SILVER LAKE 66 – Ragged Heart

Autoproduction
Americana

Dès leur rencontre voici près de trente ans, Maria Francis et Jeff Overbo surent que leur destins seraient désormais mêlés, tant sur le plan musical que personnel. Tous deux chanteurs et guitaristes accomplis, ils commencèrent à se produire en duo dans le circuit folk des environs de Minneapolis, pour déménager ensuite à Los Angeles avec armes, bagages et leur chien Bernie. Ils ne tardèrent pas à y fonder leur propre band, les Ruby Trees, avec lequel ils écumèrent avec constance les clubs locaux, avant de se relocaliser à Portland, dans l’Oregon. La scène locale s’y trouvant éminemment collaborative, quand Maria se vit diagnostiquer un cancer de la thyroïde, les musiciens du cru lui manifestèrent tout leur soutien. C’est avec leur appui que le couple parvint à enregistrer un premier album à l’été 2016 (“Let Go Or Be Dragged”), et à s’inscrire dans le réseau des jam sessions qui se tenaient à l’orée de la ville, dans un bouge du nom de The Barn (“la grange”, sans rapport avec ZZ Top). Voici donc “Ragged Heart”, leur second effort, dont ils se répartissent la composition (six titres de la plume de Jeff, et quatre de celle de Maria). Témoignage de leur intégration dans leur environnement, pas moins de dix instrumentistes leur prêtent contribution, au premier rang desquels le saxophoniste et pedal-steeler Bryan Daste (qui co-produit le tout avec le duo). “Blue Earth Country”, qui ouvre le ban, conjugue les harmonies vocales façon Gram et Emmylou à la rudesse agraire des Blasters de Dave Alvin. Impression que confirme la plage titulaire, que chante Maria sur un beat quasi-rockabilly, avec la combinaison de la guitare électrique de son concubin et de la pedal steel ondulatoire de Daste. Qu’ils chantent à l’unisson ou en dialogue (comme sur le superbe “Broken”, digne rejeton putatif du “Crazy” de Patsy Cline), les voix de ces deux-là font merveille, et pareille harmonie illustre sans doute le secret des couples qui affrontent les épreuves ensemble. Sur un beat proche des Blue Ridge Rangers de Fogerty, “Faded Tattoo” décrit l’inexorable déchéance d’un déclassé, et les guitares s’y marient à nouveau avec tact et dynamique. Des titres comme “Check Out The Cash”, “Hard Thing To Do” et “Broken Dreams & Cigarettes” perpétuent le spleen où la country puisa de tout temps son propre blues (inutile de répéter le rôle qu’y jouent la pedal-steel, le violon et le rythme de canasson), tandis que dans l’esprit d’un Steve Earle, “Like A River” dénonce l’attraction mortifère que peut exercer Los Angeles. L’album se referme sur la déclaration d’amour biaisée de Jeff à Maria, “Such A Mess”, où l’on peut discerner toute l’admiration qu’il porte à cette dernière. Au constat de l’équilibre subtil ici atteint entre tradition et énergie (ainsi que la qualité d’écriture à l’œuvre), on se prend à imaginer ce qu’aurait pu donner l’alliance musicale de Wayne Hancock et Sue Foley, si elle avait pu porter ses fruits. C’est en tout cas de ce niveau, et l’une des plus flagrantes réussites de l’Americana actuelle: sincère et sans compromission, mais avec une conviction à renverser les montagnes.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 7th 2019

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