SAVOY BROWN – City Night

Quarto Valley Records
Blues-Rock

Mince, Savoy Brown… Une légende telle que l’on se croirait presque autorisé à en questionner la réalité. Tandis que son pilier, leader et seul membre permanent, Kim Simmonds, vogue désormais vers son 72ème anniversaire, on peine à réaliser qu’il en avait à peine fêté 18 aux débuts de la formation. Sortes de forçats du blues-boom angliche des sixties, Savoy Brown semblait condamné en son pays à la seconde division, un peu comme ses frères d’infortune de Chicken Shack, tandis que John Mayall, Fleetwood Mac et autres Ten Years After occupaient le haut du classement. Jusqu’à ces morveux de Free qui décrochaient alors un hit, pendant qu’eux-mêmes continuaient à écumer dans leur van postal le circuit épuisant des universités. C’est l’Amérique qui sauva Savoy Brown, et incita Kim Simmonds à s’y établir voici près de quarante ans. Si ceci s’annonce son quarantième album en plus d’un demi-siècle, le décompte précis de l’ensemble des musiciens passés par ses revolving doors s’avère plus compliqué (on en dénombre plus de 80). Curieusement, c’est le line-up actuel qui se révèle le plus stable de leur carrière, et de loin puisqu’il affiche dix années au compteur. Ayant renoncé à recruter un chanteur qui empièterait sur ses platebandes de frontman, Little Kim se résoud à présent à suppléer lui-même les parties vocales. Son timbre bas, grave et feutré, donne par moments l’impression saugrenue d’écouter un disque de Freddie King dont J.J. Cale assurerait les vocaux. La comparaison n’est pas fortuite, car à l’âge où nos ex-fonctionnaires coulent une retraite heureuse au Portugal, Simmonds ne semble nullement disposé à abdiquer son titre de guitar-hero. Et c’est heureux, car les temps funestes où il s’affichait en pantalon moule-boules sur la pochette du grotesque “Rock N’ Roll Warriors” semblent donc bien révolus. Le dépositaire de la marque Savoy Brown entend désormais en perpétuer l’héritage: son jeu sur sa fameuse Gibson demeure certes féroce, mais ne s’écarte plus guère de la ligne blues-rock qui en définit l’identité. Quatre décennies de cheese-whoppers et de concerts en plein air ont tout de même buriné le son du trio actuel, lui conférant des similitudes avec celui de ZZ Top (que leurs effectifs identiques suggèrent). Si le “Walking On Hot Stones” d’ouverture suscite le sentiment troublant d’ouïr une adaptation de “La Fille Du Père Noël”, telle que revampée en son temps par Mick Ronson et ses Spiders From Mars (rappelez moi le nom du chanteur, déjà?), c’est que leur point commun demeure la version de “I’m A Man” qu’en restituèrent les Yardbirds. En l’occurrence, c’est surtout celle de George Thorogood qu’évoque la slide de Simmonds: aussi saturée que virevoltante, elle cisaille l’air surchauffé en épaisses tranches fumantes, tandis que “Don’t Hang Me Out To Dry”, “Conjure Rhythm”, “Payback Time”, “Ain’t Gonna Worry” et la plage titulaire poursuivent dans ce registre texan qui ruina tant de barbiers (si ce n’est que les cordes vocales y évoquent davantage Chris Rea que Billy Gibbons). Question guitares par contre, c’est ball-trap permanent: la rythmique emprunte son abrasure à Wilko Johnson, tandis qu’en chorus, c’est pyrotechnie à tous les étages. Avec sa slide infectée au tétanos, “Red Light Mama” persiste dans cette veine que n’auraient boudée ni Dr. Feelgood, ni les Count Bishops, et le riff de “Hang In Tough” célèbre avec gourmandise le Diddley beat. Seul titre lent de cette douzaine, “Selfish World” ranime même le fantôme de Peter Green, pour le ravissement de tous ses endeuillés. Quand il est passé relever les compteurs pour sa tournée anglaise d’avril dernier (de Sheffield à Wolverhampton), la gratte de Kim n’a pas laissé indifférents ce qu’il y reste de greasers et de pub-rockers. Ce disque produira probablement le même effet dans les ateliers mécaniques et relais routiers, où se terrent les ultimes aficionados de ce boogie hérissé. Attendez moi, les amis, j’arrive!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 13th 2019

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A voir et à écouter : Savoy Brown – Why Did You Hoodoo Me – 2019-04-16 Stramash, Edinburgh, sur YouTube, ICI
Line up: Kim Simmonds – Guitar, Vocals, Harmonica / Pat DeSalvo – Bass, Backing Vocals / Garrett Grimm – Drums, Backing Vocals

Savoy Brown – website HERE

Savoy Brown – biography: HERE