SHEMEKIA COPELAND – Done Come Too Far

Alligator / Socadisc
Americana, Blues, Soul

On ne change pas une équipe qui gagne: enregistré à Nashville comme ses deux prédécesseurs, ce dixième album de Shemekia Copeland (et son huitième chez Alligator, en dépit d’une furtive escapade chez Telarc) est à nouveau produit par Will Kimbrough (qui officie aux six cordes sur ses douze titres), et ce dernier en co-signe cette fois encore les trois quarts avec John Hahn. Le revendicatif “Too Far To Be Gone” et la plage titulaire (en duo avec Cedric Burnside) énumèrent la longue marche en faveur des droits civiques dont la précédente mandature à la Maison Blanche écorna les fragiles acquis, et Shemekia y insuffle toute la détermination dont elle est capable, tandis que la slide du grand Sonny Landreth et la guitare de Burnside y distillent de juteuses saillies sudistes. Dans l’esprit de ce que produisait John Fogerty voici un demi-siècle, le non moins révolté “Pink Turns To Red” traite avec un désespoir rageur des ravages que continuent de perpétuer les armes à feu parmi la population enfantine de son pays (avec les guitares de Kevin Gordon et Kenny Brown), tandis qu’avec l’orgue du vétéran des studios Royal, Charles Hodges, le non moins lugubre “The Talk” reflète l’angoisse d’une mère afro-américaine dans le climat socio-politique actuel. La kora de Cedric Watson sous-tend “Gullah Geechee”, holler choral retraçant le périple d’un esclave arraché à sa terre natale, et transplanté dans ce monde hostile et cruel qu’il va pourtant contribuer à bâtir, bon gré mal gré. Avec la slide de Kimbrough, la ballade “Why Why Why” illustre quelle intense soul singer est devenue la fille de Johnny Clyde Copeland, tandis que le zydeco “Fried Fishes & Bibles” laisse indéniablement le bon temps rouler, fiddle, washboard et accordéon à l’appui, que dans la veine swamp de Creedence et Tony Joe White, “Barefoot In Heaven” bénéficie de chœurs façon Staples Singers, et que le jubilatoire “Fell In Love With A Honky” s’avère une country tune bon teint, violon et pedal steel de Fats Kaplin inclus. Avec pour seul soutien les guitares acoustiques d’Oliver Wood et Will Kimbrough, le poignant et dépouillé “The Dolls Are Sleeping” aborde avec pudeur et franchise la question de l’abus d’enfants innocents. Le funky “Dumb It Down” moque malicieusement la culture gossip qu’entretient la curiosité morbide envers les célébrités, avant la désormais systématique et conclusive reprise de son défunt paternel (cette fois, c’est le classic Chicago shuffle “Nobody But You”). Another winning dozen for Shemekia!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 12th 2022

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Enregistré et mixé à Nashville, Memphis, et New Orléans, le nouvel album de Shemekia Copeland est de la Bombe! Il faut dire qu’elle a invité quelques guitaristes prestigieux pour enregistrer ce dixième album: Sonny Landreth à la slide guitar, Will Kimbrough à la guitare, Kenny Brown, Kevin Gordon, Cedric Burnside, Oliver Wood… sans parler des autres musiciens, tous excellents par ailleurs. La plupart des 12 compositions sont signées Will Kimbrough et John Hahn, producteur exécutif du disque. Elle nous propose une véritable bande son pour l’Amérique contemporaine, féroce, lucide et pleine d’espoir. Le Wall Street Journal va même jusqu’à parler de “blues audacieux et opportun”. Cet album, dans la continuité de America’s Child et Uncivil War poursuit son oeuvre de documentation historique et sociologique sur les Etats-Unis contemporains. Il faut dire que son parcours personnel a fortement contribué à exacerber sa lucidité et sa clairvoyance: des milliers de concerts en clubs, festivals et salles de concert, des films, des émissions télévisées, des articles inombrables dans la presse , journaux et magazines, sur internet, des collaborations avec Bonnie Raitt, Keith Richards, Carlos Santana, Dr John, James Cottopn, des spectacles donnés devant les troupes US en Irak, au Koweit, des shows avec B.B. King, Mick Jagger, Buddy Guy, Gary Clark Jr, un passage à la Maison Blanche ou devant l’Assemblée des Nations Unies. Depuis 2018 qu’elle est devenue maman, elle aspire encore plus qu’auparavant à ce que les choses se pacifient autour d’elle. Elle veut rétablir l’unité autour d’elle. Aspiration légitime qu’elle chante avec tout son coeur et toute son âme. “Amis, famille et maison, ces choses que nous apprécions tous”. Elle termine son album avec un hommage à son père, puisqu’elle reprend “Nobody But You” de celui-ci.

Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, July 19th 2022

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