Samantha MARTIN & DELTA SUGAR – The Reckless One

Gypsy Soul / Factor / Proper
Rhythm 'n' Blues
Samantha MARTIN & DELTA SUGAR - The Reckless One

Voici un demi-siècle déjà, Eric Clapton était bien embarrassé. Lassé de la Grosse Bertha et de la perpétuelle course contre la montre à laquelle le soumettaient ses deux comparses au sein de Cream, il avait fondé Blind Faith avec Steve Winwood. Mais là encore, il se sentait hésitant, comme à un carrefour (“Standing At The Crossroads” ainsi que l’assénait des lustres auparavant l’un de ses modèles, Robert Johnson). Entre sa fascination pour le côté roots et rural de ces hommes des bois qu’incarnaient alors les reclus de The Band (vérifiez donc leur impact sur les Beatles finissants au recto de leur compile “The Beatles Again”, sans parler de “Two Of Us”, “I Me Mine” et “Dig A Pony” sur “Let It Be”), et les frénétiques trémoussements de hanches que suscitaient Delaney And Bonnie (quand ces derniers assuraient les premières parties de l’unique tournée U.S. de Blind Faith), God oscillait alors entre l’air et le feu. Ce fut pour le second de ces éléments qu’il opta d’abord, quand il recruta pour son premier album solo l’essentiel des “Friends” qui accompagnaient alors le couple Bramlett. Blue eyed soul: jamais le terme (jusqu’alors peu usité) n’avait encore paru si approprié. Il faut dire que sous l’égide du mogul Leon Russell, le ménage que formait alors la dénommée Bonnie Lynn avec son légitime époux Delaney réalisait le crossover ultime, en s’escrimant à transposer dans le vieux Sud (encore largement ségrégationniste) un succédané blanc de l’Ike & Tina Turner Revue. Cuivres incandescents, choristes érotomanes et rythmique boute-feu: ces ingrédients primitifs allaient opérer auprès des visages pâles la même transmutation que celle à laquelle ils avaient été exposés pour le blues. Ce que l’on nommait alors le rock ou la pop ne devait pas en sortir indemne, et nonobstant la versatilité du prénommé Derek, une tradition soul blanche allait donc perdurer jusqu’à nos jours. Passons rapidement sur les épisodes Stone The Crows, Kathy McDonald et Vinegar Joe, pour en venir au dernier avatar en date. La Canadienne Samantha Martin et son gang déboulent ainsi avec leur troisième album en cinq ans, et outre une propension assumée à l’homonymie des titres (ni “Love Is All Around”, “I’ve Got A Feeling” ou “Sacrifice” ne sont en effet les adaptations suggérées des Troggs, Beatles et Elton John), ils confirment la puissance hyper-maîtrisée d’une soul shouter de premier ordre. Comme chez ses contemporaines britonnes Hannah Williams et Kyla Brox, les cuivres, chœurs et Hammond B3 sont en ordre de bataille, et la seule authentique cover (le “Meet Me In The Morning” qui ouvrait naguère “Blood On The Tracks” de Dylan) s’en trouve transposée en un gospel rageur. “Don’t Have To Be”, le single paru en éclaireur, hume les gras pâturages d’Atlantic et Muscle Shoals, tandis que “Loving You Is Easy” pousse le bouchon jusqu’à embrasser la facture country-soul de la région, quand le géant Duane Allman passait en voisin en strier les productions d’une slide goûteuse (pour indication, réécoutez donc le “Hey Jude” de Wilson Pickett). Portée par un riff de cuivres entêtant sur un languide trois temps, la voix de Samantha Martin (nimbée de juste ce qu’il faut d’écho) achève de lacérer la tapisserie, tandis qu’un singulier solo de clavier numérique y évoque une cornemuse. Comme ne l’ignore aucun soul aficionado, c’est sur terrain humide, poisseux et lent que l’on distingue d’ordinaire les Dames des demoiselles, et “I’ve Got A Feeling” (avec tout ce qu’il doit à la grande Aretha) emporte l’adhésion sur cet exercice sans appel, tout en vous tirant les larmes que suggère le chœur des pleureuses y officiant en pleine majesté. L’estocade provient ensuite des à peine moins indolents “So I Always Know”, “Better To Have Never” et “All That I Am” (cette fois dans le registre presque aussi intouchable des jeunes Etta James et Fontella Bass), tandis que sur un tempo de cavalcade proto-western, “Sacrifice” et “Pass Me By” empruntent pour leur part la facture rétro-sixties des standards de Bobbie Gentry. Pour achever de remettre les pendules à leur place, “Who Do You” conclut cette martingale en mode Daptone certifié. Du haut de son mètre soixante-trois, la jeune Samantha Martin s’affirme donc sans forcer comme la nouvelle tornade southern-soul à laquelle ni sa nationalité, ni sa couleur, ne semblaient pourtant la prédisposer. Un peu comme si l’on avait permis à la grande Bonnie Bramlett de conserver les rênes de son rutilant orchestre, après son divorce d’avec son sinistre mari… Na!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 24th 2020

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