Stan Getz – Moments In Time (FR review)

Recorded in 1976 at San Francisco’s Keystone Korner // Resonance Records – Available
Jazz
Stan Getz – Moments In Time

Moments in Time de Stan Getz: un joyau retrouvé qui saisit le saxophoniste à son apogée de liberté.

En ce mois de septembre, Bayou Blue Radio offrira à ses auditeurs quelque chose de rare: non pas simplement un disque, mais une véritable capsule temporelle. Resonance Records s’apprête à publier Moments in Time, un album live du Stan Getz Quartet qui nous transporte en 1976, au légendaire Keystone Korner de San Francisco. Ce qui en ressort n’est pas simplement une nouvelle entrée dans la discographie de Getz, mais un document saisissant d’un groupe en pleine effervescence, le portrait d’un saxophoniste maître de son art, au sommet de sa liberté, soutenu par un quartet qui avançait à ses côtés avec la même intensité.

Cette parution dépasse largement le cadre d’un simple album. C’est un objet historique minutieusement conçu, accompagné d’un livret de 28 pages comprenant des essais signés par des critiques, des proches et des musiciens. Ted Panken, Steve Getz, la pianiste Joanne Brackeen, le batteur Billy Hart ainsi que les producteurs Zev Feldman et Todd Barkan y livrent leurs témoignages, complétés par un ensemble de photographies rares et inédites. La pochette, signée par l’artiste japonais Takao Fujioka, témoigne du soin apporté à cette sortie. Le projet bénéficie du soutien de la succession Stan Getz, ce qui renforce encore son authenticité.

Panken résume parfaitement l’esprit de ces enregistrements en parlant d’un «ensemble d’une trentaine de maîtres en devenir». Barkan, figure incontournable du Keystone, se souvient de la confiance que lui exprimait Getz: «Je ne me suis jamais senti aussi libre, aussi soutenu, que je ne l’étais avec ce groupe, Joanne Brackeen, Clint Houston, Billy Hart. Ils sont heureux et libres de m’accompagner partout où je vais.» Pour Barkan, le Keystone était bien plus qu’un club: c’était le seul lieu où Getz semblait véritablement chez lui.

Ce sentiment de liberté se ressent dans chaque morceau. Le quartet déborde d’énergie, d’audace et d’inventivité. En les écoutant aujourd’hui, on se retrouve projeté dans l’intimité du Keystone Korner, les yeux fermés, happé par les applaudissements du public. Ici, les musiciens ne se contentent pas d’accompagner une star: ils inventent, ensemble, dans une dynamique d’échanges et de prises de risques. Brackeen l’explique clairement dans son entretien avec Feldman: «Il a dû être courageux pour nous engager. Il avait déjà sa chose, sa réputation. Il n’avait pas besoin de ce groupe. Et ce groupe était fou! On faisait tout ce qu’on pouvait. On n’était pas là que pour accompagner.»

Cette audace s’exprime notamment dans «O Grande Amor», standard de Jobim que Getz porta dès les débuts de la bossa nova. Ici, son phrasé semble flotter avec une aisance trompeuse, fruit d’un travail d’une précision extrême. Ce qui sonne comme de la spontanéité n’est en réalité que le résultat d’une recherche de toute une vie: parvenir à un langage si naturel qu’il ressemble à la parole. L’album comprend également «Infant Eyes» de Wayne Shorter, «Peace» de Horace Silver, «Con Alma» de Dizzy Gillespie et «Morning Star» de Jimmy Rowles. Ces morceaux faisaient partie du répertoire habituel de Getz, mais dans ce contexte de 1976, ils reprennent une fraîcheur singulière, née du risque et de la complicité.

Les précommandes numériques offrent un avant-goût avec trois titres disponibles immédiatement sur iTunes: «Summer Night», «The Cry of the Wild Goose» et «Peace». Mais c’est en écoutant l’ensemble de l’album que l’on saisit toute sa dimension: un témoignage unique d’un moment précis dans la trajectoire sans cesse en mouvement de Getz.

L’admiration que suscitait Stan Getz parmi ses pairs reste impressionnante. Ceux qui l’ont vu sur scène décrivent tous cette atmosphère qui changeait instantanément dès qu’il portait son saxophone à ses lèvres. Son timbre, chaud, rond, chargé d’une mélancolie lumineuse, imposait le silence et captait l’attention. Dans les conversations, revient sans cesse l’expression: le «son Stan Getz». Ce n’était pas qu’une couleur, ni seulement une technique, mais une identité musicale entière. Comme l’écrit le saxophoniste Joshua Redman dans sa contribution au livret: «Sa virtuosité: il pouvait jouer n’importe quel morceau, dans n’importe quelle tonalité, à n’importe quel tempo, avec une maîtrise et une aisance déconcertante. Et puis il y avait son incroyable talent de conteur, cette logique naturelle et organique dans le flux de ses phrases et de ses idées.»

Pour comprendre l’importance de Getz, il faut se rappeler à la fois ses triomphes et ses contradictions. Né à Philadelphie en 1927 et grandi dans le Bronx, il fut un prodige qui joua avec Jack Teagarden, Benny Goodman et Woody Herman avant même d’atteindre la vingtaine. Sa renommée éclata dans les années 1940, avec la section des «Four Brothers» de Herman, où son timbre velouté le distingua de ses compagnons. Dans les années 1950, il devint le maître d’un style «cool» et lyrique, éloigné de la virtuosité éruptive du be-bop. Puis vinrent les années 1960: Jazz Samba (1962) avec Luiz Bonfá fit découvrir la bossa nova aux États-Unis, et Getz/Gilberto (1964), avec Astrud Gilberto sur «The Girl from Ipanema», reste un des disques de jazz les plus vendus au monde.

Mais Getz, éternel insatisfait, ne voulait pas rester l’icône de la bossa nova. Les années 1970 virent le jazz bouleversé par le courant fusion, où Miles Davis ou Weather Report intégraient guitares électriques et rythmiques rock. Getz, sceptique face à ces orientations, suivit sa propre voie: un quartet acoustique, ancré dans le langage moderne mais ouvert aux libertés et aux expansions harmoniques. C’est exactement ce que l’on entend dans Moments in Time: un jazz vivant, audacieux, toujours en mouvement.

Resonance Records, qui multiplie ces dernières années les redécouvertes d’enregistrements oubliés de Bill Evans, Wes Montgomery et d’autres, offre ici plus qu’un simple projet d’archives. Pour Stan Getz, disparu en 1991 à 64 ans, ce disque est une pièce manquante, une fenêtre ouverte sur une période où sa créativité ne faiblissait pas.

Aujourd’hui, trois albums constituent un triptyque indispensable pour qui veut comprendre Getz: Getz/Gilberto, avec son retentissement mondial; Jazz Samba, disque fondateur; et désormais Moments in Time, qui capture l’intimité d’un live incandescent. Ensemble, ils dessinent le portrait d’un artiste qui, bien que disparu depuis plus de trente ans, reste éternellement vivant dans le son.

Écouter Moments in Time, c’est non seulement entendre des notes, mais retrouver une époque: l’insouciance des années 1970, l’atmosphère feutrée des clubs enfumés, l’énergie d’une communion musicale improvisée. C’est plonger dans un instant où la musique n’était pas pensée pour l’Histoire, mais pour la soirée en cours, pour le moment présent. Et c’est se laisser rappeler, par le souffle rond et chantant de Stan Getz, pourquoi il demeure, pour beaucoup, non seulement un saxophoniste, mais un poète du son.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 2nd 2025

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To buy this album
(Never-before-released music recorded in 1976 at San Francisco’s Keystone Korner)

Musicians:
Stan Getz- Tenor sax
Joanne Brackeen- piano
Clint Houston- bass
Billy Hart- drums

Track Listing:
1. Summer Night (9:18)
2. O Grande Amore (6:50)
3. Infant Eyes (7:45)
4. The Cry of the Wild Goose (8:23)
5. Peace (5:06)
6. Con Alma (12:36)
7. Prelude To A Kiss (5:42)
8. Morning Star (8:42)

Booklet includes essays by Ted Panken, Steve Getz, Joanne Brackeen (pianist), Billy Hart (drummer), and producers Zev Feldman & Todd Barkan
28-page booklet includes rare unpublished photographs

Cover art by Japanese artist Takao Fujioka
Release endorsed by the Stan Getz Estate