Rhythm 'n' Blues, Rock |

Il y eut un temps (pas si reculé) où le rock en France se divisait (comme ailleurs) en sous catégories. Après le reflux de la vague yé-yé, des apôtres du boogie tels que les Variations augurèrent une première meute high-energy (de Little Bob à Ganafoul, en passant par Killdozer, Tequila, Backstage, Boogaloo Band et Jean Passe), dont le pendant adverse se réclamait pour sa part de la vague prog’ anglo-saxonne (Ange, Gong, Pulsar, Atoll…), ou encore d’un renouveau de la scène folk autochtone (Malicorne, Tri Yann, Alan Stivell…). Le punk prétendit balayer tout cela avec Métal Urbain, La Souris Dégliguée et Oberkampf, laissant se contempler en chiens de faïence les héritiers locaux d’une certaine new-wave (Taxi Girl, Marquis de Sade, Indochine…) et ceux d’un revival sixties bien compris (Dogs, Bijou, Snipers…). À présent que ces guerres picrocholines sont derrière nous , et que la plupart de leurs protagonistes sont rentrés dans le rang (ou décédés), que reste-t-il de nos amours? Pour notre bonheur, quelques ultimes gangs de spadassins s’obstinent à perpétuer l’esprit (et la lettre) de ce pub-rock dont certains combos historiques (et le plus souvent brittons) parsemèrent nos sillons. Classics & Troubles, Baton Rouge et Shaggy Dogs portent donc haut les étendards sacrés de Dr. Feelgood, Eddie & The Hot Rods, Nine Below Zero et autres Inmates, dont les inconsolables thuriféraires leur ont tacitement transmis l’apostolat. Entre les Shaggies et nous, c’est à la vie, à la mort. Depuis leur irruption, voici un quart de siècle déjà, au détour de l’album collectif “Tribute To Lee Brilleaux Vol.1”, ils ont aligné neuf références à leur catalogue (dont voici la nouvelle collection automne-hiver), et brûlé de la gomme sur les autoroutes d’Europe et du monde libre. Se gaussant du péril de la sclérose et de l’usure, ces chiens errants ont su se renouveler sans se trahir, et confirment ici le virage habilement négocié sur leur précédent “Sorry For The Delay”. Le Hot Gang, les Washington Dead Cats et autres Blues Eaters s’y étaient certes risqués avant eux: en associant des cuivres à un combo rock n’ roll monté sur turbo-cylindres, on obtient une formule hybride hautement énergétique que les exégètes peinent encore à nommer, mais à laquelle le public répond cinq sur cinq. Les Shaggy Dogs ont donc franchi le Rubicon (et résolu le rubicube), en intégrant un claviériste, un nouveau drummer et les soufflants d’Andrew Griffiths à leur pâtée, pour confier la production et le mastering de ces dix nouvelles plages à Nick Brine (Oasis, Stereophonics, Stone Roses, Quireboys). S’ouvrant sur un “Who’s Gonna Vote?” fleurant bon le regretté Ian Dury et sa faconde cockney d’arrière-salle de pub, on y reconnaît d’emblée l’harmonica débridé façon Lew Lewis qu’y actionne Red et la guitare tranchante de Jacker. “City Guy” intronise les cuivres et les chœurs en contre-chant de Katy Dann, et on s’y retrouve en pleine bacchanale façon Southside Johnny & The Asbury Jukes, barrelhouse piano en sautoir. Nos amis musellent ceux qui hurlent déjà au blasphème et à l’hérésie, en assénant coup sur coup “Your Love Is Dynamite” (millésimé Little Bob circa “Rendez-Vous In Angel City”) et “Lee’s The Man” (profession de foi s’il en fût, qui recycle le riff de “Keep It Out Of Sight”). Et il fallait bien ça, avant le soul number slow “My Baby Left Me In The Fog”, exercice dans lequel le regretté Bill Hurley excellait au possible (il survit encore, certes, mais où donc et à quoi bon?). Le Hammond B3 de Ben et le phasing des six cordes du Jacker y enserrent les vocals d’un Red qui a dû s’en faire saigner les cordes. Leur naturel reprend le dessus avec l’entêtant “Talk Too Fast” (dont le regretté Malcolm Young aurait sans doute validé le riff), et “We Could Have Been To China”, qui arpente les pistes de danse du Robert Parker de “Barefootin'” (avec même un pont reggae!). Le mid-tempo “Wild Card” et le boogaloo chauffé à blanc “Go And Run” confirment leur amour partagé du J. Geils Band et de Southside Johnny, avant que le diddley-beat de “Better Life” ne conclue sur une revigorante note d’espoir, bienvenue en ces temps incertains. Qu’on se le dise urbi et orbi, les Shaggies n’ont nullement rendu leurs jetons de présence au Dr. Feelgood Bar, ni au Pretty Things Club. Ils y ont seulement entrepris quelques travaux, qui n’en dénaturent ni l’esprit, ni l’héritage. D’où qu’ils les observent désormais avec bienveillance, Lee, Wilko, Gypie Mayo, Phil May et Jon Povey leur adressent d’ailleurs un toast d’approbation bien mérité.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, September 11th 2025
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