SELWYN BIRCHWOOD – Exorcist

Alligator / Socadisc
Funk-Blues
SELWYN BIRCHWOOD - Exorcist

Cinquième album pour ce jeune prodige Floridien, qui dirige son propre band depuis 2010. En effet, après un premier en autoproduction en 2011 (le désormais prisé et recherché “FL Boy”), voici sa quatrième livraison en une décennie sous la bannière du label au saurien. Cet ex-protégé de Sonny Rhodes s’est signalé à l’attention de tous (ainsi qu’auprès de Bruce Iglauer) en remportant haut la main l’édition 2013 de l’International Blues Challenge de Memphis, mais aussi en n’interprétant sur disque que ses propres compositions. Ce qui, vous en conviendrez, dans un registre qui n’en finit plus de s’auto-célébrer depuis cinq bonnes décennies, apporte un vent frais que d’aucuns ne manqueront pas de considérer comme une petite révolution! Guitariste aussi virtuose qu’inventif et inspiré, Selwyn se double ainsi d’un auteur concerné par les thêmes de son époque. Après “Living In A Burning House” (dont le titre semblait paraphraser la subite conscience de l’urgence climatique chez Jacques Chirac) et “Pick Your Poison” (évoquant la multiplicité des addictions toxiques en circulation), Selwyn en appelle donc à présent à l’Exorciste afin d’affronter les maux divers de notre société. Et pour s’assurer que son message soit bien compris, il en a fait imprimer l’intégralité des lyrics dans le livret l’accompagnant. Sur le plan sonore, on demeure ici en territoire connu: Selwyn admire autant Albert King (et cela s’entend sur le chaloupé “Done Cryin'”, sous forte influence “Crosscut Saw”, ou encore le mid-tempo “Horns Under Her Halo”, ravivant le mythe de la femme-démon sur la trame de “Born Under A Bad Sign”) que le bon vieux funk. Sous la pompe de cuivres déterminés, le caustique “Florida Man” décrie avec une ironie mordante les habitus de ses concitoyens, et assaisonne le tout d’une slide électrique mordante. En dépit de son jeune âge, Selwyn ne manque pas non plus de références soul, et son “Underdog”, s’il n’est que l’homonyme du titre qui ouvrait le premier album de Sly & The Family Stone (‘”A Whole New Thing”, en 1967), traite bien de la même condition, celle des parias et des exclus, et de l’esprit de résilience selon lequel il leur faut lutter contre les à priori et la discrimination. Le nouveau solo de slide brûlante qui le traverse ne laisse en tout cas guère de doute quant aux convictions de son auteur. Sur un skanking reggae beat, la plage titulaire cède la primauté aux choristes et aux saxophones de Regi Oliver, scellant la rencontre du rastafarisme et du blues (après tout, Bob Marley et Peter Tosh ne s’étaient-il pas assuré les services de Donald Kinsey?). Sur un rythme louisianais vintage emprunté à Ernie K-Doe et Huey Lewis, “Lazarus” reprend la parabole miraculeuse de Lazare ressuscité, et les claviers de Ed Krout, le saxo et les chœurs s’y donnent à cœur-joie: funky gospel, indeed! De funk il est à nouveau question avec le divertissant “Hopeless Romantic”, où, tandis que les cuivres et choristes lui donnent à nouveau la réponse, Selwyn se fend d’un solo digne du regretté Johnny Guitar Watson. La rhythm n’ blues ballad “Plenty More To Be Grateful For” ne manque pas d’évoquer le Ray Charles période Atlantic (quand le grand Percy Mayfield lui fourbissait du cousu main). La pompe des cuivres et les chœurs façon Raelett’s en accentuent le cachet, tandis que la guitare de Selwyn y témoigne de ce que celle de B.B. King lui a transmis. Si ce titre ne cartonne pas en radio, je mange mon chapeau! Le swing-shuffle “Ila-View” prend des accents ragtime, tandis que Donald “Huff ” Wright passe à la contrebasse et que Byron “Bizzy” Garner sort les balais, pour céder place au piano de Krout, et surtout, au solo de slide acoustique du patron. Et sur resonator, please: la touche la plus roots de cette rondelle, dans la veine du “Natch’l Blues” du Taj Mahal de jadis. La slide se rebranche sur le secteur pour le lazy-funk “Swim At Your Own Risk”, relatant la traque fatale d’un malfrat à travers les marais. On revient à Taj, mais cette fois via sa plus récente incarnation, le savoureux “Savoy”, pour le fifties jump cuivré “Call Me What You Want To”, entre Joe Liggins, Louis Jordan et T-Bone Walker. Reprenant à son compte le “Respect Yourself” des Staples Singers, “My Own Worst Enemy” s’inscrit à nouveau dans le funk-blues qu’initièrent des pionniers tels que Freddie King ou Melvin Taylor. Comme si le parcours ne suffisait pas à confirmer le haut niveau instrumental du guitariste, l’instrumental “Show Tune” conclut dans la veine des Bar-Kays, ravivant l’époque bénie des Stax-Volt Revues (avec le sax d’Oliver dans le rôle de celui d’Andrew Love). Sous la production 28 carats de l’imparable Tom Hambridge, voici donc un album auquel on souhaite le même succès que celui du film homonyme de William Friedkin.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 5th 2023

::::::::::::::::::::::::::