce que mitonnent Donald Fagen et Walter Becker, non seulement, le music business n’entrave d’abord que dalle, mais ces derniers ne témoignent guère d’enthousiasme à se plier en retour aux plus élémentaires de ses critères. Comment pareils reclus au bord de l’autisme (ne communiquant entre eux que par des codes cryptés quasi-télépathiques) ont-ils pu, contre toute attente, opérer la séduction internationale d’une cohorte massive de fêlés de la même engeance qu’eux? Tels sont en sorte la quête et l’enjeu de cet essai de Christophe Delbrouck, à équidistance entre l’exégèse et la biographie. Si l’on ne peut dénier à ces deux control freaks absolus d’avoir su déjouer la plupart des codes (et pièges) d’une industrie de l’entertainment aussi désuette et cynique que souvent inepte, leur saga se dévore comme un roman, et en dépit de quelques imprécisions collatérales (Jim Croce n’est en effet pas mort “avec son groupe” dans un crash d’avion, puisqu’il ne tournait alors qu’avec son guitariste et ami, Maury Muheleisen; quant aux B-52’s, ils n’étaient pas Anglais, et malgré sa faconde légendaire, le regretté Howlin’ Wolf n’est jamais parvenu à enregistrer 35 albums…), ce remarquable ouvrage présente l’ineffable mérite de lever un coin du voile de mystère qui entoura cette formation cinq décennies durant. On y mesure notamment l’influence de Steely Dan sur un panel conséquent d’autres artistes (de Joni Mitchell à Fleetwood Mac, en passant par Joe Jackson, Tom Waits, Madeleine Peyroux et Ricky Lee Jones – et imagine-t-on seulement Roxy Music pouvoir accoucher d'”Avalon” sans l’irruption d'”Aja” et “Gaucho” dans ses radars?). Un must pour tout exégète (ou fan lambda) des cocktails sonores inusités que concocta cette formation qui plaça l’exigence musicale au dessus de toute autre considération (et n’en recueillit pas moins l’assentiment des masses).

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 1st 2022

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https://www.youtube.com/watch?v=aPadEbuz6jg

https://www.youtube.com/watch?v=QmwMGvf5FCE