Sonny LANDRETH – Blacktop Run

Provogue / Mascot
Blues, Zydeco
Sonny LANDRETH

Ceux qui apprécient l’art d’Elmore James savent qu’il enregistra un terrassant instrumental intitulé “Canton Mississippi Breakdown”. C’est en effet sur une plantation de cette bourgade qu’il naquit, et c’est là aussi qu’il fut traumatisé tout jeune par le passage d’une tournée de guitaristes hawaïens. Ces derniers faisaient glisser un tube métallique sur leurs cordes, produisant avec ce simple ustensile les sons les plus languides et les plus lugubres qui puissent s’imaginer. Avec le renfort d’un ampli à lampes que l’on combinait à ce subterfuge, on parvenait ainsi à évoquer le vent, la foudre et le tonnerre, en ces temps où le blues rural s’encanaillait dans les tapageurs bouges urbains. Encore bien trop méconnu au regard de ses immenses capacités, Sonny Landreth est natif du même bled (à quatre décennies de délai), et si Eric Clapton l’a un jour décrit comme “l’un des guitaristes les plus accomplis et les plus sous-estimés à la fois”, on ne peut dénier une certaine validité à son jugement. Il suffit pourtant d’énumérer les états de service du bonhomme: de John Mayall (auquel il offrit “Congo Square”) à Zachary Richard, et de Marshall Crenshaw à Little Feat, en passant par Gov’t Mule, John Hiatt, Johnny Winter, Mark Knopfler et Buckwheat Zydeco (sans oublier nos propres Alain Bashung et Stephan Eicher: la slide fumante sur “Osez Joséphine”, “Chatterton” et “Carcassonne”, c’était lui aussi!), ce type aligne un CV de sideman 24 carats… Pourtant, rien n’y fait: en dépit de sa vingtaine d’albums perso, Landreth semble cantonné au statut de musicien pour musiciens (or, Cantonnais, ne l’est-il pas déjà de naissance, vous suivez…?). Si les instrumentaux demeurent sa piste de décollage de prédilection (“Lover Dance With Me”, “Groovy Goddess”, “Beyond Borders”, “Many Worlds”), ce brave Sonny sait aussi porter sa slide à incandescence au fil de compos chantées (telles le bien nommé “The Wilds Of Wonder”), tout en se réservant quelques plages où son picking acoustique ne s’avère pas moins impressionnant. Sa touche zydeco revendiquée s’exprime sur “Mule”, avec le renfort de l’accordéon que popularisa Clifton Chenier (son premier employeur). Tandis que tant d’experts de l’esbroufe se désarticulent sur leur manche avec force simagrées, Sonny Landreth continue de jouer profil bas à Breaux Bridge, Louisiana. Et pourtant, chaque fois qu’il glisse ce tube de métal au petit doigt de sa main gauche et cet onglet à son pouce droit, les mâchoires continuent de tomber. Quand virtuosité et modestie s’incarnent à ce point là, on les appelle Sonny Landreth…

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 11th 2020

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Il a tout pour lui ! Non seulement il chante très bien mais il joue fabuleusement de la slide guitare. Et malheureusement les covers de ses albums sont on ne peut plus nulles. Peut-être parce que l’essentiel n’est pas dans ce que l’on voit mais dans ce que l’on écoute. Ce surdoué du bottleneck nous fout KO dès qu’il commence à jouer. Et on demeure surpris comme au premier jour! On le savait compétent depuis le célèbre Osez Joséphine (1991) du regretté Alain Bashung, mais il a encore pris le temps de s’améliorer et cela frise la perfection aujourd’hui. Sur cet opus, 10 morceaux qui passent beaucoup trop vite… A peine le premier riff de slide qu’on se retrouve à la fin du voyage. La ceinture à peine fixée, qu’il faut déjà la décrocher! Suprême consolation, il n’y a rien à jeter, mais cela coulait de source évidemment! On baigne dans l’univers cajun si spécifique à la Louisiane d’où il est natif (il y a même de l’accordéon sur Don’t Ask Me!). On visualise parfaitement un Dave Robicheaux roulant vers Iberia en écoutant Blacktop Run ou Mule qui suinte l’esprit cajun à fond. Rien d’étonnant donc à ce que des rythmes zydecos pointent le bout de leur nez. Quelques superbes instrumentaux, au nombre de 4, assènent leurs riffs et on ne peut qu’éprouver le besoin de gigoter sur un Lover Dance With Me ou de taper du pied sur Une Déesse du Groove bien tonique… Le batteur originaire de Gonzales, Louisiane, Brian Brignac, le bassiste louisianais David Ranson (John Hiatt, John Mooney, Beau Soleil) lui aussi, et le claviériste compositeur Steve Cohn à l’accordéon sont ici de la fête. Comme le précédent Bound By The Blues, 2015, cet opus est une tuerie à l’état pur. On comprend aisément pourquoi God (Eric Clapton) l’invite pour ses Crossroads Festivals. Il doit y foutre une sacrée ambiance. Quand on écoute en CD, on imagine ce que cela peut faire en Live! Qu’attend-on pour le faire venir chez nous?

Dominique Boulay
PARIS-MOVE & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, March 17th 2020