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“Elle du faire toutes les guerres, pour être si forte aujourd’hui”… On peut douter que ce fût à Sophia Domancich que songeait Francis Cabrel en écrivant ces vers, mais ils n’en semblent pas moins la décrire avec pertinence. Première femme à recevoir le Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz en 1999, cette pianiste et compositrice émérite (à ne pas confondre avec sa sœur aînée Lydia, également pianiste de jazz renommée) aligne en effet un CV à en faire pâlir plus d’un. Premiers Prix de piano et de musique de chambre à sa sortie du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, elle s’initie ensuite au jazz et à l’improvisation auprès de Steve Lacy et Laurent Cugny, avant de collaborer avec la crème de la fameuse École de Canterbury (John Greaves, Robert Wyatt, Pip Pyle…), puis de se lancer en trio avec Tony Levin (batteur anglais disparu en 2011, à ne pas confondre avec son homonyme, bassiste américain ayant accompagné notamment Peter Gabriel et King Crimson) et le contrebassiste Paul Rogers, tout en participant à l’Orchestre National de Jazz. Elle cumule dès lors les collaborations marquantes (avec Steve Potts, Riccardo Del Fra, Éric Barret, Ramon Lopez, Joëlle Léandre et Evan Parker, parmi d’autres), et forme en 2001 le quintette Pentacle, avec le batteur Simon Goubert, Claude Tchamitchian, Michel Marre et Jean-Luc Cappozzo, puis Soft Bounds avec Goubert encore, ainsi qu’Elton Dean et Hugh Hopper (tous deux ex-membres historiques de Soft Machine). Alors qu’elle cumule une quinzaine d’albums en tant que leader ou co-leader (et plus d’une vingtaine d’autres en collectif), elle n’en avait enregistré à ce jour que deux en solo intégral: “Rêves Familiers” en 1999, et “SO” en 2017. Celui-ci, son troisième donc, résume en quelque sorte son travail en solitaire. On y retrouve non seulement cette maîtrise du temps qui lui est spécifique (et ses couleurs harmoniques si personnelles), mais aussi sa façon unique d’exploiter le mariage entre le piano de concert et le Fender Rhodes. S’ouvrant sur une adaptation toute personnelle du “Django” de John Lewis (l’un des piliers historiques du Modern Jazz Quartet, disparu voici vingt ans déjà, et par ailleurs oncle d’Eric Bibb), ce disque est une invitation au voyage, sous l’égide lumineuse d’une pianiste sachant utiliser la moindre ressource de son instrument (notes étouffées, dynamique du clavier, percussions, etc.). Un rêve de musique au fil duquel on se laisse emporter loin, très loin…
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, April 28th 2021