RONNIE FOSTER – Reboot

Blue Note
Hammond B3
RONNIE FOSTER - Reboot

Au tournant des sixties et des seventies, les disciples de Jimmy Smith et Jimmy McGriff étaient pléthore. Depuis les caves du swinging London (où Georgie Fame et Brian Auger avaient transmis la bonne parole aux masses mod durant la décennie écoulée) et jusqu’à la scène fusion alors en éclosion aux States (sous la houlette de Miles Davis, et via de jeunes Turcs tels que Larry Young), l’orgue Hammond (lesté de son inamovible cabine Leslie) faisait alors florès, en dépit de son poids digne d’un coffre Henri VIII. À Buffalo, dans l’Etat de New-York, un louveteau aux dents tout juste acérées se fit remarquer lors de la captation d’un album live du jazz-groove guitar slinger Grant Green. Tout juste âgé de 21 ans, le kid se nommait Ronnie Foster, et sa performance impressionna tant le talent scout de Blue Note que ce dernier lui proposa sur le champ un contrat d’enregistrement. Son premier effort solo, “Two Headed Freap” vit ainsi le jour en 1972, suivi la même année de son successeur, “Sweet Revival”, puis la suivante de “Cookin’ With Blue Note At Montreux”. Face à l’insuccès relatif de ces productions, le label persista néanmoins jusqu’au terme de son contrat en 75. Après deux autres essais infructueux chez Columbia, il devint évident que la carrière de Ronnie ne pourrait se poursuivre qu’en tant que sideman. Dans ce registre, excusez du peu, les faits d’armes de l’impétrant inclurent notamment le “Songs In The Key Of Life” de Stevie Wonder, six LPs en compagnie de George Benson (dont “In Flight”, “Breezin'” et “In Concert-Carnegie Hall”), ainsi que quelques cameos auprès de piétons tels que Stanley Turrentine, Lee Ritenour, Earl Klugh, Robbie Robertson, Stanley Clarke, Roberta Flack, Grover Washington Jr. et la fratrie Jackson. Devenu une sommité de l’ombre (dont les initiés se refilaient désormais le contact avec des mines de conspirateurs), Ronnie ne dut sa réhabilitation qu’à la vague acid-jazz (au fronton de laquelle scintillaient des noms tels que celui du James Taylor Quartet, sous l’égide du mogul franco-suisse Giles Peterson). En fidèle émule de Lonnie Liston Smith et Brother Jack McDuff, Ronnie répond aujourd’hui à la proposition de son label initial, pour célébrer les cinquante piges de son premier album. Et ce “Reboot” en outrepasse avec bonheur tous les pronostics, tant la verve gourmande et le groove juteux du bonhomme s’y révèlent incroyablement préservés. Dès la plage titulaire qui l’ouvre opportunément, on se trouve transporté au temps béni où, libéré de sa Sainte Trinity, Brian Auger mettait sur les rails son Oblivion Express: même savoureux mix de funk organique (oops) et de jazz groove (d’autant que, comme dans la famille Auger, c’est le rejeton de l’organiste qui y manie les baguettes), avant que le lascif  “Sultry Song II” (transcription d’une composition dont Ronnie gratifia en 1991 l’album du flûtiste Nelson Torres, qu’il produisait alors) n’entraîne l’affaire vers des rivages latino-américains, sur lesquels il ne tardera pas à mouiller encore. Le bien intitulé “Swingin'” nous ramène au temps des clubs enfumés façon La Huchette et Ronnie Scott’s, quand un simple trio basse-orgue-batterie y électrisait les nuits branchées. C’est dans l’esprit churchy de la grande Rhoda Scott que Ronnie exécute ensuite le pieux “J’s Dream” sous onction gospel, avant de s’approprier le “Isn’t She Lovely” de Stevie Wonder, à la mode selon laquelle Booker T. Jones le faisait jadis des hits du Cashbox – si ce n’est que Ronnie, lui, figurait déjà sur la version originale de 76! Dédié à son ami Santana, “Carlos” s’ouvre sur l’intro flamenco qu’y joue Jerry Lopez, avant que la samba brasileira et le salsa groove ne s’en emparent, et que les six cordes électrifiées de Michael O’Neill pastichent à s’y méprendre celles du moustachu. L’occasion pour Ronnie d’en faire autant avec le jeu de Gregg Rollie, tandis qu’autour de lui, les percussions s’en donnent à cœur joie. Seule plage chantée, le funky shuffle “Hey, Good Lookin’ Woman” s’avère le crowd-pleaser de service, incitant le public à en reprendre le refrain en chœur. L’émule de George Benson point ensuite sous le titre langoureux (et téléphoné) “After Chicago” (effectivement, maman), juste avant que Ronnie ne se résolve à conclure sur un piano solo, le tendre et émouvant “After A Conversation With Nadia”… Voici donc le retour inattendu d’un vétéran en totale possession de ses moyens: jubilatoire de bout en bout.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 26th 2022

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