RONNIE BAKER BROOKS – Blues In My DNA

Alligator
Funk-Blues
RONNIE BAKER BROOKS - Blues In My DNA

Il était une fois un bluesman nommé Lee Baker Jr, né une semaine avant Noël 1933 à Dubuisson en Louisiane, qui commença à se faire connaître dans cet État en partie francophone sous le nom de Guitar Jr, avant de migrer pour Chicago et d’y adopter pour nom de scène celui de Lonnie Brooks. Avant d’y décéder un premier avril (il y a sept ans), il eut le temps d’enregistrer une quinzaine d’albums, et de devenir l’un des fleurons du label fondé par Bruce Iglauer (lequel contribua à le révéler en l’incluant sur le Volume 3 de sa série “Living Chicago Blues” en 1978). Lee (Lonnie) Baker (Brooks) eut six enfants, et deux de ses fils, l’aîné, Rodney (alias Ronnie, né en 1967) et le cadet, Wayne (trois ans plus tard), entamèrent à leur tour une carrière de bluesmen dans la foulée de leur paternel. Après avoir pu apprécier le plus jeune lors de la tournée du cinquantenaire du Chicago Blues Festival (en 2019), c’est au tour de son grand frère de se manifester à notre attention, avec son cinquième album en vingt-six ans (et son premier sur le même label que son regretté géniteur). Alors que son prédécesseur, “Times Have Changed” (paru en 2017 chez Provogue, et produit par Steve Jordan, actuel remplaçant de Charlie Watts au sein des Stones) lui avait valu un accueil critique remarqué, il avait dû autofinancer les trois précédents sur son propre label, Watchdog. Autant dire que rien ne lui fut acquis sur la seule foi de son nom, et qu’il a gagné ses lettres de noblesse en tournant intensivement, et à la force du poignet. Si l’on retrouve cette fois encore à ses côtés un session drummer de renom (Steve Potts), son guitariste rythmique et son bassiste (Will McFarlane et Dave Smith) s’avèrent des comparses non moins compétents, et comme souvent de nos jours, ce staff s’étoffe de quelques invités (Rick Steff au piano électrique et Clayton Ivey à l’orgue, ainsi qu’une section de cuivres sur deux titres). Et dès le licencieux “I’m Feeling You” qui ouvre le ban, on retrouve avec bonheur les caractéristiques essentielles de ce bon Ronnie: un funk-blues au fil duquel on croirait ouïr la guitare débridée d’Albert Collins interpréter des compos de Johnny Guitar Watson (“I want to get close to you/ Like a dog to a bone… And like a talker to a cell phone”). Le drumming de Potts (par ailleurs coutumier de Bernard Allison) s’y montre tout aussi implacable, et la plage titulaire (introduite par un enregistrement de la voix de daddy Lonnie) s’avère une puissante profession de foi autobiographique (“I didn’t know we had no money/ because we were rich with pure love” et “I ain”t complaining, just explaining: I got  the blues in my DNA”). Avec sa touche latino-funk, “My Love Will Make You Do Right” a tout pour enflammer les dance-floors, sans verser le moins du monde dans le disco pour autant. L’équilibre entre l’orgue de Ivey, les cocottes rythmiques de McFarlane et les soli à tête chercheuse des six cordes acides de Ronnie en font au contraire un modèle de ce que préfigurait la West-Side soul initiée jadis par Magic Sam (et perpétuée jusqu’à nos jours par des Chicago stawarts tels que le regretté Jimmy Johnson). Et tant qu’à parler soul, “Accept My Love” est une de ces ballades à la Sam Cooke, James Carr et Otis Redding: un pied dans le gospel, et soutenu par un orgue et des cuivres pesés au milligramme, Ronnie y donne toute la mesure de son talent vocal, avant de prendre son envol sur un chorus lyrique à souhait. Contraste oblige, “All True Man” se révèle un swamp blues-rock sudiste comme en pratiquaient Skynyrd et consorts, piano barrelhouse et break casse-gueule inclus. “Robbing Peter To Pay Paul” est un malicieux Louisana rhythm n’ blues, dans la veine qu’alimentaient jadis de grands songsters tels que Smiley Lewis, Doc Pomus et Mac Rebennack (alias Dr. John), où la guitare de Ronnie confirme tout ce qu’elle doit à l’expansivité de son paternel. Sur un riff démarqué du “Day Tripper” des Beatles (!), “Instant Gratification” est une dispensable curiosité rock n’ soul, sans doute destinée aux radios FM auxquelles s’adresse de plus en plus son nouveau label. On n’a sans doute pas ouï plagiat plus manifeste depuis le “Catch Me Now I’m Falling” des Kinks (qui repiquait allègrement le riff de “Jumping Jack Flash”), et le “Hello I Love You” des Doors (qui en faisait autant avec “All Day And All Of The Night” des mêmes Kinks, une décennie auparavant). “I Got To Make You Mine” renoue heureusement avec la ligne funky où Ronnie se trouve plus à son avantage. Les choristes Trenicia Hodges et Kimberlie Helton lui donnent la réplique, et le band y confirme sa souple et dansante cohésion. Vient ensuite le plat de résistance, avec la relecture en extended version de son propre “Stuck On Stupid”, slow blues moîte dans la lignée de Freddie King circa “Have You Ever loved A Woman”, où sa guitare allume des flammèches turgescentes dans la nuit. Les deux claviéristes lui tissent le tapis idoine, et cette plage vaudrait à elle seule l’acquisition de cette galette. Si vous désirez convertir n’importe quel béotien à la puissance émotionnelle du blues électrique, à part Freddie et B.B. King en personne (voire Eric Clapton quand il n’est pas en défilé Armani), on ne fait guère mieux en la matière. Un souffle à décorner un troupeau de buffles, et un feeling proprement foudroyant!.. Reste deux funky numbers façon Albert King pour conclure l’affaire, mais comme lorsque n’importe quel géant a fini de terrasser son auditoire en festival, il est difficile de passer quoi que ce soit après pareille tornade. Produit par le légendaire Jim Gaines (Stevie Ray Vaughan, Huey Lewis, Steve Miller, Santana, Luther et Bernard Allison, Derrick Procell, Ally Venable), voici donc un album à la fois digne et sincère, avec maints instants de flamboyance, en dépit de ses orientations parfois ouvertement commerciales.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co

PARIS-MOVE, October 6th 2024

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