Soul |
J’en ai longtemps voulu à Kurt Cobain de s’être supprimé le lendemain même de la disparition de Lee Brilleaux, éclipsant de ce fait dans les média la perte incommensurable que représentait la défaite du leader de Dr. Feelgood contre le crabe. De même, il me fallut du temps pour pardonner à cette écervelée d’Amy Winehouse d’avoir supplanté aux yeux du grand public sa valeureuse aînée Sharon Jones (dont elle avait pourtant emprunté l’orchestre pour asseoir le succès de son propre “Back To Black”). Plus de quatre ans après sa disparition, le vide laissé par Miss Jones n’en paraît que plus béant, et même si l’on ne peut nier l’apport aussi crucial que décisif de son orchestre, les Dap-Kings (et de son producteur de bassiste, Gabriel Roth, alias Bosco Mann), force est également d’admettre que sans elle et Charles Bradley, Daptone (artisan incontesté du renouveau de la soul à l’orée de ce millénaire) se trouve amputé de ses plus saillants fers de lance. Depuis ce fichu 18 novembre 2016, où un cancer du pancréas finit par déborder les ultimes remparts de son pourtant irréductible fighting spirit (et après le documentaire que lui consacra Barbara Kopple), son aura n’a cessé de croître, et l’on pouvait craindre que, comme pour d’autres artistes de son acabit, ses réalisations posthumes risquassent de ternir quelque peu le standard des enregistrements réalisés de son vivant. Ce serait mal connaître Daptone, où sa mémoire est préservée telle un mausolée sacré. Que la bande à Bosco ait mis quatre ans à capitaliser sur les bandes reposant dans ses stocks ne pouvait qu’augurer du meilleur, et la surprise se révèle à la hauteur du défi. Tandis que Miss Jones et son gang n’eurent que sporadiquement recours aux reprises d’autres interprètes, au fil de leurs huit albums communs, on leur en passait toutefois régulièrement commande, que ce fût à destination du soundtrack d’un film ou d’une série, ou encore d’une publicité. Et voici donc que cet inespéré Sharon Jones cover album s’avère non seulement digne de sa production antérieure, mais qu’il sublime en apothéose l’essence même des talents conjoints de Sharon Jones & The Dap-Kings. Dès l’intro au sitar (!) du “Signed, Sealed, Delivered” de Stevie Wonder, on succombe: la fidélité de Daptone au vintage sound s’y accompagne d’une savoureuse transgression, tandis que le feeling et la conviction dont y fait preuve Sharon de bout en bout balaie toute réserve! Le “Rescue Me” de Fontella Bass reçoit ici le traitement Stax qui s’impose (cuivres façon Mar-Keys et rythmique MGs), tandis que d’autres sommets tels que le “Giving Up” de Donny Hathaway, “Here I Am Baby” des Marvelettes, “Take Me With You” de Prince (effectivement ramené au bercail en beauté) et “Inspiration Information” de Shuggie Otis portent le mercure au bord de l’ébullition. Et que dire des transpositions soul du “Little By Little” de Dusty Springfield, voire du “Just Dropped In (To See What Condition” de Kenny Rogers, ou encore de la réappropriation du “What Have You Done For Me Lately?” que lui avait plagié Janet Jackson? Elle hisse même le “It Hurts To Be Alone” (décalque éhonté par les Wailers de Bob Marley du “I’m So Proud” de Curtis Mayfield & The Impressions) au rang de classique digne de Sam Cooke. Disparue à l’aube fatidique de l’élection de Trump, Sharon Jones réapparaît donc au terme du règne de ce faquin, et c’est sans doute bon signe. Si les cimetières sont peuplés de gens indispensables, dans le cas de Sharon, le dicton s’avère cruellement approprié.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, January 29th 2021
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Une compilation inédite de reprises par Sharon Jones et ses Dap-Kings! Les choses sont dites et claires pour tout le monde puisque c’est le titre de l’album. Un opus 10 reprises immortelles de Stevie Wonder, Dusty Springfield, Kenny Rogers, The Marvelettes, Janet Jackson, Prince, Shuggie Otis, Donny Hathaway, Aretha Fanklin, Bob Marley & The Wailers ou Bad Medecine et… 2 œuvres inédites sur cet opus! Sharon Jones reprend fidèlement les recettes de la soul et de la funk des années ’60 et du début des années ’70. Ce qui est conforme aux objectifs du mouvement revivaliste qui entendait remettre fidèlement au goût du jour cette musique. Elle obtint d’ailleurs un Grammy Award en 2014 du Meilleur Album de R&B. C’est le bassiste de la formation, Gabriel Roth, qui est à l’origine de la création du label Daptone. C’est le dixième album de la formation qui a perdu sa chanteuse en 2016. Les 3 derniers disques ont été enregistrés après le décès de l’artiste. Celle-ci a eu un destin hors du commun puisqu’elle a été chauffeur convoyeur de fonds et surveillante de prison une bonne partie de sa vie. Le premier disque de la formation sortit en 2002 seulement. Leurs reprises, enregistrées à la demande, ont souvent été commandées pour figurer dans des films, des programmes télévisés ou des albums hommage. Leur talent pour les arrangements et les prouesses réalisées en studio leur ont valu le surnom de The Baddest Band in the Land. C’est dire!
Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)
PARIS-MOVE, February 4th 2021
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Discographie de SHARON JONES sur le site du label Daptone, ICI
Sharon Jones & the Dap-Kings – Signed, Sealed, Delivered I’m Yours:
Sharon Jones & the Dap-Kings “Call on God” (OFFICIAL VIDEO):