Blues-Rock

Quant il s’éteignit le 14 juin 1995 (à 47 ans à peine), Rory Gallagher laissa l’immense foule de ses fans en deuil perpétuel. Ce stakhanoviste du blues-rock n’avait en effet pratiquement jamais quitté les planches trois décennies durant, depuis TASTE jusqu’à ses ultimes concerts, tandis que la Camarde l’attendait en coulisses. Comme Johnny Winter (avec lequel il partageait un sens aigu de la slide qui taille dans le vif), Rory était le guitar hero du peuple, et ce dernier le lui rendait bien. Initialement trahi par sa section rythmique historique, l’Irlandais prit garde à ne pas trop s’attacher à ses batteurs successifs. Si le bassiste Gerry McAvoy parvint à se tenir vingt ans durant à ses côtés, la malédiction des Rory’s drummers frappa successivement John Wilson (atteint d’une polynéphrite débilitante après avoir tenté de raviver TASTE sans son ex-patron), ainsi que le pourtant non moins compétent Wilgar Campbell (qui figurait sur ses trois premiers albums solo, dont l’inénarrable “Live In Europe”, mais devait décéder de la maladie irlandaise number one, la cirrhose), et jusqu’au débonnaire Ted McKenna (récemment disparu suite à un accident d’anesthésie en salle d’opération), tandis que Rod deAth (présent sur cet album) a succombé à un cancer en 2014. Si l’on considère le sort du claviériste Lou Martin (mêmes causes de décès que ces pauvres Wilgar et Rory), on pourrait presque croire à la malédiction des Cigares du Pharaon! Comme pour nombre d’autres géants prématurément ravis à notre affection, les réalisations posthumes ne manquent pas pour entretenir la flamme, mais à l’écoute de cette time-capsule, on peine tout de même à comprendre ce qui a bien pu tenir si longtemps pareils enregistrements sous le boisseau. Certes, l’année était 1977, et dans les clubs londoniens, une révolution sourdait en écho à celle qu’avait initiée la vague pub-rock. Mais au fil des vingt extraits ici proposés de quatre shows répartis entre mi-janvier et mi-février (de Londres à Sheffield, jusqu’à Newcastle et Brighton), le gang Gallagher semblait alors plus irrépressible que jamais. Le line-up de “Irish Tour” s’avérait désormais mieux équilibré et plus soudé que sur ce dernier. Le piano électrique de Lou Martin (dont le son aigrelet parasitait ce double-vinyl historique) se voit ici suppléé par un orgue bien plus chaleureux. Quant au jeu de l’ambidextre Rod deAth, il s’avère brillant de bout en bout. Le répertoire se concentre sans surprise sur celui de “Calling Card”, dernière livraison en date de l’Irlandais (produit sous l’égide de Roger Glover), mais nombre d’emprunts à “Against The Grain”, “Blueprint” et “Tattoo” le ponctuent également. “Bullfrog Blues”, “Going To My Hometown” et “Used To Be” renvoient même aux tout débuts de sa carrière, et des plages acoustiques telles que “Pistol Slapper Blues”, “Barley & Grape Rag”, “Too Much Alcohol” ou “Out On The Western Plain” viennent tempérer à point nommé la frénésie ambiante. Impeccablement capté à l’époque par le studio mobile de Jethro Tull, ce témoignage s’inscrit sans conteste parmi les tout meilleurs du sorcier irlandais à chemises à damier, ferveur collective à l’appui. Faut-il vous l’attendrir?

Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, February 20th 2020

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