Electro-Pop |
Comme l’avait judicieusement prédit Philip K. Dick, nous vivons une époque de mutants. Si l’évocation d’une séance spirite au cours de laquelle Beck et ce qu’il demeure de Brian Wilson tenteraient d’invoquer les esprits conjugués de Count Basie, Prince et Marvin Gaye (tout en se trouvant harcelés en permanence par les fantômes de Florian Schneider et du Lennon de “I’m The Walrus”) vous interpelle, vous êtes au bon endroit. Natif de Kyoto, le saxophoniste Sen Morimoto suivit d’abord sa famille au cœur du Massachussets (où il s’immergea dans la scène hip-hop), avant de migrer pour Chicago, où il s’inscrivit bientôt au cœur des circuits indie. S’y liant avec l’artiste electro pop japonaise AAAMYYY, ainsi que des formations comme Lala Lala, Resavoir et Vagabon, ou encore des rappers locaux tels que Ric Wilson, Qari, Kara Jackson et Joseph Williams, Morimoto poussa dès lors sa logique de distillation et de fusion des genres à son paroxysme. Aussi éclectique et polymorphe qu’une éponge, il propose pour suite à son second album (“Cannonball”, paru en 2018 sur le même label) ce double LP, dont il exécute à lui seul l’instrumentation intégrale (en dépit des contributions vocales de nombre de ses amis précités). Chœurs ciselés à l’extrême, mélodies sophistiquées, trouvailles rythmiques insensées et bidouillages polymaths à tous les étages, on se prend à songer en la circonstance à un autre démiurge du demi-siècle écoulé: Todd Rundgren. En un vertigineux jeu de miroirs, cet album reprend en quelque sorte les choses là où David Byrne et le Steely Dan de “Aja” et “Gaucho” les avait laissées voici quarante ans déjà. Mais, comme une boule de neige qui aurait dévalé les pentes du temps, s’y sont bien entendu agrégés depuis les sédiments cumulés lors des décennies intermédiaires. À l’arrivée, ce double LP vinyle fait certes un peu figure de Frankenstein moderne, mais le plus dangereux, c’est que l’on se surprend à y prendre goût. Une œuvre proprement époustouflante, dont on ne s’échappe qu’à regret, et en chancelant. Tellement puissant, groovy et intelligent qu’on en redemande, et vite.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, December 10th 2020
:::::::::::::::::::
SEN MORIMOTO – Disponible en CD, double LP couleur, K7 et digital. A commander sur le Bandcamp de l’artiste, ICI