SONNY BURGESS – The Classic Recordings 1956-1959

Bear Family
Rockabilly
SONNY BURGESS - The Classic Recordings 1956-1959

La légende a beau le marteler, Sam Phillips n’était assurément pas qu’un proto-producteur et ingé-son de génie, mais s’est avant tout avéré un phénoménal dénicheur de talents. Si l’épopée des Sun studios est entrée dans l’Histoire le 5 juillet 1954 (quand un jeune gommeux prénommé Elvis Aaron franchit la porte du Memphis Recording Service), nombre d’artistes de ce prestigieux catalogue se trouvèrent dès lors éclipsés par l’éclosion du phénomène Presley. Si certains de ses collègues de label (Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Johnny Cash ou Roy Orbison) parvinrent à tirer leur épingle du jeu, qui se souvient encore de Charlie Rich, Warren Smith, Billy Lee Riley ou Carl Mann, hors la chapelle des connaisseurs les plus pointus? Sans parler non plus des volets country (Webb Pierce, Charlie Feathers, Sleepy Labeef…) et blues du répertoire (Howlin’ Wolf, Junior Parker, Dr. Ross, Little Milton, Frank Frost, Earl Hooker, Rufus Thomas)… Parmi ces artistes oubliés du grand public, il en demeure un que son talent et sa sauvagerie distinguent assurément du lot: Sonny Burgess. Né à Newport dans l’Arkansas le 28 mai 1931, il y grandit sur la ferme qu’exploitaient ses parents, berçant ses soirées au son de la radio dont les stations environnantes diffusaient les succès du Grand Ole Opry de Nashville, mais aussi le rhythm n’ blues qui florissait alors à Memphis. Soit les ingrédients essentiels dont la fission allait produire la déflagration fondatrice de ce qu’un petit fûté nomma rock n’ roll. Au confluent exact de ces deux courants, il ne parut à l’époque guère de rocks aussi débridés qu’au fil des quelques faces que parvint à publier le jeune Sonny lors de ses visites sporadiques à Sam Phillips. Il n’est pour s’en convaincre que de se prendre la gifle de l’incendiaire “We Wanna Boogie” qui ouvre cette intégrale de ses Sun sessions: le rockabilly beat effréné qu’imprime le batteur Russell Smith botte le train du boogie piano qu’y pilonne Kern Kennedy, tandis que la trompette de Jack Nance (inusitée en pareil contexte) achève d’estampiller la singularité de ce missile, d’où se détachent les vocals aussi véhéments que nimbés d’écho de Sonny Burgess, tandis que les six cordes frénétiques de Joe Lewis assènent de vicieux choruses, comme autant de coups de pied de l’âne. Outre la maigre demi-douzaine de faces qu’édita alors le label solaire, ce coffret n’en propose pas moins 48 autres (alternate takes et cascade d’inédits inclus). Les prises distinctes de “We Wanna Boogie” et “Red Headed Woman” (encore plus déchaînées que les officielles) y côtoient ainsi de trépidantes pépites telles que “All Night Long”, “Life’s Too Short To Live”, “Ain’t Got A Thing”, “Truckin’ Down The Avenue”, “Little Town Baby”, “One Night Of Sin” (de Dave Bartholomew, qu’adaptera ensuite Presley), “Watcha’ Gonna Do” et “Ain’t Gonna Do It” (deux fois: décidément, ce lascar avait l’esprit de contradiction), ainsi que les crossovers rockab’ échevelés du “Feelin’ Good” de Junior Parker et du “My Babe” de Willie Dixon et Little Walter (démarqué du gospel “This Train” que popularisa avant eux Sister Rosetta Tharpe, tant qu’à parler de melting pot), sans oublier ce savoureux pastiche du “Bony Moronie” de Larry Williams, “Skinny Ginny”. Il suffit d’écouter les instrumentaux “Itchy” et “Thunderbird” (avec Cowboy Jack Clement à la basse, Charlie Rich au piano et Billy Lee Riley à l’harmo) pour humer les moîtes senteurs des studios exigus du 706 Union Avenue. S’il n’accéda jamais au vaste succès commercial de ses contemporains Jerry Lee Lewis et Johnny Burnette, l’aura de Sonny Burgess n’a cessé de croître parmi les amateurs de rockabilly authentique, au premier rang desquels on trouve encore de nos jours John Fogerty et les frangins Dave et Phil Alvin. Son influence est en effet prédominante chez les Blasters (qui calquèrent leur formule sur la sienne, et reprirent avec panache son éperdu “Sadie’s Back in Town”), et Brian Setzer lui-même n’a jamais dissimulé l’admiration qu’il lui porte. Il faut admettre que les vociférations émanant des enregistrements des Stray Cats doivent presque autant aux premiers enregistrements de Sonny Burgess & The Pacers qu’à ceux de Gene Vincent & The Blue Caps. Pour le reste, on se trouve en climat de confiance chez Bear Family: mastering impeccable et livret 32 pages signé Colin Escott. What else?

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 19th 2020