Americana, Country |
Si la sagesse populaire apocryphe édicte qu’il faut d’abord en avoir bavé un brin avant de chanter le blues, Sierra Ferrell démontre à l’envi que cet adage peut également s’appliquer à d’autres genres vernaculaires. À l’heure où le moindre nouvel impétrant se croit obligé d’afficher une quelconque graduation de la Berklee School of Music, c’est en effet à l’école de la vie que cette chanteuse, guitariste et compositrice-interprète a commencé par faire ses classes. Et si elle a attendu la trentaine avant de publier à compte d’auteur ses deux premiers albums, c’est que son parcours initiatique l’y avait préalablement mûrie. Native de Virginie-Occidentale, elle fut élevée dans une caravane par sa mère divorcée (mode éducatif en plein développement aux States, et dont le futur Iggy Pop bénéficiait déjà dans les années 50), avant d’embrasser une existence d’errance et d’addictions diverses, tout en se produisant seule (et le plus souvent pour la manche) dans les endroits les plus saugrenus, entre Seattle et la Nouvelle-Orléans. Ces pérégrinations lui valurent néanmoins un début de médiatisation grâce à Youtube (si ce machin avait existé dans les années 40, combien d’autres Hank Williams aurait-on alors pu découvrir?), qui mit en branle le genre de success fairy tale dont l’Amérique est friande. Zappant l’étape Grand Ole Opry à laquelle se soumirent maintes de ses devancières, c’est toutefois bien par Nashville qu’elle entama son ascension, s’y produisant chaque semaine au Honky Tonk’s Tuesday de l’American Legion Post 82, où elle finit par capter l’attention de Gary Paczosa, producteur (entre autres) d’Alison Krauss, Dwight Yoakam, Gillian Welch et Dolly Parton. En 2021, son premier opus sous l’étiquette Rounder, le bien intitulé “Long Time Coming”, la plaça sur orbite, et ses contributions au “Dropout Boogie” des Black Keys ainsi qu’au “I Was Born To Love You” de Ray LaMontagne et au “Holy Roller” de Zach Bryan achevèrent le travail. Précédé par deux soirées à guichets fermés au célèbre Ryman Auditorium, ce “Trail of Flowers” s’accompagne d’une campagne promo significative qui lui vaut sa distribution sur notre continent. Entre le Springsteen de “Nebraska” et Lucinda Williams, le semi-autobiographique “American Dreaming” qui ouvre le ban atteste que nous n’avons pourtant pas affaire à l’un de ces produits interchangeables préfabriqués par l’industrie. Son interprétation enjouée de “Dollar Bill Ball” se révèle d’une fraîcheur savoureuse (avec sa twangin’ guitar et son harmonica façon Charlie McCoy), tandis qu’elle revendique ses racines appalachiennes avec “Fox Hunt” et “I Could Drive You Crazy” (banjo et fiddle inclus), jusqu’à ces “Lighthouse”, “I’ll Come Off The Mountain” et “No Letter” célestes et chorals, rappelant les riches heures de la Carter family. Avec sa pedal-steel et sa trompette bouchée, le old time vaudeville ragtime “Chittlin’ Cookin’ Time In Cheatham County” et le Bakersfield sounding “Why Haven’t You Loved Me Yet” revisitent par ailleurs les courants vintage qu’arpente aussi Pokey Lafarge. Capable des murder ballads les plus renversantes (ce “Wish You Well” baigné de cordes arrangées par Billy Contreras) comme de saddle tunes intemporelles telles que le majestueux “Money Train”, voire de ritournelles séculaires à la manière de Victoria Spivey (“Rosemary”), Sierra Ferrell témoigne sans conteste d’un talent protéiforme et d’une personnalité lumineuse, avec lesquels il faudra désormais compter.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, June 11th 2024
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