SIMON GOUBERT – Le Matin Des Ombres

PeeWee ! / Socadisc
Jazz progressif
SIMON GOUBERT - Le Matin Des Ombres

On a tendance à l’oublier: même si c’est un instrument à cordes, le piano est également un instrument à percussion, au même titre que la batterie. Si quelqu’un ne risque pas de l’ignorer, c’est bien Simon Goubert, qui les pratique tous les deux depuis l’enfance. Né à Rennes en 1960, ce dernier aligne l’un des parcours les plus impressionnants sur la scène jazz et prog hexagonale. Compagnon de route de Christian Vander (qu’il rejoignit aux claviers dès 1983 au sein d’Offering, puis de Welcome, et enfin de Magma, où il officie encore de nos jours), il publia un premier album en leader dès 1991 (Haïti). Trois autres allaient suivre jusqu’en 1998, révélant au passage ses talents de compositeur, tandis qu’il se voyait décerner en 1996 le Prix Django Reinhardt du Musicien Français de Jazz de l’année. Après un trio avec Emmanuel Bex et Glenn Ferris, il intégra le quintette Pentacle de la pianiste Sophia Domancich, avant de co-fonder Soft Bounds avec celle-ci, ainsi que les ex-Soft Machine Elton Dean et Hugh Hopper. Son nouvel album solo est une fois encore le fruit de rencontres. Tout d’abord, celle qu’il fit à 17 ans de l’œuvre singulière du pianiste et compositeur Ivan Wyschnegradsky. Au début du siècle dernier, celui-ci chercha en effet à rompre avec le système traditionnel des intervalles entre les notes de la gamme, pour défricher un espace où des intervalles de plus en plus resserrés puissent tendre vers une densité illimitée. Il en conçut un univers sonore en micro-intervalles (inférieurs au demi-ton chromatique), en quarts de ton, puis en tiers, sixièmes et douzièmes de ton. Si ces subtilités demeurent sans doute hermétiques aux béotiens (ainsi qu’à Tryphon Tournesol et au regretté Lemmy Kilmister), Simon Goubert ne tente pas moins d’en transposer le principe à deux batteries (une Gretsch, la Rolls de maints jazzmen, et une Repercussion, prototype révolutionnaire élaboré par Thomas Antoine: nouvelle rencontre décisive). Accordant chacun de leurs fûts respectifs au quart de ton (selon la formule appliquée par Wyschnegradsky à ses pianos), Simon fait ici littéralement chanter cymbales et tambours, selon un usage harmonique rarement exploité à ce point jusqu’alors. La face A du vinyle est toute entière consacrée à une suite en trois mouvements frisant les 24 minutes, tandis que la face B se découpe en huit séquences plus brêves. Souvent répétitif et (forcément) ombrageux, cet opus évoque tour à tour les climats sonores de films fantastiques de William Friedkin ou Murnau, le frottement des balais et le tom-tom des maillets paraissant y épouser une mystérieuse et implacable dramaturgie, tandis que l’on croit y ouïr tour à tour les grandes orgues, des steel-drums, du gamelan balinais, des synthétiseurs, les ondes Martenot et une scie à ruban, mais aussi le ahanement obstiné de la salle des machines, voire un couvercle de poubelle. À la direction artistique, sa complice de longue date Sophia Domancich clôt ainsi aux côtés de Simon une trilogie entamée en mai 2021 avec son album à elle, Le Grand Jour, suivi de leur duo sur Twofold Head. Bref, de l’audace, encore de l’audace, et la moindre des politesses de la part de l’auditeur consistera à n’en point manquer à son tour!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 11th 2022

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Album à commander sur le Bandcamp de PeeWee

https://www.youtube.com/watch?v=OZdjnpDWPf8

Filmé pour la série PAUSE en Septembre 2020, la première version de “Le Matin des Ombres” de Simon Goubert d’après l’oeuvre de Yvan Wyshnegradsky.